Bonjour à tous,
Voici mon petit édito du weekend :)
Philippe de Villiers parle des religions comme s’il existait des essences figées, une religion « douce » par nature, une autre « violente » par nature, là où le facteur décisif est souvent leur degré de maturation historique, politique et culturelle.
Philippe de Villiers, en bon catholique traditionaliste, a fait de la défense des « racines chrétiennes de la France » et de la dénonciation de « l’islamisation » un fil rouge de ses livres et de ses interventions médiatiques. Dans ce cadre, il présente volontiers le christianisme contemporain comme intrinsèquement pacifié et l’islam comme intrinsèquement expansionniste et dangereux. Ce dispositif rhétorique efface une donnée pourtant centrale : aucune religion ne naît « apaisée ». Elle le devient, ou pas, à travers les siècles, les conflits internes, les compromis avec le pouvoir civil, la confrontation avec la modernité.
Parler de « maturité d’une religion » revient, sur un mode métaphorique, à rappeler ce cheminement.
Au départ, la phase fondatrice est souvent missionnaire, conquérante, parfois messianique : on prétend détenir la vérité ultime, il faut l’imposer ou au minimum la diffuser. Puis viennent les siècles d’institutionnalisation : clergé, droit canon ou équivalent, emprise sur le politique, guerres de religion, hérésies, schismes. Ce n’est que très tard, pour le christianisme occidental, qu’apparaissent la sécularisation, la liberté de conscience, la séparation des Églises et de l’État, les critiques historico-philologiques des textes sacrés, qui obligent la religion à se redéfinir dans un espace pluraliste.
Autrement dit : le christianisme que Philippe de Villiers brandit comme modèle pacifique n’est pas le christianisme de ses propres siècles « virulents » avec les croisades, Inquisition, guerres de Religion, mais le produit d’une longue domestication par l’histoire, le droit, la philosophie politique et la modernité démocratique. Faire comme si cette version tardive et policée révélait son « essence éternelle » est une opération idéologique, pas une analyse historique.
C’est là que se loge le caractère « intemporel » que je lui attribue : il refuse le temps comme variable explicative. Quand il parle de l’islam, il le fige en bloc monolithique, comme une entité unique, transhistorique, qui produirait mécaniquement les mêmes effets au VIIᵉ siècle et au XXIᵉ, à Médine comme en Seine-Saint-Denis. Dans cette vision, la violence ne résulte plus de contextes politiques précis (colonisation, guerres, dictatures, échecs des États, frustrations sociales) mais d’un ADN religieux supposé immuable. Il se dispense ainsi de comparer l’islam contemporain non pas au catholicisme 2025, mais au christianisme de sa propre phase de fer.
On peut, à l’inverse, considérer que la « virulence » d’une religion (au sens de sa propension à être mobilisée pour justifier la violence) dépend principalement :
1/ De son stade historique : une religion jeune, en phase d’expansion, tend à être plus exclusive et militante qu’une religion déjà institutionnalisée et sécularisée.
2/ De son articulation au pouvoir politique : là où religion et État se confondent, la tentation répressive et guerrière est forte, quelle que soit la religion en question.
3/ De la qualité des institutions et de l’État de droit : plus les libertés publiques et la justice sont solides, moins il est facile de traduire les pulsions théocratiques ou identitaires en violence effective.
4/ Du travail critique interne : théologie, exégèse, débats intellectuels, réformes doctrinales transforment la manière dont les textes sont compris et appliqués.
Si l’on adopte ce cadre, l’exceptionnalisme implicite de Philippe de Villiers se retourne : la pacification relative du christianisme occidental n’est pas la preuve d’une supériorité ontologique, mais le résultat d’un long travail historique que d’autres traditions, dans d’autres contextes, sont en train – ou non – de parcourir. Refuser de le voir, c’est se ménager une confortable posture de gardien de civilisation, mais c’est renoncer à comprendre ce qui se joue réellement.
En ce sens, en parlant des religions comme des essences hors du temps, Philippe de Villiers congédie la question de leur maturité historique et donc des conditions concrètes qui rendent une foi plus ou moins « virulente ». Il choisit le roman éternel des « racines » contre l’analyse, ce qui fait de lui un excellent conteur politique, mais un observateur très relatif du réel.
Bien à vous