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Dans les palais du pouvoir, isolés derrière des murailles de certitudes, deux dirigeants solitaires partagent un même destin tragique : l'aveuglement stratégique. L'un règne à l'Est, l'autre à l'Ouest. Vladimir Poutine et Donald Trump, que tout semblait opposer, se sont pourtant rejoints sous le prisme d'une illusion commune – la croyance que leur volonté pouvait plier le réel à l'aune de leurs désirs. Chacun, enfermé dans sa bulle informationnelle, a avancé en visionnaire aveugle, persuadé de détenir sa vérité envers et contre tout.
À Moscou, le maître du Kremlin scrutait l'horizon à travers le miroir déformant de l'idéologie. Persuadé que l'Ukraine n'était qu'une province égarée de la « Mère Russie », il était convaincu que ses « frères » russophones l'accueilleraient à bras ouverts. Ses services de renseignement, empressés de nourrir cette certitude, lui fournissaient des rapports trompeusement rassurants. On y promettait des fleurs et des acclamations dans les villes prétendument « libérées ». L'armée russe elle-même s'élança en campagne avec l'assurance insolente des vainqueurs annoncés : ses soldats avaient emporté leurs uniformes de parade, certains de défiler triomphalement à Kiev en quarante-huit heures.
Mais ce grand dessein se heurta vite au mur du réel. Loin d'être reçus en libérateurs, les envahisseurs trouvèrent face à eux un peuple farouchement déterminé à défendre sa terre. Ce qui devait être une promenade militaire victorieuse tourna au cauchemar sanglant. Au lieu des brassées de fleurs promises, ce furent les armes et la résistance acharnée qui accueillirent les colonnes russes.
Cette désillusion militaire prit racine dans une cécité préparée de longue date par le cercle du pouvoir. Aveuglé par son rêve impérial, Poutine n'avait toléré autour de lui que des voix qui confortaient ses préjugés – au point que ses plus fidèles lieutenants en étaient venus à lui cacher la vérité. Il apprit, trop tard, que nombre de ses « amis » de l'ombre maquillaient les rapports et lui mentaient depuis des années. Enfermé dans la solitude glacée du pouvoir, le « tsar » s'était piégé lui-même dans l'écho de sa propre propagande, prisonnier volontaire d'une réalité falsifiée.
À Washington, le décor est différent mais l'aveuglement demeure symétrique. Donald Trump, fort de ses certitudes économiques, a lancé en ce début d'année 2025 une croisade protectionniste d'une ampleur sans précédent. Dès son retour à la Maison-Blanche en janvier, il a rapidement mis en œuvre sa vision commerciale en imposant des droits de douane de 25% sur les importations du Canada et du Mexique, suivis par de nouvelles taxes sur la Chine. Le 13 février, il a signé un mémorandum instaurant des "tarifs réciproques", avant d'annoncer début avril un système complet de surtaxes douanières visant de nombreux pays : 34% pour la Chine, 20% pour l'Union européenne, avec un plancher universel de 10%.
Au cœur de cette stratégie se trouve sa promesse fondamentale de "Make America Great Again" - une vision de réindustrialisation massive des États-Unis. Pour Trump, les droits de douane ne sont pas simplement un levier de négociation, mais l'instrument principal d'une politique visant à rapatrier sur le sol américain les industries délocalisées depuis des décennies. Cette reconquête industrielle, déjà amorcée lors de son premier mandat, est désormais poursuivie avec une intensité redoublée. "Nos usines reviendront, nos emplois reviendront", martèle-t-il, convaincu que taxer massivement les importations forcera les entreprises américaines à reconstruire leurs chaînes de production localement. Cette vision d'un renouveau industriel américain, simple et séduisante pour son électorat, se heurte cependant à la complexité des chaînes d'approvisionnement mondiales que plusieurs décennies de mondialisation ont tissées.
Cette offensive protectionniste s'est toutefois heurtée à une réaction vigoureuse des marchés et de ses partenaires commerciaux. Face à l'effondrement des bourses mondiales et aux ripostes tarifaires, notamment celle de la Chine qui a imposé 84% de droits de douane sur les produits américains, Trump a été contraint à un repli stratégique spectaculaire. Le 9 avril 2025, en l'espace de quelques heures, il a à la fois durci sa position envers la Chine en portant les droits de douane à 125% sur ses produits, tout en suspendant pour 90 jours les surtaxes douanières "réciproques" pour tous les autres pays, les ramenant temporairement au plancher de 10%.
Cette volte-face soudaine, que la Maison-Blanche a présentée comme une "pause de négociation", traduit la confrontation brutale entre les convictions protectionnistes de Trump et la réalité économique mondiale. Le président américain lui-même a reconnu que ses mesures "effrayaient un peu", avouant avoir surveillé le marché obligataire avant de prendre sa décision. Ce revirement a immédiatement provoqué un rebond spectaculaire des marchés, le Nasdaq bondissant de plus de 12% en quelques heures.
Comme durant son premier mandat, où ses guerres commerciales avaient entraîné une inflation accrue pour les consommateurs américains et nécessité 28 milliards de dollars d'aides aux agriculteurs touchés par les représailles chinoises, Trump se retrouve confronté aux limites de sa vision économique. Les surtaxes douanières qu'il avait qualifiées de "gentilles" se sont révélées, aux yeux des marchés et de nombreux experts, comme potentiellement catastrophiques pour l'économie mondiale, au point que même ses plus fervents partisans de Wall Street ont commencé à exprimer leur inquiétude.
Cette séquence illustre parfaitement la mécanique du pouvoir qui s'isole et s'égare dans ses certitudes. Tel l'empereur nu de la fable, drapé d'illusions, le dirigeant entouré de flatteurs finit par croire aux légendes qu'il se raconte à lui-même. Poutine, ivre de visions impériales et messianiques, et Trump, animé d'une foi quasi mystique en un nationalisme économique simpliste, ont l'un comme l'autre succombé au chant des sirènes de leurs convictions, jusqu'à confondre leurs désirs avec la réalité.
Autour de ces hommes, les conseillers, courtisans et idéologues ont filtré l'information et flatté la doxa du chef, accentuant encore l'aveuglement. L'idéologie a agi comme un prisme qui déformait tout ce qu'ils percevaient du monde extérieur. Pourtant, la vérité finit toujours par surgir, brutale et implacable. On peut l'ignorer ou la retarder, mais non la vaincre.
Pour Poutine, elle a pris la forme d'une guerre qui s'est enlisée aux portes de l'Europe et d'une nation ukrainienne indomptable ; pour Trump, celle d'un chaos financier et commercial qui l'a contraint à un repli tactique précipité. Aujourd'hui, en ce printemps 2025, alors que le président américain ouvre une "période de négociation" de 90 jours avec ses partenaires commerciaux, le monde observe si les leçons du passé seront enfin retenues.
Ainsi, les décisions prises dans le confort illusoire de bulles hermétiques se payent au prix fort. Le déni d'un seul homme, érigé en système de gouvernance, engendre des secousses géopolitiques mondiales : guerre ravageuse d'un côté, désordre économique de l'autre. Et au final, la désillusion, immense, se dresse à la mesure de l'aveuglement initial.
Bien à vous