Soutenues mordicus par les Etats et le BCE, les banques européennes résistent face à la tempête économique. Bruxelles veut même créer une « bad bank » européenne pour limiter leurs pertes. Malheureusement les Etats n'utilisent pas ce rapport de force favorable pour imposer aux banques des contreparties sociales et écologiques. Les banquiers français les plus fervents croyants du marché libre peuvent d'ores et déjà aller déposer un cierge à Bercy sur le parvis du ministère des Finances et au siège de la BCE à Franckfort-sur-le-Main. En effet, depuis le début de la crise du Covid-19, Etats et banquiers centraux multiplient les miracles pour maintenir en vie leur système bancaire, de peur que tout s'écroule. Ainsi, les pertes de l'économie sont totalement socialisées : du déploiement massif du chômage partiel aux soutiens aux entreprises via des prêts garantis, en passant par le refinancement « aussi longtemps que nécessaire » des dettes publiques par la BCE. Grâce à cela, les banques n'ont pas (encore) vu leurs clients emprunteurs faire défaut massivement - même si plusieurs d'entre elles ont déjà constaté des pertes. « Tant que dure ce compromis entre État et banques centrales, la sphère financière bénéficie d'un système d'assurance et de réassurance sans limites », expliquait dans une chronique piquante l'économiste à Xerfi Olivier Passet.Des défauts à la chaîne en 2021Certes, les banques vont faire face à des vents contraires en 2021 car les faillites d'entreprises iront en s'accumulant. L'assureur crédit Euler Hermes prédit que le moment décisif surviendra au deuxième trimestre 2021, « lorsque le prochain paiement des impôts de production sera dû », ainsi que « les acomptes trimestriels d'autres taxes ». Pour les entreprises qui n'ont pas demandé de différé supplémentaire, le remboursement de la majorité des prêts garantis par l'Etat (PGE) accordés en 2020 débutera également à ce moment de l'année. Conséquence : « si la grande vague de défaillances post-covid a bien lieu, elle impactera par effet domino les crédits couverts par la garantie de l'État, mais aussi les crédits antérieurs qui représentent 90% des encours bancaires », ajoute Olivier Passet. Un gros caillou dans la chaussure des banques européennes. Le président du conseil de surveillance de la BCE Andrea Enria estimait d'ailleurs dans le Financial Times que le montant des prêts non remboursés aux banques de la zone euro pourrait atteindre 1.400 milliards d'euros, soit un niveau « bien supérieur à ceux des crises financière de 2008 et des dettes souveraines en 2011 ».Une "bad bank" pour soulagerMais si un tel scenario se vérifiait, que les banquiers se rassurent : tout sera entrepris à Bruxelles pour les sauver. Les hauts fonctionnaires de la Commission européenne s'activent comme rarement pour trouver des solutions aux problèmes des précieux fleurons européens de la finance. Dans les Echos, on apprend que la Commission s'apprête à proposer la création d'une « bad bank » européenne - aussi appelée « banque poubelle » - qui serait garantie par une instance européenne, et permettrait aux BNP Paribas, Société Générale, Deutsche Bank et autre UniCredit de se défaire de leurs créances douteuses emmagasinées depuis le début de la crise, en les transférant à une « plateforme de marché ». « Nous voulons que les banques puissent vendre (...) facilement et avec (...) succès les créances douteuses », justifie un officiel de la Commission cité par le quotidien économique. Ainsi les banques seraient soulagées du lourd poids de la crise du Covid-19 et pourraient enfin vaquer à leurs occupations normales, c'est-à-dire financer l'économie réelle, espère la Commission.L'artillerie lourde est ainsi déployée en matière d'ingénierie financière. Une fois dans la bad bank, les prêts potentiellement non récupérables seront en effet « packagés » dans des produits financiers - un peu à la manière des subprimes - pour ensuite être revendus à des gestionnaires d'actifs spécialisés dans ce type de créances douteuses. Ces experts en prêts non récupérables, souvent américains, se nomment Cerberus, Blackstone, Lone Star ou Goldman Sachs. On les appelle aussi plus trivialement des « fonds vautours », puisqu'ils n'interviennent que lorsque la situation est très mal engagée pour le débiteur. Bien entendu, ces transferts de créances ne se feront pas sans pertes pour les banques européennes, mais l'idée est d'en limiter l'ampleur afin d'éviter un effondrement généralisé tel un château de cartes.Éviter les écueilsSoyons clairs : les fonds vautours peuvent être très utiles pour soulager les banques. Mais in fine, il ne faudrait pas laisser ces nouveaux créanciers, peu réputés pour leur bienveillance, dicter leurs exigences aux entreprises en difficulté. D'autant que ces dernières années, « le marché des créances douteuses a été dominé par quelques très gros acheteurs (voir page 7 de cette étude de Deloitte N.D.L.R) », concédait à Reuters Edward O'Brien, haut responsable de la BCE impliqué dans la création d'une bad bank européenne. Pour éviter une dépendance à un trop petit nombre de grands acteurs, Bruxelles compte créer un marketplace des créances douteuses à la « Amazon ou eBay », ajoutait Edward O'Brien, afin d'élargir le marché à de plus petits acheteurs. Mais on ouvre ici une autre boîte de pandore : celle de la financiarisation à outrance de ces prêts défectueux par une multitude d'acteurs non régulés.Dernier point de vigilance : ne pas laisser les banques refourguer à la bad bank toutes leurs créances pourries héritées des crises passées. Car la note pourrait dès lors devenir très salée pour le contribuable européen. C'est ce qui s'était passé lors de la reprise du Crédit Lyonnais en 1993 par une bad bank garantie par l'Etat français, appelée Consortium de réalisation (CDR), qui a in fine coûté plus de 15 milliards d'euros aux pouvoirs publics. Bref, difficile de savoir sur quel pied danser. « Une bad bank est une pochette-surprise : seul l'avenir dira si elle tourne bien ou mal », nous confie un expert des marchés financiers.