* Des débats constructifs et apaisés * "Il vaut mieux débattre que se battre", dit le maire * "On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre" par Gilbert Reilhac SARRALBE, Moselle, 21 janvier (Reuters) - Aide à tous les petits salaires ou prise en compte du revenu fiscal ? Démocratie représentative ou pouvoir de la rue ? Prime à la casse ou transports en commun ? Loin de la violence de la rue, le premier grand débat organisé en Moselle, à Sarralbe, a confronté sereinement les points de vue pendant quatre heures. Dès 19 heures, vendredi dernier, les cinquante participants, venus de trente kilomètres à la ronde, sont prêts à débattre sur les gradins de la "Salle culturelle". L’assemblée est constituée pour moitié de retraités, mais aussi de quelques jeunes adultes et d’une dizaine de "Gilets jaunes", dont quatre en "tenue". Face aux débatteurs, Pierre-Jean Didiot, maire de Sarralbe et organisateur, lit la charte du grand débat et juge, en réponse à une question de Reuters sur les rangs clairsemés du public, que "ce n’est pas trop mal pour une réunion de travail". "Je suis de ceux qui pensent qu’il vaut mieux débattre que se battre", ajoute ce cadre de l’industrie pharmaceutique qui se revendique sans étiquette, mais a été élu, en 2014, sur une liste divers gauche et a fondé, en 2016, un comité "En marche". "Mais attention, poursuit-il, si le gouvernement cherche juste à gagner du temps et s’il n’y a pas une écoute derrière, ça va revenir avec un mécontentement multiplié par deux." A Sarralbe, ville de 4.700 habitants, Marine Le Pen est arrivée en tête aux deux tours de la présidentielle de 2017 et réalise d’une manière générale de très bons scores dans cette Moselle Est des anciennes mines de charbon – et de sel s’agissant de Sarralbe – où les industries de reconversion ne compensent pas encore les emplois perdus. Le mouvement des "Gilets jaunes" y est lui aussi bien ancré. LES MINEURS DE MONGOLIE MEURENT POUR LA VOITURE ÉLECTRIQUE Quelques secondes suffisent pour lancer le débat. Un retraité dénonce pêle-mêle la CSG qui pèse sur les petites retraites, si le revenu fiscal est suffisamment élevé, les étrangers qui peuvent toucher le minimum vieillesse "sans avoir cotisé" (à condition d’être titulaire depuis dix ans d’un titre de séjour autorisant à travailler, ce qu’il ne précise pas) et le niveau des retraites qui ne suit pas le coût de la vie. "Moi, des propositions, j’en fais pas parce que si on a des gens intelligents en face de nous, les propositions coulent d’elles-mêmes", conclut-il. Josette, jeune retraitée qui dit toucher 500 euros par mois et être soumise à la CSG du fait du salaire de son mari, conteste la prime à la casse qui ne sert qu’à "acheter des véhicules inutiles" car polluants et propose d’utiliser l’argent pour augmenter l’offre de transports en communs. Un homme d’un certain âge regrette qu’on envoie en Afrique les véhicules diesel réformés comme si "les Africains étaient moins sensibles à la pollution que nous". Il conteste que la voiture électrique puisse être qualifiée de propre quand, en Mongolie, des mineurs "meurent du cancer" pour extraire les minerais nécessaires aux batteries. Un autre ne comprend pas qu’on pense à interdire le glyphosate en France tout en important "des fraises cultivées avec du glyphosate qui viennent d’Espagne". "Il faut une solution européenne", dit-il. "Pourquoi ne pas taxer le fioul lourd des porte-conteneurs qui tournent 24 heures sur 24 plutôt que l’essence à la pompe ?" suggère quelqu’un. Un retraité recentre le débat sur "le problème numéro 1 des Gilets jaunes (…), le pouvoir d’achat". Augmenter de façon "substantielle" les bas salaires serait, selon lui, la clé du problème de désindustrialisation de la France. "On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, acheter des espadrilles à 10 euros et avoir encore des usines de chaussures en France", dit-il, en soulignant que la production dans les pays à bas coûts "remplit les poches des gros bonnets". LE RIC, DANGER POUR LA DÉMOCRATIE ? Le débat