(BFM B) - Le titre de la medtech tricolore spécialisée dans la vision bionique a lâché du lest mardi en réaction à l'abandon du projet de rapprochement avec l'américain Second Sight. Celui-ci a enfreint le protocole d'accord en réalisant une augmentation de capital le mois dernier. Le directeur général de Pixium, Lloyd Diamond, contre-attaque.
Annoncée début janvier, la fusion entre Pixium Vision et l'américain Second Sight en vue de créer "un leader mondial de la restauration de la vision" n'aura pas lieu. La medtech californienne a en effet violé le protocole d'accord en réalisant une augmentation de capital en mars. "Refusant d'entamer des discussions (en vue de renégocier le protocole, NDLR), Second Sight a notifié ce vendredi à Pixium Vision sa décision de rompre unilatéralement le protocole d'accord" indique le communiqué publié samedi par le groupe tricolore, qui "prend acte de cette résiliation unilatérale et abusive" et "entend explorer toutes les voies de droit ouvertes (...) afin d'obtenir la réparation de son entier préjudice". Son directeur général Lloyd Diamond fait le point sur la situation avec BFM Bourse.
BFM Bourse: Comment ce projet de fusion -qui devait intervenir dans le courant du deuxième trimestre 2021- a finalement capoté?
Lloyd Diamond, directeur général de Pixium Vision: Second Sight a réalisé un placement privé fin mars sans notre autorisation, ou plutôt en conflit direct avec notre refus puisqu'ils nous ont demandé notre avis, nous avons dit "non", et ils l'ont fait quand même... Mais je pense qu'il est important de rembobiner un peu, pour comprendre le pourquoi et le comment.
L'été dernier, Second Sight était au bord de la faillite (le groupe américain a annoncé le 30 mars dernier qu'il devait mettre fin à ses activités en raison du choc financier provoqué par la pandémie, et licencier 84 de ses 108 employés). Pour nous, c'était l'occasion de nous associer à nos concurrent depuis de nombreuses années, une sorte de coquille vide ou presque puisque la technologie Orion développée par Second Sight pouvait éventuellement devenir un complément de notre système Prima. Sauf qu'Orion est une technologie lointaine, dont l'étude de faisabilité est encore à un stade très précoce. Donc il aurait fallu 6 ou 7 ans avant une éventuelle mise sur le marché. Notre première motivation était d'accéder aux marchés financiers américains.
Mais pourquoi ont-ils procédé à cette augmentation de capital, est-ce lié au fait que le titre Second Sight a été multiplié par 10 en l'espace de quelques séances début mars, ce qui rendait sur le papier moins avantageuse pour eux la fusion à 60-40 en votre faveur?
Ce qui est important à dire pour nos actionnaires français européens, c'est que l'envolée du titre Second Sight était un coup à la GameStop, lié à un communiqué de presse selon lequel ils avaient reçu l'approbation pour sa deuxième génération de prothèse rétinienne Argus 2s. Sauf qu'elle était destinée à leur ancien système Argus II, dont ils avaient arrêté la fabrication. Ils avaient demandé l'approbation à la FDA juste avant de l'annoncer... D'ailleurs ils le disaient clairement dans leur communiqué: "Nous avons reçu l'approbation pour Argus2 et il y aura peut-être des applications pour Orion ["mais pas avant plusieurs années" insiste Lloyd Diamond"] mais sa commercialisation dépendra de l'opération avec Pixium. Nous aurions évidemment décidé de ne pas le commercialiser car il n'était même plus fabriqué depuis près d'un an.
Si le cours de Bourse de Second Sight a soudainement explosé, le vôtre n'a jamais semblé intégrer le rapprochement avec Second Sight...
[rires] Oui... Selon le protocole d'accord, nous devions prendre 60% de Second Sight. Finalement, eux ont pris 1.000% après leur communiqué et nous, on n'a pas vraiment bougé. C'était vraiment un mouvement spéculatif de type Reddit aux Etats-Unis. Les marchés sont plus intelligents ici donc les investisseurs ont compris que rien n'avait concrètement changé pour Second Sight.
D'ailleurs ça tient pas mal aujourd'hui après l'annonce [l'interview a été réalisée jeudi vers 16h, quand le titre Pixium cédait 8% avant de boucler la séance sur un repli de 8,5%, NDLR], c'est plutôt bon signe, cela signifie que les actionnaires savent que ce n'est pas de l'air, que notre technologie est prometteuse et qu'elle dispose d'un avantage clinique par rapport à ses concurrents.
Où en êtes-vous justement de vos essais cliniques ?
Nous entrons dans la dernière phase de nos essais pour le système Prima avec l'étude Primavera, la phase pivotale avant l'approbation et la mise sur le marché d'ici 2023. Celle-ci comprend un suivi sur 36 mois mais un dépôt de dossier auprès des autorités compétentes douze mois après la dernière implantation. Nous avons déjà plusieurs patients déjà consentants et le premier [des 38 prévus dans le cadre de cette étude pivot, NDLR] vient d'ailleurs d'être implanté.
Pour en revenir à l'abandon de la fusion avec Second Sight, quelles compensations réclamez-vous?
Nous avions entrepris des démarches en vue d'une cotation aux US qui ne sont pas négligeables. Il y a de vraies différences de comptabilité, d'audit, des demandes spécifiques aux marchés américains qui n'existent pas en France et nous nous étions engagés il y a neuf mois pour préparer cette cotation au Nasdaq. Dans le document 8-K qu'ils ont déposé auprès de la SEC le 1er avril, Second Sight nous propose un million de dollars en compensation de cette rupture abusive de contrat. Nous demandons 6 millions d'euros, ce qui correspond aux dépenses liées à l'opération, à l'investissement des dirigeants de Pixium et au temps passé sur l'opération. Ils n'incluent en revanche pas la perte de réputation ni le manque à gagner lié à l'accès au marché américain, et nous nous réservons le droit de déposer une plainte au tribunal de commerce de Paris pour réclamer plus.
Ils ont aussi rompu leur contrat avec la banque Oppenheimer, que nous avions retenu pour réaliser l'opération et qui leur réclame près de deux millions de commissions sur leur dernière levée de fonds (de 27,6 millions de dollars réalisée en mars, NDLR).
Même pour des Américains, c'est du jamais-vu ce qu'ils ont fait, c'est compliqué à expliquer. Mais comme je l'ai dit au Conseil d'administration, ce sont les nouvelles d'hier et il faut maintenant passer à autre chose. Et je ne doute pas que nous trouverons d'autres solutions.
Comment rebondir alors justement?
Second Sight représentait un chemin possible, il y en aura d'autres. Cela ne change rien aux objectifs de Pixium. Nous avons annoncé au marché le lancement de l'étude Primavera, nous l'avons fait, pareil pour le suivi des patients dans l'étude de faisabilité, avec des résultats qui continuent à être très prometteurs puisque nous constatons véritable amélioration de leur acuité visuelle. Nous allons poursuivre dans cette direction jusqu'à arriver au bout de Primavera et amener notre technologie dans les yeux des patients qui en ont besoin.
Je tiens par ailleurs à rassurer nos actionnaires à qui nous avons annoncé avoir une visibilité financière jusqu'à fin 2021: c'est toujours le cas, même avec les dépenses associées à Second Sight. Et pour la suite, d'autres projets de financements sont considérés, potentiellement autre chose aux Etats-Unis (comme une IPO sur le Nasdaq ou une fusion avec une coquille vidée déjà cotée), ce qui nous amènerait plus loin encore.
Propos recueillis par Quentin Soubranne - ©2021 BFM B