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Waga Energy : la théorie financière n'explique pas tout
information fournie par Le Cercle des analystes indépendants 10/10/2024 à 08:20

Jérôme Lieury
Jérôme Lieury

Jérôme Lieury

Olier Etudes & Recherches

Analyste financier, membre du Cercle des analystes

https://www.olier-etudes-recherche.fr/

"Créé par des anciens d'Air Liquide, Waga Energy a mis au point un outil unique et breveté, la Wagabox, qui n'a a priori pas de concurrent direct, pour épurer le biogaz de décharge généré par les centres d'enfouissement de déchets ménagers etc… et en faire du biométhane." (Crédits: Waga Energy)

"Créé par des anciens d'Air Liquide, Waga Energy a mis au point un outil unique et breveté, la Wagabox, qui n'a a priori pas de concurrent direct, pour épurer le biogaz de décharge généré par les centres d'enfouissement de déchets ménagers etc… et en faire du biométhane." (Crédits: Waga Energy)

Ne nous leurrons pas : la finance a beau s'appuyer sur un substrat académique et théorique assez épais, c'est loin d'être une science (et l'analyse financière encore moins). Même si la théorie financière nous assène que la valeur de n'importe quel actif est sans aucun doute la somme des valeurs présentes des revenus que cet actif va générer dans le futur est bien utile parfois. Avec son modèle de valorisation universel : le fameux DCF, pour Discounted Cash-Flow, qui consiste à additionner les flux monétaires prévisionnels (attendus sur 10 ans, par exemple) après leur avoir appliqué une décote, décote qui est d'autant plus forte que ces flux sont éloignés dans le temps.

Pas de DCF sans free cash-flow

Un DCF se doit de prendre en compte des revenus palpables : les cash-flows après investissements, autrement dit les free cash-flows (ou la génération de trésorerie libre en bon français), dont l'actionnaire peut faire ce qu'il veut puisqu'il en est propriétaire. Auxquels on applique une décote d'autant plus forte avec un taux d'actualisation, qui est le rendement exigé de l'investissement envisagé, d'autant plus élevé que l'investissement est risqué, ce qui est bien normal.

Ce taux étant, toujours selon la théorie financière, le taux de rendement de l'investissement supposé sans risque : celui des obligations émises par un gouvernement, auquel on ajoute un rendement supplémentaire censé rémunérer le risque supplémentaire de l'actif en question, autrement dit une prime de risque. En prenant par exemple le taux à 10 ans des OAT émises par le gouvernement français (que l'on trouve facilement sur Boursorama, dans les pages Bourse et taux), qui, soit dit en passant, n'est pas si élevé que ça à 3% environ en ce moment (n'en déplaise aux esprits chagrins). Et en lui ajoutant par exemple 3% de plus, puisque c'est la prime de risque moyenne que l'on a de toute éternité exigé de l'investissement en action.

La vérité ne sort pas vraiment des DCF

C'est aussi simple que cela (et assez facile à mettre en œuvre sur Excel), mais l'honnêteté commande de rappeler que l'on peut obtenir des valorisations très variables avec un modèle de DCF pour une série donnée de revenus prévisionnels, pour peu que l'on bricole allègrement les hypothèses de croissance, de marges etc… qui sous-tendent ces prévisions.

En plus de bricoler tout aussi allègrement le taux de rendement exigé, et de jouer aussi et surtout avec le dernier flux monétaire, qui est la valeur de sortie, ou de revente, et qui représente souvent une bonne partie de la valeur totale. Bref : rien n'est moins sûr qu'un bon DCF, qui peut paraître pourtant très respectable, et il faut se méfier des DCF comme de la peste, qu'on se le dise. Même si c'est bien utile parfois : notamment quand on veut introduire une société en Bourse et qu'il faut bien trouver une justification pour la fourchette de prix d'introduction.

Pas besoin de DCF pour Waga Energy

Mais que fait-on quand on ne peut même pas construire de DCF ? Quand, par exemple, la société en question est déjà cotée, mais ne génère pas de revenus, et a même tendance à vouloir brûler de l'argent pendant un certain temps encore, et a nonobstant cela une vraie valeur sur le marché. Marché qui, comme chacun sait, a toujours raison.

Un bon exemple ? : Waga Energy, qui vaut 400 millions d'euros en Bourse, mais a dégagé un résultat d'exploitation de -7,6 millions d'euros sur le premier semestre 2024, après -14,5 millions d'euros en 2023, et consommé au bas mot 30 millions d'euros de cash (mon calcul grossier) entre le 1er janvier et le 30 juin. Et qui a réussi qui plus est une belle augmentation de capital cette année en levant 52 millions d'euros en mars. Auprès d'actionnaires très fidèles qui sont là depuis longtemps, éventuellement depuis la création de la société en 2015, et depuis l'introduction en Bourse d'octobre 2021. Le tout méritant quelques explications, sans aucun doute.

