
"L'emballage en verre est un marché à barrière à l'entrée élevée puisqu'une verrerie coûte au bas mot 80 millions d'euros, et ce n'est par ailleurs pas un petit marché non plus, puisqu'il est estimé globalement à plus de 50 milliards de dollars ou d'euros." (crédit photo : Adobe Stock / )
Il est de bon ton de dire que les marchés d'actions européens sont complètement largués, dépassés, voire ringardisés par la santé insolente de la Bourse américaine, et de l'économie US sous-jacente. Avec la High Tech qui balaie tout (et ses fournisseurs d'électricité décarbonée aussi), et dont nous sommes quelque peu démunis de ce côté-ci de l'Atlantique.
Mais il n'y a pas de fatalité, la High Tech n'est pas tout, même si elle remue beaucoup d'air en ce moment, et la balancier finit toujours par repartir dans l'autre sens. Ce qui pourrait profiter un jour à l'investisseur contrariant, après avoir bien profité à l'investisseur en tendance il est vrai. Et regarder ce que peu de monde regarde en ce moment : la vieille industrie, par exemple, n'est peut-être pas du temps complètement gaspillé. Et de grosses midcaps européennes comme Verallia méritent éventuellement un coup d'œil appuyé.
Poids lourd européen du verre, sans aucun doute
Avec un chiffre d'affaires de 3,4 milliards d'euros attendu pour 2024, 11 000 salariés environ, et plus de 16 milliards de bouteilles et de pots en verre produits en 2023, le moins que l'on puisse dire est que Verallia est une belle PME industrielle, ce qui n'est déjà pas mal par les temps qui courent. Et aussi un grands verrier européen, avec 35 verreries et 64 fours, et 5 ateliers de décoration dans 12 pays, et 10 000 clients en tout : les caves vinicoles d'abord, pour les vins tranquilles (31% chiffre d'affaires) et les vins à bulles (12%), les fabricants de spiritueux (16%) et les brasseurs (12%) ensuite, et enfin les fabricants de boissons non-alcoolisées (11%CA), et aussi les conserveries (17%CA). Verallia réalise l'essentiel de son activité en Europe, principalement en France, Italie, Espagne, Portugal et Allemagne, plus l'Europe de l'Est, mais est aussi en Amérique Latine, avec environ 10% de ses ventes entre le Brésil, le Chili et l'Argentine.
Métier oligopolistique, et il n'y a pas de mal à ça
Verallia est l'ex Saint-Gobain Emballage, renforcé par de belles acquisitions comme la verrerie d'Albi (ou plutôt la VOA, pour Verrerie Ouvrière d'Albi), et un des deux très grands acteurs du secteur en Europe et en France, face à l'américain Owens Illinois, qui avait quant à lui racheté BSN Glasspack. Il y a aussi des concurrents plus petits concentrés sur certains créneaux, comme le français Saverglass, un verrier de la vallée de la Bresle positionné sur la bouteille de spiritueux haut de gamme, et qui fait à présent partie du groupe d'emballage australien Orora, ou encore Pochet, groupe familial qui a été coté un temps, grand spécialiste du flaconnage de parfumerie bien décoré, etc…
L'emballage en verre est un marché à barrière à l'entrée élevée puisqu'une verrerie coûte au bas mot 80 millions d'euros, et ce n'est par ailleurs pas un petit marché non plus, puisqu'il est estimé globalement à plus de 50 milliards de dollars ou d'euros. Mais c'est un marché assez régional nonobstant cela, puisque le verre voyage assez peu et le client doit être à 500 km maximum des sites de production. Et enfin un marché plutôt oligopolistique où les création de capacités par les acteurs en place sont disciplinées a priori, et sur lequel aucun nouveau concurrent n'est entré depuis vingt ans, ce qui ne gâte rien.
