Par Lucas Mediavilla
Publié le 5 mars à 08h31, mis à jour le 5 mars à 14h56
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Atos peut-il remonter la pente ? Dans l’écosystème français des affaires, beaucoup se posent la question à propos de l’ex-fleuron français de l’informatique, qui vient d’achever la longue restructuration de sa dette. À l’occasion de la publication des résultats annuels pour l’année 2024 ce jeudi, Philippe Salle, le nouveau patron, veut rassurer les esprits. «Je suis en grande confiance», assène celui qui a été nommé en octobre à la tête de l’entreprise et occupe depuis février le poste de PDG. «Nous disposons d’atouts incroyables. Le premier, c’est une base de clients qui demeure satisfaite de nos services », explique-t-il dans un entretien avec Le Figaro. À l’entendre, si l’entreprise de services numériques (cloud, cybersécurité, maintenance de parcs informatiques) a expérimenté des difficultés sur son marché américain, elle n’a pas connu un exode de ses clients.
Les résultats présentés ce jeudi pour 2024 témoignent quand même des stigmates d’un groupe qui vient de passer deux ans en enfer. Le chiffre d’affaires est en recul organique de 5,4% sur un an (et même 10% en comptant les cessions), à 9,6 milliards d’euros. Quant au carnet de commandes, celui-ci plafonne à 13 milliards d’euros fin 2024, une réduction de plus d’un tiers par rapport aux 21,7 milliards d’euros atteints en 2023.
Pas comptable des performances de l’année 2024, Philippe Salle perçoit des signaux positifs sur le redressement de l’activité. «Il y a eu un attentisme des clients sur certains types de contrats stratégiques de 7 à 10 ans, car il y avait une inquiétude sur le fait de savoir si nous serions encore vivants. Mais nous avons réalisé un dernier très bon trimestre 2024. Nous sommes en train de regagner de la part de marché. Certains clients que nous avions perdus aux États-Unis nous ont sollicité en janvier pour redémarrer d’autres contrats», se réjouit le nouvel homme fort d’Atos.
Échapper à une nouvelle restructuration
Asie, Europe, États-Unis, le nouveau patron du groupe confie avoir engagé ces dernières semaines une tournée auprès des principaux clients du groupe, à commencer par le premier, Siemens, pour les rassurer sur la pérennité financière de l’entreprise. Malgré l’effacement de 2,1 milliards d’euros de dette brute avec la restructuration (sur plus de 5 milliards initialement) et l’apport de 1,6 milliard de nouveaux financements (sous la forme de prêts à forts taux d’intérêt), Atos n’est pas encore sorti d’affaires. Le flux de trésorerie disponible est largement négatif, à hauteur de 2,23 milliards d’euros en 2024.
D’aucuns estiment que le groupe ne pourra pas échapper à une deuxième restructuration. «Nous avons deux milliards de liquidités devant nous et nous prévoyons de revenir dans le vert en termes de trésorerie dès l’année prochaine. Ce qui nous laisse largement de quoi achever la restructuration de l’entreprise dans ces deux prochaines années, dont on estime qu’elle coûtera entre 600 et 700 millions d’euros», tranche le nouveau patron du groupe. «Je sais qu’Atos est devenu comme l’Équipe de France. Tout le monde a un avis sur l’entreprise. Mais les Cassandre et les oiseaux de mauvais augure se trompent», indique Philippe Salle. De la même façon, analystes et observateurs jugent que les objectifs de redressement de marge opérationnelle, nécessaires à remettre le train sur ses rails, sont trop ambitieux pour l’entreprise. Le nouveau dirigeant aux manettes ne les trouve pas «insurmontables».
Remarier TechFoundation et Eviden
La restructuration, justement. Après deux années d’errances stratégiques, ayant conduit à la séparation du groupe en deux avec d’un côté TechFoundation (les activités de maintenance de parcs informatiques) et Eviden (les activités dites à haut potentiel dans le cloud, la cybersécurité, la data), Philippe Salle a bien l’intention de remarier les deux entités. «Nous faisons un métier où il peut y avoir des marques différentes lorsque les services sont différents. Dans de nombreux cas, Eviden et TechFoundation ont pu vendre le même service, entrant en concurrence. À mes yeux, cela a été meurtrier pour le groupe. Mon objectif est de revenir à l’idée d’un One Atos», martèle-t-il. Un choix dont l’ex-patron d’Altran mais aussi de Foncia estime qu’il simplifiera les choses pour les clients.