vient sur la démocratie et le référendum d’initiative populaire, "la meilleure solution" pour l’un, "un danger pour la démocratie", selon l’autre. "Moi, la démocratie me fait peur", affirme un homme se présentant comme ingénieur au RSA. "Les avantages acquis l’ont été dans la rue", poursuit-il en contestant le système parlementaire et le rôle des journalistes. Il est repris sur ce point par Pierre-Jean Didiot pour qui la liberté d’expression est "une pépite" dans notre pays. Le maire sortira encore de sa neutralité après des critiques parfois émises sur une intervention ou pour stopper une diatribe relative aux étrangers "hors sujet". La discussion n’échappe pas aux fausses nouvelles ni aux théories du complot. Des accords européens interdiraient aux agriculteurs français de produire des tourteaux de soja ; le moteur à air comprimé "fonctionnait très bien mais les lobbies ont fait en sorte que ce soit étouffé", affirme Josette, rejointe par un autre participant qui défend le moteur à eau. "Attention aux ‘fake news’", les reprend un retraité qui a "travaillé dans l’industrie" et explique pourquoi ces deux inventions n’ont, jusqu’à présent, pas prospéré. Quand Christian, un ingénieur dans l’industrie, habitant à Sarralbe, dénonce les "déserts médicaux et la perte des commerces de proximité" dans les petites villes, l’ingénieur au RSA y voit la main de ceux qui "ont de l’argent et le placent dans l’immobilier". "Ils ont tout intérêt à pousser les gens vers les villes et à appauvrir les campagnes", dit-il, vite contredit par un autre débatteur qui impute la hausse des loyers aux effets pervers des Aides personnalisées au logement. A 21 heures, le débat s’achève sans qu’aucun des participants n’ait quitté la salle et sans polémique entre des points de vue émanant de bords politiques opposés. Ils seront une trentaine à rester pour la seconde partie qui consiste à se réunir autour de deux tables pour trouver des consensus et remplir les questionnaires relatifs à deux des quatre thèmes du grand débat : fiscalité et dépenses publiques, démocratie et citoyenneté. PIZZAS POUR SOIRÉE TARDIVE Des parts de pizzas et quelques boissons commandées par le maire viennent entretenir les discussions qui se poursuivent jusqu’à 23 heures pour une table quand l’autre n’a toujours pas fini. Un prochain débat permettra d’aborder les deux autres thèmes : la transition écologique et l’organisation de l’Etat. Certains des participants les plus actifs interrogés par Reuters ne cachent pourtant pas leur scepticisme. "Quand on méprise autant un peuple, on ne peut pas faire un grand débat, et les questions sont orientées", estime Robert Curti. Venu de Forbach, ce solide gaillard dit gagner "très bien sa vie", mais participe au mouvement des Gilets jaunes. Il voit dans le grand débat une manœuvre d’Emmanuel Macron pour annoncer quelques mesures avant les européennes de mai prochain. "C’est de la manipulation, les débats", renchérit André Vogel, le mari de Josette, ouvrier chez Continental, une usine de pneumatiques. "On nous demande si on veut être pendu ou guillotinés", ajoute Josette Vogel. Michel Haffner, 62 ans, se veut plus positif. "Si ça peut faire avancer le ‘Schmilblick’, pourquoi pas, et j’espère que ce n’est pas de l’enfumage", dit, le regard fatigué, cet ancien mineur des houillères du bassin de Lorraine reconverti, ancien syndicaliste FO et aujourd’hui retraité, qui porte moustache, bonnet noir sur la tête et gilet jaune sur un pull anthracite. "Si ça peut rassembler les gens pour qu’ils discutent et fassent remonter des idées qui seront prises en compte, ce sera profitable à tout le monde", analyse Christian Jousset, ingénieur dans l’industrie qui n’est pas "Gilet jaune". "Après, il faudra faire la part des choses, si 20 % d’une proposition est retenu, c’est déjà quelque chose." (Edité par Yves Clarisse)
REPORTAGE-Soirée studieuse pour le "grand débat" au pays des mines de Lorraine
information fournie par Reuters 21/01/2019 à 13:57
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