Société Générale : Daniel Bouton viré dans quelques jours ?
07/02/2008 17:01
Source :trends.be
Daniel Bouton a sauvé son siège à la tête de la Société Générale. Mais pour combien de temps ? Le PDG continue de subir un feu nourri de critiques de plus en plus virulentes. Et plusieurs sources laissent entendre que son conseil d'administration pourrait le «lâcher» une fois l'opération d'augmentation du capital lancée.
Charlie McCreevy, commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, a estimé que la Société Générale était «inexcusable» pour l'«imprudence abjecte» dont elle a fait preuve en ne contrôlant pas suffisamment les risques pris par son jeune trader, Jérôme Kerviel.
«Je trouve sidérant que, malgré toutes les leçons qui devraient avoir été tirées sur le besoin de contrôle, après une série de pertes dans plusieurs institutions financières internationales se chiffrant en milliards de dollars causées par des arbitragistes dévoyés, une institution du plus haut niveau se retrouve une fois de plus sur la sellette pour des lacunes fondamentales dans ce contrôle», a déclaré le commissaire dans un discours publié jeudi à Bruxelles et prononcé mercredi soir à Londres.
«Il est inexcusable que toute la valeur de marché d'une institution financière puisse être mise en péril par une imprudence aussi abjecte de la part d'une des plus grandes banques européennes.»
Les systèmes de contrôle de la SocGen, point faible du PDG Daniel Bouton
Christine Lagarde, ministre française de l'Economie, partage cette vision. Dans le rapport de 11 pages remis ce lundi matin au Premier ministre, François Fillon, elle écrit ainsi : «Le système de contrôles internes de la Société Générale n'a pas fonctionné comme il aurait dû et ceux qui ont fonctionné n'ont pas toujours fait l'objet d'un suivi approprié.» Et la ministre de proposer un «relèvement substantiel» des amendes infligées aux banques imprudentes.
Après la charge du président Sarkozy - Daniel Bouton «ne peut s'exonérer de ses responsabilités» - le dossier se focalise de plus en plus sur la figure du PDG de la SocGen. Si l'on en croit un article du Canard enchaîné de ce mercredi, la question du contrôle des risques de marché est un «chantier que Bouton a toujours négligé», indique un administrateur de la banque.
«Daniel Bouton ne s'est jamais intéressé aux systèmes de contrôle, affirme le patron d'une grosse boîte de services informatiques, interrogé par le Canard. Seule lui importe la rentabilité des opérations de marché. Il n'a jamais voulu investir suffisamment dans les outils de contrôle.» Du coup, les logiciels de calcul de risques de la Générale seraient «sous-dimensionnés» et n'arriveraient plus «à suivre l'augmentation du nombre des opérations».
Une vision démentie par la SocGen, qui s'en tient à la «théorie du tireur isolé» : «Les processus de contrôle ont tous correctement fonctionné, mais Kerviel, qui les connaissait, a pu les contourner», assène un responsable de la banque, cité par le journal satirique.
La SocGen reste indépendante grâce au risque... et se brûle les ailes
L'International Herald Tribune du 5 février affirme cependant que la hiérarchie «a mis un soin tout particulier à ne pas entendre les avertissements qui lui étaient adressés par la Bourse germano-suisse Eurex», écrit encore Hervé Martin dans le Canard. Ces avertissements ont été donné les 7 et 26 novembre 2007. Avec, pour tout résultat, des réponses plutôt vagues... et un scandale à 4,9 milliards d'euros pour la banque.
Le New York Times va plus loin encore. Le quotidien cite un employé de la banque selon lequel les traders de la SocGen étaient encouragés à prendre des paris sur les marchés avec les ressources propres de la banque. Une technique baptisée «trading pour compte propre»... et pratiquée sur le desk d'arbitrage où travaillait Jérôme Kerviel.
Pascal Decque, analyste chez Natixis (interrogé par l'AFP), estime donc que la Société Générale a «probablement» pris des «positions un peu plus risquées que la moyenne des autres banques françaises» pour doper la rentabilité de sa banque de financement et d'investissement. Une activité qui représentait, en 2006, 45 % de ses profits.
Objectif final : tenir les prédateurs à l'écart. Pour un banquier parisien, «la Société Générale s'est brûlé les ailes en prenant un maximum de risques pour assurer son indépendance».
