Les bénéfices de Total dépassent 12 milliards d'euros
LE MONDE | 13.02.08 |
Le groupe pétrolier Total a annoncé, mercredi 13 février, un résultat net ajusté (hors éléments exceptionnels) de 12,2 milliards d'euros de loin le plus important des entreprises du CAC40, mais en baisse de 3 % par rapport aux 12,5 milliards atteints en 2006. Mais, contrairement à la plupart des compagnies internationales (ExxonMobil, Shell, BP, Chevron, ConocoPhillips), la majordirigée depuis un an par Christophe de Margerie affiche une hausse de 1,5 % de sa production quotidienne (2,391 millions de barils équivalent pétrole) dans un environnement marqué par de nombreuses difficultés : incidents techniques, retards et dérive des coûts des projets, tensions politiques (Venezuela, Russie, Nigéria) et difficultés d'accès aux réserves.
Les dirigeants de Total expliquent ce recul du bénéfice net par la faiblesse du dollar par rapport à l'euro, les profits libellés en billets verts étant eux en progression de 6 % à 16,7 milliards de dollars (11,5 milliards d'euros). L'envolée du prix du baril fin 2007 il a atteint 100 dollars le 3 janvier a gonflé les profits des compagnies, même si les contrats de partage de production signés avec les pays producteurs prévoient que plus ce prix augmente moins les compagnies internationales en reçoivent.
En 2007, Total a dû ramener de 5 % à 4 % sa prévision de hausse de la production annuelle moyenne sur la période 2006-2010. Malgré un environnement économique et politique qui se dégrade, ses dirigeants restent confiants pour les années à venir en raison de la mise en production prochaine de plusieurs champs pétrolifères prometteurs. Et ce, malgré une baisse de 6 % l'an dernier des réserves prouvées, tombées à 10,4 milliards de barils (12 ans de production au rythme actuel).
Trop confiant ? Total a établi ces prévisions sur la base d'un baril à 60 dollars, alors que son prix oscille depuis quelques mois autour de 90 dollars. Atteindre ces 4 % suppose une forte augmentation en 2009-2010. Directeur général pour l'exploration-production, Yves-Louis Darricarrère assure que "Total dispose d'un des portefeuilles de projets les plus étoffés du marché sur la période 2006-2010". La production devrait encore afficher en 2008 "une croissance significative", même avec un baril à 80 dollars, souligne Total.
La publication des bénéfices des majors a relancé la polémique et les demandes d'une taxe exceptionnelle. A la publication des comptes de Shell, le syndicat britannique Unite a qualifié ces profits d'"obscènes". "Nous réalisons de gros profits, mais nous avons aussi d'énormes investissementsà engager", a répliqué le patron de la 2e major mondiale, Jeroen van der Veer.
ENVOLÉE DES COÛTS
Ces investissements souvent équivalents au bénéfice annuel (16,1 milliards de dollars pour Total en 2007 en progression de 8 %) ne se traduisent pourtant pas par une hausse de la production tant les contraintes sont fortes. Une partie de ces sommes est absorbée par l'envolée des coûts des projets, comme à Sakhaline (Russie) ou à Kashagan (Kazakhstan). ExxonMobil a augmenté ses investissements de 40 % en trois ans pour voir sa production reculer de 1 % en 2007.
Shell a perdu 4,5 % (à 3,3 millions de barils, en baisse constante depuis le pic de 2002) et s'attend encore à une légère baisse en 2008. BP a pompé 3 % de moins qu'en 2006 (3,8 millions de barils) et Chevron 1 % de moins. Les grandes compagnies tablent sur la mise en production de nouveaux gisementsen 2008-2009 : Total en Angola, Shell en Australie, BP dans le golfe du Mexique
Toutes s'intéressent à la Russie et à l'Asie centrale.
Et toutes utilisent également leurs considérables profits pour verser de généreux dividendes et racheter leurs propres actions : 35,6 milliards de dollars chez ExxonMobil, 13,4 milliards chez Shell. Total devrait verser un dividende de 2,07 euros par action.
Les résultats des majors reflètent aussi leurs nouvelles relations avec les Etats où elles produisent. Total, BP, Chevron et l'italien Eni ont accepté les conditions imposées par le président vénézuélien Hugo Chavez, qui laisse à la compagnie publique PDVSA 60 % des grands projets d'extraction d'huiles extra-lourdes de la région de l'Orénoque. ExxonMobil a refusé, tout comme ConocoPhillips, qui a ainsi subi une dépréciation d'actifs de 4,5 milliards de dollars en 2007. Depuis deux ans, Shell perd des dizaines, voire des centaines de milliers de barils par jour au Nigéria en raison d'attaques répétées de ses installations. Au point que la compagnie vient de se déclarer en situation de "force majeure" et suspendre la livraison de certains clients.
Les compagnies internationales n'ont accès qu'à 15 % des réserves d'or noir de la planète. Plus des trois-quarts sont détenus par les entreprises publiques des pays producteurs. SaudiAramco (Arabie saoudite) dispose d'environ 260 milliards de barils, ses homologues iranienne (NIOC) et irakienne (INOC) ou koweitienne (KPC) ont respectivement 13 %, 11 % et 10 % des réserves mondiales. Pour les reconstituer, les majors occidentales doivent explorer de nouveaux territoires au prix d'investissements de plus en plus lourds et risqués politiquement, financièrement et environnementalement : huiles extra-lourdes du Venezuela, sables bitumineux du Canada, pétrole des eaux profondes du golfe de Guinée et de l'Arctique, ces derniers étant devenus plus accessibles en raison de la fonte de la banquise.