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Un consortium européen s’est rassemblé autour de 2CRSi, le fabricant strasbourgeois de serveurs informatiques 2CRSi (300 salariés, 200 M€ de CA), dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt "InvestAI" de l’Union européenne. Comment s’est construit ce rapprochement ambitieux au sein du consortium Æther ?
2CRSi est à l’initiative de ce consortium. L’Union européenne a lancé un vaste programme de 20 milliards d’euros pour financer des usines géantes spécialisées dans l’intelligence artificielle, avec des enveloppes autour de 4 milliards par projet. Dans ce cadre, l’UE ne prend en charge que 35 % des investissements : pour chaque euro public, il faut mobiliser deux euros en financement privé. Or, trouver 3 milliards à porter seul est quasi impossible.
Nous avons été contactés par un membre d’une grande entreprise de conseil en stratégie européenne pour fédérer des industriels européens autour de ce défi. Le consortium Æther (dont les membres, tous industriels, ne sont pas encore dévoilés, NDLR) est né de cette alliance : nous y apportons notre expertise technologique, cloud et hardware, renforcée par notre datacenter et notre unité de production aux États-Unis. Ensemble, nous répondons à un vrai enjeu de souveraineté, de compétitivité et de durabilité en IA.
Vous parlez de deux sites possibles pour ces datacenters d’intelligence artificielle dans le Grand Est : pourriez-vous nous en dire davantage sur leur choix et sur l’intérêt industriel ou environnemental qui les caractérise ?
Nous voulions éviter l’artificialisation des terres agricoles. Le premier site visé est Saint-Avold, d’où je suis originaire, dans l’ancienne zone industrielle Elf/Total. Il s’agit d’une friche exploitée par GazelEnergie (NDLR : une filiale d’EPH, groupe de Daniel Kretinsky), avec la centrale Émile-Huchet. Une loi d’exception récente permet de réindustrialiser plus rapidement cette zone (NDLR : la loi du 14 avril 2025, spécifiquement destinée à accélérer la conversion de centrales à charbon, dont celle d’Émile-Huchet à Saint-Avold, en Moselle, assouplit les contraintes liées à l’urbanisme, à l’environnement et à l’aménagement du foncier pour une réindustrialisation rapide). Ce qui nous permettrait de créer 1 500 emplois à la clé.
Le second site potentiel est prévu le long du Rhin, à proximité d’une infrastructure hydroélectrique, ce qui faciliterait l’interconnexion énergétique du futur complexe.
En matière d’énergie, d’eau et de pollution, comment gérez-vous les risques, quelles sont vos stratégies pour rassurer les territoires concernés ?
Nous avons appris des erreurs observées ailleurs, notamment aux États-Unis où les datacenters gourmands en énergie ont fait exploser les factures locales. Chez Æther, notre promesse est claire : ne pas concurrencer le réseau local.
Nous prévoyons une autonomie énergétique, avec une unité de production stable, pour absorber les pics ponctuels. Notre technologie de refroidissement de serveurs permet de produire 40 kWh de froid par 1 kWh consommé, une efficacité (prévue à 120 %). Ce système, très efficace, réduit fortement le besoin en eau. Contrairement à certaines usines américaines qui utilisent de grandes piscines de refroidissement ou qui nécessitent d’arroser les serveurs en cas de fortes chaleurs, notre solution limite au maximum ce type d’installations.
Pour assurer l’autonomie du site en énergie, vous évoquez aussi un modèle circulaire impliquant la filière bois et les agriculteurs locaux. Comment fonctionne cette démarche agricole et industrielle ?
À partir de 2030, les importations de bois non durable ne seront plus permises. Nous avons donc anticipé en nouant des contacts avec un grand fournisseur américain, tout en mettant en place une filière locale entre Lorraine et Luxembourg. Nous tablerions sur 500 à 600 agriculteurs produisant une essence non invasive, dédiée à la pyrolyse, pour générer du charbon végétal via le bois.
L’objectif est de produire suffisamment de biocharbon pour générer quelque 100 millions d’euros de revenus par an, cinq ans après le lancement. Et ce, tout en séquestrant du CO₂.
Quelles sont les ambitions d’Æther, tant sur le plan technologique qu’économique, industriel et environnemental ?
Æther repose sur trois piliers. La technologie puisque 2CRSi fournira jusqu’à 200 000 cartes graphiques de très haute performance GPU NVIDIA H100, couplées à des solutions de refroidissement liquide et une efficacité énergétique maximale que nous travaillons d’ailleurs au-delà des normes en cours. Le deuxième pilier, c’est l’énergie et le climat. Nous visons un modèle d’autonomie énergétique avec un impact carbone négatif. Pour cela, nous allons produire de l’énergie à partir de charbon végétal — du biocharbon — et stocker cette énergie grâce à des batteries de type BESS (Battery Energy Storage Systems). Ce choix technologique nous permet de ne pas dépendre du réseau en cas de pic de consommation, tout en réduisant nos émissions. Et enfin, l’impact territorial : réindustrialisation de friches, création d’emplois (1 500 à Saint-Avold), filière bois locale, acceptabilité sociale.
Nous visons équilibre, performance et sens. Æther est un projet structuré, financé (30 milliards de chiffre d’affaires pour l’intégralité du consortium) et viable.
La prochaine étape du projet ?
L’évaluation des candidatures de l’appel à manifestation d’intérêt, dont les résultats sont attendus à l’été.