Société Générale : Daniel Bouton sauvé par l'activisme de Nicolas Sarkozy
Face à ces éléments résolument à charge, Daniel Bouton peut-il encore sauver sa tête de PDG de la Société Générale ? Cela semble difficile. Certes, le conseil d'administration l'a confirmé à son poste le 30 janvier. Mais, si l'on en croit à nouveau le Canard enchaîné, il s'agirait moins d'un choix raisonné que d'une décision politique. Au cur du dossier : les déclarations de Nicolas Sarkozy, justement.
Un administrateur s'est ainsi confié au Canard : «Virer Bouton aurait donné l'impression que nous cédions à Sarko et qu'en quelque sorte, la banque était renationalisée. Cela aurait été un très mauvais signe, notamment pour les dirigeants des banques américains JP Morgan et Morgan Stanley, qui garantissent les 5,5 milliards d'augmentation de capital de la Générale.» Une opération qui devrait être lancée «dans les jours qui viennent», a d'ailleurs prévenu l'AMF, le gendarme boursier français.
Le «débarquement» de Daniel Bouton pourrait-il donc n'être qu'une question de «jours» ? C'est fort possible, à en croire cet administrateur prudemment anonyme : «La presse n'a retenu que le maintien de Bouton, mais elle n'a pas assez insisté sur le fait que nous avons constitué un comité de trois administrateurs qui décideront seuls de l'avenir de la banque.» Et de la présence de Bouton à la tête de cette même banque...
Le «comité spécial» qui décidera de l'avenir de la SocGen ne doit rien à Bouton
Une autre explication du maintien de Bouton au poste de PDG est avancée par le magazine Challenges. Vincent Beaufils, directeur de la rédaction, détaille ainsi la composition du conseil d'administration de la SocGen :
«Il est composé de seize membres. Sur ces seize administrateurs, quatre sont des salariés de la banque, y compris Daniel Bouton et son n° 2 Philippe Citerne, ce qui entraîne naturellement une certaine mesure de leur part dans la critique. Un autre est Robert Day, le président de la compagnie américaine Trust of The West, sur lequel pèsent des soupçons de délit d'initiés, et qui est donc peu enclin à faire du tapage. Quatre autres sont étrangers, par nature plus discrets que des hommes d'affaires rompus aux habitudes du business français.
Deux autres ont connu dans leur vie professionnelle des moments difficiles - Antoine Jeancourt Galignani, lorsqu'il a dû éponger des milliards de pertes immobilières en tant que président d'Indosuez, et Luc Vandevelde, remercié de Carrefour par ses actionnaires - et ne se sentent pas forcément entraînés à tirer sur une ambulance.
Deux autres enfin ont des rapports particuliers avec Daniel Bouton, ce qui peut modérer leur capacité d'intervention : Michel Cicurel est le seul banquier du conseil, à la tête de la Compagnie financière Edmond de Rothschild (il rêve donc peut-être du coup d'après), tandis que Patrick Ricard a enrôlé en novembre dernier dans son conseil la propre femme de Daniel Bouton, Nicole, une banquière émérite certes, mais Madame Bouton quand même.
Bref, sur seize membres, il n'y en a finalement que trois qui n'ont aucune raison de ne point garder leur franc parler : le professeur de Dauphine Elie Cohen, le patron de Groupama Jean Azema, l'ex-patron de Peugeot Citroën Jean-Martin Folz. On peut toutefois se rassurer, puisque ces deux derniers ont été nommés dans le «comité spécial» chargé de gérer la crise provoquée par les 7 milliards de pertes affichées par la Société Générale.»
Derrière le ton volontiers ironique du directeur de Challenges, on retiendra la dernière information : deux des trois membres du comité spécial ne «doivent rien» à Daniel Bouton. Seront-ils enclins à la clémence envers le PDG entaché ? L'avenir le dira. Un avenir plutôt incertain pour un patron fâché avec les chiffres... N'affirmait-il pas, en septembre dernier à Challenges, que la crise des subprimes ne frapperait la Société Générale qu'à hauteur de 100 à 200 millions d'euros ? Ce sera finalement 2 milliards. Entre 10 et 20 fois plus. Une paille.
Vincent Degrez, avec Belga