
"Les pays exportateurs de pétrole auraient plus que jamais besoin de leur ressources pétrolières pour être en mesure d’apporter les réponses à la hauteur des dégâts humains et économiques inédits provoqués par l’épidémie." (Crédits photo : Adobe Stock)
Les déboires du secteur pétrolier américain ont été fracassants ces derniers jours et auront des conséquences économiques, financières, voire politiques, très significatives aux États-Unis. Si l'effet de la chute des prix du pétrole peut s'avérer utile pour le consommateur, encore faudra-t-il attendre que celui-ci soit en mesure d'en profiter pour pouvoir le constater, ce qui impose a minima qu'il retrouve une plus grande mobilité.
Ceci mettra un certain temps dans le contexte actuel, au point, peut-être, de compromettre la traditionnelle «driving season» estivale. En attendant, ce sont surtout les effets négatifs qui se feront sentir : fermeture des puits, chute de la production et son impact sur les activités en aval, détérioration additionnelle des perspectives d'investissement et, surtout, faillites d'entreprises pour la plupart très endettées dont les défauts n'épargneront pas les banques américaines.
La facture est lourde et s'ajoute à celle d'une épidémie aux conséquences déjà désastreuses pour la première économie mondiale. La situation n'arrange pas, non plus, les affaires d'un président américain qui a fortement misé sur le secteur depuis son accession au pouvoir et dont les chances de réélection sont intimement liées au soutien des électeurs des régions pétrolières du pays, au premier rang desquelles le Texas.
Une influence sur les autres marchés de matières premières
Mais les effets de l'effondrement des prix du pétrole vont bien au-delà.
• Ravageuse pour le monde producteur dans son ensemble, la chute des cours de l'or noir met de nombreuses économies en situation précaire, parmi lesquelles d'importantes économies émergentes ou sous-développées dont l'instabilité économique et financière susceptible de naitre de l'effondrement de leurs recettes pétrolières est un facteur de risque additionnel majeur dans le contexte de crise du Covid-19. Les pays exportateurs de pétrole auraient plus que jamais besoin de leur ressources pétrolières pour être en mesure d'apporter les réponses à la hauteur des dégâts humains et économiques inédits provoqués par l'épidémie. Si la relative solidité de leur réserves a jusqu'à présent prévenu une hémorragie généralisée des devises, il est probable que des cours du pétrole durablement comprimés finiront par avoir aussi raison de ce facteur de protection temporaire.

Cours du pétrole et devises pétrolières. (source : RF Research, Macrobond)
• Les cours du pétrole ont par ailleurs une influence toute particulière sur le marché de l'ensemble des autres matières premières auxquelles ils donnent souvent le la, qu'il s'agisse des produits industriels ou agricoles mondiaux. Si les incertitudes relatives au risque d'approvisionnement inhérent à la paralysie des nombreuses ressources productives se sont avérées de solides garde-fous ces dernières semaines, le choc de demande consécutif à la crise actuelle plaide incontestablement pour une convergence à la baisse des prix une fois les risques de pénurie écartés, autrement dit au fur et à mesure de l'assouplissement des mesures de distanciation. La liste des pays impactés par la chute de leurs recettes à l'exportation risque dès lors de s'allonger considérablement, parmi lesquels, encore une fois, de nombreux pays émergents, d'Amérique Latine et d'Afrique en tout premier lieu, sans oublier certaines économies d'Europe centrale et la Russie. Ces pays auront-ils longtemps le loisir d'échapper à des politiques restrictives tandis que résonnent déjà les rappels à l'ordre du FMI ? C'est peu probable, ce qui suscite d'importantes inquiétudes sur l'évolution de leur situation économique et de leur contexte politique.
• Enfin, les cours du pétrole jouent un rôle inégalable sur les mécanismes de formation des prix, de sorte que quand ils s'effondrent les perspectives d'inflation ne tardent jamais à suivre la tendance ; une caractéristique bien contrariante pour des marchés qui, inlassablement ces dernières années, plébiscitent un scénario de reflation dont les pourtours se résument par les principaux points suivants :
- Veille économique du Président américain et, non loin, du gouvernement chinois, donc confiance dans la croissance future.
- Remontée des cours du pétrole et des matières premières.
- Regain supposé de pricing power des entreprises et donc des anticipations de résultats.
- Hausse calibrée des anticipations d'inflation ; ni trop forte pour ne pas questionner la poursuite du soutien monétaire ni trop basses pour ne pas signifier de risque majeur de déflation.
- Hausse des bourses, d'autant plus aisée que les banques centrales assurent de postures durablement ultra-accommodantes et donnent l'impression de protéger de tous les risques majeurs.
TINA pour "there is no alternative"
La mécanique s'est révélée tellement puissante qu'on lui a trouvé un petit nom : TINA, acronyme de «There Is No Alternative», qui consiste à voir dans chaque risque économique ou financier une nouvelle occasion d'assouplissement monétaire ; raison d'espérer des jours meilleurs et argument pour investir des liquidités foisonnantes sur des actifs de plus en plus risqués, les seuls rentables (seule alternative), mais dépourvus de risque réel puisque couverts par la veille des banques centrales…
À l'origine de la flambée des bourses du second semestre 2019, avant d'être ébranlée par les premières semaines de propagation du Covid-19 hors Chine, TINA est revenu en force à partir de la mi-mars, moment où face aux inquiétudes extrêmes liées à la propagation des mesures de confinement, les banques centrales ont sorti l'artillerie de guerre.
Illustration de ce retour, les cours du baril de pétrole ont réussi à temporairement se redresser jusqu'à 33 $ début avril, ouvrant la voie à un redressement des anticipations d'inflation après leurs niveaux anxiogènes observés mi-mars. En quelques trois semaines, l'indice phare de la bourse américaine s'est ainsi adjugé une hausse de 28 %, gommant la moitié des pertes qu'il avait enregistrées entre le 19 février et le 23 mars. TINA de nouveau à l'œuvre, les marchés mondiaux avaient retrouvé le sourire.
C'est cette belle mécanique que pourrait court-circuiter la crise du WTI au cas où elle signerait un changement radical d'environnement des prix pétroliers qui rendrait de facto indéfendable la perspective d'un scénario de reflation. Et c'est bien cette bataille qui se joue aujourd'hui entre les cours du pétrole et les anticipations d'inflation, lesquelles auront du mal à résister très longtemps à des pressions baissières persistantes sur les cours de l'or noir. La FED finira-t-elle par remplir ses sous-sols de pétrole pour préserver la valeur de ce qui semble le dernier rempart contre une baisse des marchés ?

Cours du pétrole et anticipations implicites d'inflation américaine. (Source : RF Research, Macrobond)
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