Galvanisé par ses bénéfices record, TotalEnergies va continuer à miser sur le GNL et le pétrole
TotalEnergies a annoncé mercredi 8 février avoir généré un bénéfice record de 20,5 milliards de dollars sur l'année 2022, en hausse de 28% sur un an. Si le groupe prévoit d'augmenter ses investissements dans les énergies renouvelables, il continue de multiplier les projets pétroliers et gaziers.Le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné a annoncé qu'il envisageait de remettre en place une ristourne à la pompe si les prix dépassaient les deux euros le litre.
«Pour la première fois dans l'histoire de l'entreprise, tous les paramètres d'environnement ont été positifs», s'enthousiasme Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, lors de la présentation des résultats 2022 du groupe mercredi 8 février. Intrinsèquement liée aux conséquences de la guerre en Ukraine, cette conjoncture énergétique favorable a permis à l'entreprise de dégager un chiffre d'affaires de 281 milliards de dollars (261 milliards d'euros) et surtout un résultat record, de l'ordre de 20,5 milliards de dollars.
Ce montant, déjà en hausse de 28% par rapport à 2021, aurait pu s'avérer encore plus colossal sans les dépréciations d'actifs liées à son retrait progressif de la Russie, qui ont engendré une perte comptable de 14,8 milliards. Au cours de l'année, le géant tricolore avait en effet annoncé prendre ses distances du projet Arctic LNG 2 et groupe gazier russe Novatek, dont il détient toujours 19,4% des parts. TotalEnergies reste néanmoins pleinement engagé dans le complexe Yamal LNG, qui a fourni près de 15 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) à l'Union européenne en 2022. «C'est un contrat long-terme, qui subsistera tant que l'Europe ne prendra pas la décision d'interdire le gaz russe», affirme Patrick Pouyanné.
Le GNL, nouvelle machine à cash
En plein essor, le marché du GNL est devenu l'un des principaux leviers de croissance de la supermajor. Numéro deux mondial du secteur, premier exportateur des Etats-Unis et premier importateur en Europe, le groupe en a vendu 48 millions de tonnes en 2022, soit 15% de plus qu'en 2021, et a ainsi généré 10 milliards de dollars de cash. La dynamique devrait s'accentuer en 2023, et les prix ne sont pas près de baisser : la demande européenne continuera à progresser, tandis que la Chine cherchera elle aussi à accroître ses importations. «Il va falloir se battre», résume le dirigeant.
Bien décidée à tirer un maximum de profits de cette source d'énergie fossile, la multinationale compte augmenter sa production de GNL de 40% d'ici à 2030. Pour atteindre son but, elle s'investit dans de nombreux projets. L'entreprise a par exemple a mis en service une première unité flottante de regazéification de GNL (FSRU) en Allemagne en janvier 2023 et devrait en amarrer une seconde au port du Havre (Seine-Maritime) en juin. A plus long terme, le groupe prévoit également de concrétiser des projets de grande ampleur au Qatar, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et au Mozambique, où le PDG s'est justement rendu début février pour tenter de faire avancer le dossier, suspendu depuis une attaque islamiste perpétrée en mars 2021.
Une demande de pétrole en hausse
L'activité historique de TotalEnergies, le pétrole, est elle aussi au beau fixe. «Dans le pétrole, nous sommes rentables à partir de 23 dollars le baril. Avec un prix moyen supérieur à 100 dollars en 2022, il y a forcément du surplus», explique Patrick Pouyanné. Interrogé sur les conséquences environnementales de cette activité, le PDG rappelle que l'AIE prévoit une demande record en 2023. «Je sais bien que l'impératif climatique existe [...] Mais si nous arrêtons d'exploiter du pétrole, les prix monteront au ciel, assure-t-il. Ce qu'on a vécu en 2022 démontre que c'est juste insupportable pour tout le monde».
Le groupe français n'a ainsi pas non plus prévu de réduire la voilure en termes de projets pétroliers. Dès le premier trimestre 2023, il devrait même débuter le chantier du gigantesque site pétrochimique Amiral, situé en Arabie saoudite. Mi-décembre, TotalEnergies et son partenaire Aramco ont indiqué mettre 11 milliards de dollars sur la table pour qu'il puisse voir le jour. La supermajor est également en train de boucler le financement du très controversé oléoduc East African Crude Oil Pipeline (Eacop), qui prévoit d'acheminer du pétrole extrait en Ouganda.
Une stratégie climat contestée
Alors que la multinationale présentait ses résultats, des membres du collectif Alternatiba Paris et des Amis de la Terre ont justement aspergé de rouge la façade de son siège à La Défense (Hauts-de-Seine) pour protester contre ce projet, qu'ils qualifient de «destructeur pour le climat, lenvironnement et les populations». Un événement loin d'être isolé. La stratégie de décarbonation de l'entreprise est en effet fréquemment remise en question, a fortiori depuis qu'une étude a révélé que le groupe tricolore avait sciemment alimenté les doutes sur le dérèglement climatique alors qu'il savait depuis 1971 que ses activités contribuaient au réchauffement de la planète.
En décembre 2021, le pôle économique et financier du parquet de Nanterre a même ouvert une enquête pour «pratiques commerciales trompeuses» après que trois associations ont accusé le géant pétrolier de dégradation de l'air. Dans une tribune publiée le 8 février sur le site de Franceinfo, plusieurs experts du Giec s'insurgent quant à eux de «l'instrumentalisation de leurs travaux par TotalEnergies» pour justifier la poursuite de ses investissements dans les énergies fossiles. «L'exploitation des énergies fossiles reste le fonds de commerce de TotalEnergies, loin de ses tentatives de greenwashing», a de son côté réagi Greenpeace.
Le siège de TotalEnergies a été aspergé de peinture rouge par des associations écologistes.
Vers un retour des ristournes à la pompe ?
Face à ces critiques étayées, l'entreprise pointe du doigt le fait que les énergies renouvelables devraient représenter 5 milliards de dollars sur les 16 à 18 milliards qu'elle compte investir en 2023, une somme supérieure à celle allouée aux nouveaux projets fossiles. Notamment grâce à l'acquisition de 50% du capital de Clearway Energy Group, cinquième acteur des énergies renouvelables aux Etats-Unis, les capacités "vertes" de TotalEnergies ont d'ailleurs atteint 16,8 GW en 2022, contre 10,3 en 2021. Pour faire passer cette branche à la vitesse supérieure en 2023, le groupe a notamment annoncé son intention de racheter 100% de sa filiale Total Eren, spécialisée dans les énergies renouvelables.
Également attaqué sur le partage de la valeur de ses profits historiques, à l'heure où de nombreux Français peinent à faire face aux conséquences de l'inflation, le pétrolier a cherché à apaiser les tensions. Patrick Pouyanné a ainsi indiqué qu'il envisageait de remettre en place une ristourne à la pompe, si les prix venaient à dépasser deux euros le litre. «Si c'est nécessaire, nous sommes prêts à faire un nouveau geste», a déclaré le dirigeant. Le groupe a par ailleurs précise que ces rabais lui avaient déjà coûté 550 millions d'euros en 2022, auxquels s'ajoutent 200 millions d'euros d'impôt sur les sociétés en France.