Simplifier… Voilà un autre mantra du nouveau patron du groupe, qui détaillera en mai prochain son plan stratégique à horizon 2028 lors d’un Capital Market Day. Du coin des lèvres, Philippe Salle pointe du doigt les pesanteurs d’un groupe dispersé dans trop de géographies à ses yeux, encombré par un management pléthorique qui s’est paradoxalement appuyé sur beaucoup de prestations de conseils externes par le passé. Le plan présenté au printemps prochain devrait acter la sortie de plusieurs pays parmi les 80 du groupe à entendre Philippe Salle. Le top 20 des managers du groupe a été changé pour moitié, et le top 500 sera ramené à 200 managers. «J’aime avoir des choses assez simples. Quand tout le monde décide sur tout, personne ne décide rien», explique-t-il.
De la même façon, le nouveau patron a bien l’intention de rompre avec la tradition, voire l’addiction, d’Atos avec ses cabinets de conseil. «On va prendre notre destinée en main. J’ai un cabinet qui m’aide sur la stratégie et un autre sur le plan de transformation qui avait commencé avant que j’arrive. C’est une aide ponctuelle, pour aller plus vite. Mais à partir de septembre prochain, je ne veux plus de consulting dans le groupe. La stratégie doit être fixée par le directeur général (CEO)», indique le PDG d’Atos. Une façon de reconnaître le dérapage incontrôlé de ce type de dépense ces dernières années. Philippe Salle promet enfin qu’Atos ne retombera pas dans les «travers» du précédent management, qui avait pris pour habitude ces dernières années de pratiquer une optimisation agressive de ses flux de trésorerie, que ce soit au niveau du paiement des factures fournisseurs ou des pratiques dites d’affacturage inversé. Ce qui permettait de présenter ses résultats financiers sous un meilleur jour. «On se l’interdit. Et si on devait le faire, on le documenterait pour être transparent», annonce Philippe Salle.
Talents et actionnaires
Malgré plusieurs cessions d’actifs en 2024 dont celle de Worldgrid, que les syndicats en interne n’ont pas digérée, Atos estime disposer d’un portefeuille d’actifs et de géographies robuste pour préparer l’avenir. Le nouveau patron ne rumine pas, par exemple, la cession à venir auprès de l’État de l’activité supercalculateur du groupe à Angers, décidée avant son arrivée. Et, dans cette activité très dépendante des talents humains, il promet que la matière grise n’a pas déserté massivement le groupe malgré les difficultés. «Nous avons un turnover autour de 15% des effectifs, ce qui est très en ligne avec nos chiffres historiques et ce qu’on voit sur le secteur. Il n’y a pas eu de fuite de talents. Peut-être de managers mais il y en avait tellement que ce n’est presque pas si grave», explique Philippe Salle. Un des volets du plan présenté en mai prochain sera quand même axé sur l’amélioration de la marque employeur. Atos ayant besoin d’attirer de nouveaux profils y compris sur les sujets de la data et de l’IA, des métiers où Philippe Salle concède que le groupe a pris du retard.
De la même façon, le nouveau PDG ne s’inquiète pas du caractère particulier que revêt son actionnariat, très éclaté depuis la restructuration et dans les mains des créanciers de l’entreprise. Ces fonds sont en effet tous en dessous de 10 % du capital. Philippe Salle signale qu’en dépit des appels au sauvetage du soldat Atos ces derniers mois, ce sont les porteurs de dette, via l’augmentation de capital réalisée récemment ainsi qu’un financement intérimaire accordé au groupe, qui ont sauvé l’entreprise. Il dément toute velléité de leur part de dépeçage de l’entreprise. Mais le dirigeant est parfaitement conscient que ces acteurs, qui «veulent récupérer entre trois et quatre fois leur mise, ne seront pour la plupart plus là d’ici trois ans». «Il y a un défi sur la base actionnariale qui va arriver en 2026. À cet horizon, le fait d’avoir basculé en trésorerie positive nous permettra de redonner une valeur à la société y compris en Bourse».
À cet horizon, Philippe Salle, qui a participé personnellement à l’augmentation de capital d’Atos à hauteur de 9 millions d’euros, n’estime pas indispensable l’entrée d’un actionnaire de référence de type industriel. «Cela pourrait très bien être un fonds d’investissement, ou un actionnariat familial qui aurait le mérite de l’engagement sur le long terme. Ce que j’explique aux salariés, c’est que pour rester indépendant, il faut être fort. Il faut faire, annoncer ce qu’on va faire, et faire ce qu’on annonce», conclut-il. Reste à savoir si Atos, qui a eu un track record particulièrement mauvais ces dernières années en la matière, sera cette fois-ci au rendez-vous des
promesses.
https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/les-cassandre-se-trompen t-sous-la-houlette-de-son-nouveau-patron-atos-croit-a-sa-remontada-20250305