H5N1 : quatre mutations qui rendent un virus aviaire contagieux entre mammifères
Par Cécile Dumas le 04.05.2012 à 12h52, mis à jour le 04.05.2012 à 12h52
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En manipulant le virus de la grippe aviaire en laboratoire, des chercheurs démontrent comment le virus H5N1 pourrait devenir contagieux entre mammifères. Une évolution redoutée.
Après plusieurs mois de discussions et de négociations, les recherches sur le virus H5N1 muté sont enfin publiées. En démontrant que quelques mutations génétiques suffisent à rendre le virus de la grippe aviaire facilement transmissible entre mammifères, ces travaux avaient soulevé des craintes de la part des autorités américaines, craignant notamment une récupération bioterroriste. Finalement, la censure a été levée et les chercheurs sont autorisés à publier.
Léquipe de Yoshihiro Kawaoka (Université of Wisconsin, États-Unis/ Université de Tokyo, Japon) est la première à publier cette semaine dans la revue Nature. Celle de Ron Fouchier (Centre Erasmus de Rotterdam, Hollande) est en cours de relecture par la revue Science.
Lobjectif de ces recherches parallèles est de comprendre ce qui peut rendre le virus de la grippe aviaire H5N1 contagieux entre mammifères, alors que pour linstant il faut des contacts proches et répétés pour que le H5N1 passe de loiseau à lhumain. Connaître les mutations génétiques et les recombinaisons nécessaires aidera à surveiller l'évolution de ce virus, plaident les chercheurs.
Yoshihiro Kawaoka et ses collègues ont centré leurs recherches sur lhémagglutinine, la protéine du virus grippal qui lui permet de se lier avec des récepteurs présents sur les cellules de lhôte quil infecte, au niveau des voies respiratoires supérieures (nez, trachée). Voici comment ils ont procédé :
Première étape : introduire des mutations au hasard dans lhémagglutinine du virus H5N1. Les récepteurs visés par cette protéine sont différents chez les mammifères et chez les oiseaux. Sur plus de 2 millions de souches virales ainsi obtenues, les chercheurs ont obtenu une seule souche qui se liait aux récepteurs humains plutôt quaviaires.
Deuxième étape : léquipe de Kawaoka a créé un virus hybride à partir de cette souche et du virus H1N1, responsable de lépidémie de grippe de 2009-2010. Ils ont remplacé lhémagglutinine de ce virus humain par lhémagglutinine mutée du H5N1 obtenue lors de létape précédente.
Troisième étape : ce virus hybride a été inoculé à des furets, le meilleur modèle pour létude de la grippe chez les mammifères. Après plusieurs séries dinfections (le virus étant prélevé chez un animal infecté puis inoculé à un animal sain à plusieurs reprises), les chercheurs ont constaté quune souche virale pouvait être transmise directement dun furet à un autre, comme le virus de la grippe peut passer dun humain à un autre par la projection de gouttelettes Cependant aucun furet nest mort et linfection par ce virus H5N1 muté peut être soignée avec le Tamiflu. De plus le virus nétait pas aussi contagieux que le H1N1 de 2009.
Quatre mutations seulement
Après avoir isolé et séquencé ce H5N1 mutant, les chercheurs ont constaté que quatre mutations sur lhémagglutinine seulement permettaient au virus aviaire de devenir transmissible entre mammifères par voie aérienne. Trois mutations contribuent à la liaison avec les récepteurs de la cellule à infecter. La quatrième permet au virus de sadapter à lenvironnement humain, plus acide, et de pouvoir injecter dans la cellule infectée son matériel génétique. Cette mutation stabilise lhémagglutinine du virus aviaire, explique Kawaoka à la revue Nature. Elle lui fournit une capacité de résistance à des températures élevées.
Les mutations qui permettent au H5N1 de se lier aux cellules humaines ont déjà été observées sur des souches en circulation, mais pas la quatrième. Elle offre un nouveau terrain de test, suggère Kawaoka : en chauffant jusquà 50°C des souches de H5N1 qui savèrent capables de se lier à des cellules humaines, on pourrait détecter si leur hémagglutinine est stable. Indice compromettant.
Sciences & Avenir.fr
04/05/12