Des hauts et des bas depuis l'IPO
Verallia a été introduit en Bourse en septembre 2019 à 27€ par action, par cession de 32% du capital existant alors entre les mains d'Apollo (à 90%, Bpifrance ayant le reste), un fond américain qui prend des participations majoritaires avant tout dans ses investissements, et avait racheté la société à Saint-Gobain en 2015. Et, pour être très précis, cette introduction n'avait pas soulevé un enthousiasme démesuré, faite finalement en bas de fourchette, et sans être vraiment sursouscrite. Et pour cause : l'offre se faisait sur une valorisation plutôt forte pour une affaire industrielle avec un PER de 17x environ, et à plus de 2x valeur d'entreprise/chiffre d'affaires. Une valeur d'entreprise élevée, puisqu'il y avait beaucoup de dettes financières dedans. Et un bilan bizarre aussi, puisque, ô surprise, Verallia n'avait pratiquement pas de fonds propres au moment de son introduction (environ 50 millions d'euros pour une hauteur de bilan de 3 347 millions d'euros, ce n'est pas beaucoup), vraisemblablement parce que ses actionnaires s'étaient auparavant versé de très (trop ?) bons dividendes. Ceci expliquant aussi éventuellement pourquoi Apollo est sorti ensuite complètement du capital par cessions de blocs successives, puisqu'on ne pouvait décemment plus faire de même après l'IPO.
Ceci étant, le titre n'a pas démérité après son introduction, avec un cours à un plus haut historique de plus de 44€ atteint en août 2023, et a aussi suscité l'intérêt d'un nouveau grand actionnaire, le fond brésilien BWSA, un family office qui a pris en tout près de 29% du capital et semble là pour le long-terme. En espérant que Bpifrance, qui a encore 7,6% pour sa part, en fasse autant. Ce qui reste à prouver.
Rentabilité : deux années intenses….
Verallia a réalisé deux très bons exercices en 2022 et 2023, soit un chiffre d'affaires en croissance de respectivement de +26,5% et +14,3% en organique, et de +25% et +16,5% en tout avec l'apport d'Allied Glass, un verrier écossais acheté courant 2022 qui, comme on peut s'en douter, travaille d'abord pour les distilleries de whisky. En 2022, le groupe a bénéficié a) d'un effet mix favorable (selon le client et la sophistication du produit, les bouteilles sont facturées de quelques centimes à plusieurs euros à l'unité), b) de fortes hausse de prix qui ont compensé les fortes hausses de coûts, et c) de volumes toujours à un très bon niveau en fait, soit un vrai effet de levier sur la marge opérationnelle, laquelle gagne +1,7 point à 18,6%, ce qui est beau en valeur absolue, aidée aussi par la bonne performance de l'Amérique Latine liée à un fort volume, et malgré une chute des volumes en Ukraine (2% du chiffre d'affaires environ). Ce dernier pays étant restée profitable en termes d'excédent brut d'exploitation (alias Ebitda, pour qui maîtrise le franglais financier), autrement dit le chiffre d'affaires diminué de toutes les charges payées.
Et 2023 aura été une année plutôt extraordinaire, avec une marge opérationnelle de 21,3% à nouveau en forte progression, soit encore +2,7 points, toujours avec un effet mix favorable, les effets des hausses de prix en année pleine aussi bien en Europe qu'en Amérique Latine, une bonne demande dans les vins pétillants et les conserves, des capacités bien saturées a priori et une productivité améliorée, le tout compensant largement des volumes en baisse en Europe, avec une demande finale faiblarde, la consommation étant ce qu'elle est, et aussi et surtout un déstockage violent chez beaucoup de grands clients.
… et 2024 moins bon, mais quand même
Le tableau est toutefois nettement moins reluisant en 2024, ce qui n'a pas manqué de peser sur le cours de Bourse, avec un chiffre d'affaires du 1er semestre en recul de -17,6% soit -10,4% à données constantes, avec des effets volumes (les boissons non alcoolisées surtout, avec ce printemps très pluvieux), prix et mix produits négatifs partout. Ce qui fait que la marge opérationnelle perd -9 points à 13,9%, puisque l'on absorbe tout d'un coup moins bien les coûts fixes élevés de ce métier, alors que, pour ne rien arranger, les coûts variables augmentent plus que les prix de ventes ("spread d'inflation" négatif).
Une tendance qui s'améliore un peu au troisième trimestre, où le chiffre d'affaires ne recule plus que de -6,6% en publié, avec des prix toujours en baisse en Europe, que ne rattrape pas une petite reprise des volumes sur un an, tirés par la bière et les pots alimentaires. Ce qui fait que, avec un dernier trimestre un peu comme le troisième, l'exercice 2024 tout entier devrait se traduire par un chiffre d'affaires en recul d'au moins -10%, et une marge opérationnelle possiblement de plus de 14% mais sûrement de moins de 15%.
Ce qui n'est toutefois plutôt pas mal en valeur absolue : le verre est un bon métier, sans aucun doute, avec de bons niveaux de prix moyens apparemment même si c'est un peu moins, puisque le verre ne se délocalise pas et donc ne s'importe pas, et avec des marges finalement plus sensibles aux taux d'utilisation des capacités qu'au coût de l'énergie. Celui-ci n'étant que 20% du total des coûts, et étant relativement bien maîtrisé par des couvertures à trois ans sur les achats de gaz, ce qui suffit a priori même s'il y a peu de clauses d'indexation dans les contrats avec les clients, les brasseurs, qui ne sont toutefois pas les meilleurs clients, exceptés.
Comment devenir durable dans la verrerie
Verallia a un petit côté inclassable, puisque c'est à la fois a) une valeur de l'économie circulaire, puisque sa matière première est à plus de 50% du calcin, du verre collecté dans les rues que le groupe trie dans 19 centres de traitement en France, en Allemagne et en Espagne, centres dans lesquels le groupe a bien investi ces dernières années, et que le verre est donc recyclable, en plus d'être neutre chimiquement, et, b) un gros émetteur de CO2 avec ses fours qui brûlent essentiellement du gaz, et un objectif de réduction des émissions de -46% d'ici 2030.
Ce à quoi la société ambitionne d'arriver en remplaçant peu à peu ses fours à gaz par des fours électriques ou hybrides à chaque fois qu'il faut renouveler un équipement en fin de vie. Avec un premier four électrique démarré à Cognac, un prototype en fait, qui ne consomme que de l'électricité verte ou décarbonée. Laquelle coûte toujours plus cher que le gaz, mais est plus efficiente énergétiquement parlant pour produire du verre en fusion, lequel verre sert aussi à produire des bouteilles pour des clients haut de gamme disposés à payer un meilleur prix, marketing écologique oblige.
La suite : retour au "business as usual" ?
La direction de Verallia communique sur un retour du marché européen à un rythme de croissance lente mais visible, +2% par an moyenne, des volumes, soit la tendance de croissance de long-terme historique, la fin du déstockage aidant. Ceci malgré quelques marchés finaux mal orientés, tels les vins d'entrée de gamme ou encore le cognac, qui a les problèmes que l'on sait (cf Rémy Cointreau et Pernod Ricard), mais qui ne pèsent pas beaucoup en principe dans l'activité du groupe, qui est largement diversifié en fait.
D'autant que Verallia a semble-t-il réalisé un mouvement intéressant en rachetant à son confrère espagnol Vidrala sa filiale italienne en juillet dernier : la verrerie Corsico implantée près de Milan, qui opère deux fours avec une capacité de 225kt par an, et un chiffre d'affaires de l'ordre de 130 millions d'euros. Ce qui apporte à Verrallia un meilleur maillage territorial, soit une meilleure proximité des clients et la possibilité d'optimiser les productions entre les sites, le tout sur un marché italien dynamique, tiré par les bonnes exportations agroalimentaires : vins, Proseco, sauce tomate, huile d'olive, etc…
Bref : il ne reste plus qu'à continuer à renforcer un bilan toujours un peu trop endetté, même si Verallia a reconstitué des Fonds Propres, lesquels sont de plus de 900 millions d'euros à fin juin 2024. Le ratio Dette Nette/Fonds Propre devrait de fait continuer à se réduire avec le free cash-flow, même si ce sera moins en 2024 qu'en 2023 qui avait été une année exceptionnelle, puisqu'on a payé un gros dividende en 2024 sur la base des gros résultats 2023, et alors que Verallia a dépensé 200M€ pour son acquisition italienne.
Mais on devrait y arriver : patience et longueur de temps finiront par payer, dans ce vieux métier "low tech" qui a encore un avenir semble-t-il.
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