Une "killer app" : la Wagabox

Créé par des anciens d'Air Liquide, Waga Energy a mis au point un outil unique et breveté, la Wagabox, qui n'a a priori pas de concurrent direct, pour épurer le biogaz de décharge généré par les centres d'enfouissement de déchets ménagers etc… et en faire du biométhane. Lequel biométhane se vend à un meilleur prix que le gaz naturel : il est produit localement, et est aussi 100% renouvelable.

La Wagabox trouve de fait facilement sa place entre d'une part les opérateurs de décharges, comme Veolia ou Séché en France, qui ont dans la plupart des pays développés l'obligation de capter le biogaz et de le traiter, et qui lui trouvent donc un débouché nouveau et d'autre part les énergéticiens, comme Engie, qui revendent, ou brûlent, ce biométhane.

Pour peu que l'installation soit connectée aux réseaux, ce qui se fait sans difficultés apparemment, en France en tout cas. Une fois en service, la Wagabox fonctionne en mode quasi automatique avec une monitoring à distance, et des interventions seulement pour la maintenance périodique et les réparations éventuelles. Et elle génère aussi rapidement de la marge et du cash. De façon très récurrente, et sur des durées très longues de l'ordre de 12 à 15 ans, puisque que c'est sur ces bases là qu'on travaille dans ces beaux métiers de l'énergie.

Croissance rapide, sans aucun doute, et bien financée pour le moment

Le moins que l'on puisse dire est que la croissance est très forte depuis quelques temps, avec 28 Wagabox en exploitation aujourd'hui contre 18 fin 2023, une percée commerciale prometteuse aux USA, et un chiffre d'affaires en progression de +84% au S1-2024. A près de 26 millions d'euros, avec 220 collaborateurs, contre 175 à fin juin 2023. Avec qui plus est 14 unités en construction, pour 24 millions d'euros investis sur le semestre, qui devraient entrer en service au bout de 10 mois en moyenne en France, et un peu plus ailleurs.

Et avec pour le moment tous les financements qu'il faut, puisque Waga Energy n'avait pratiquement pas de dette nette à fin juin après l'augmentation de capital, et dispose de 100 millions d'euros de crédit bancaire à tirer, qui peuvent financer chaque petite société qui porte chaque Wagabox. Et pour cause : les Wagabox produisent des cash-flows abondants et prévisibles, et prêter pour ça aide les banques à verdir leurs encours. Et à travailler à la décarbonation générale, ce qui ne gâte rien.

Et la suite ?

Jusqu'ici tout va bien, en quelques sortes, mais on peut quand même se poser quelques questions sans trop vouloir gâcher la fête. Comme : si la société est "break-even" et en Ebitda courant positif 2025, quelle marge opérationnelle courante peut-on espérer à terme une fois qu'elle sera définitivement sortie du mode projet (mode projet qui explique en partie la volatilité du cours de Bourse) ? Ou encore : une fois rentable en exploitation, la société pourra-t-elle autofinancer sa croissance, ou va au contraire continuer à consommer du cash pour se développer toujours très rapidement, puisque le marché est là ? Avec d'autres augmentations de capital à la clé une fois les possibilités de mettre plus de levier dans les filiales qui portent les Wagabox épuisées ?

Pas de réponse pour le moment, ce qui se comprend , mais on peut en attendant se contenter de quelques points objectivement positifs : i) Waga Energy communique très bien sur son métier sur son site corporate, ce qui est un signe de qualité, toujours bon à prendre pour l'investisseur boursier, qui s'enrichit l'esprit, ce qui est déjà quelque chose, ii) on l'a vu,  la société a semble-t-il une base d'actionnaires stables qui croient fermement depuis longtemps au potentiel de l'affaire, et suit les augmentations de capital, ce qui est un signe de qualité aussi, et iii) Waga Energy est aussi un proxy sur la transition énergétique, la décarbonation, etc… ce qui aussi est bien sûr un vrai plus.

Bonne chance pour le DCF

Rappelons qu'il est fortement question que la société accède à une marge positive au niveau de son excédent brut d'exploitation (ie Ebitda > 0, pour les amateurs éclairés) l'année prochaine et qu'elle pourrait, selon sa direction générer du free cash-flow en 2026, si les investissements de croissance s'arrêtaient. Mais rappelons aussi que ce n'est toutefois pas vraiment envisageable, toujours selon la direction, puisque le potentiel de ce marché reste encore très important, si l'on songe qu'il y au moins 20 000 décharges gérées dans le monde, et qu'il n'y donc pas d'objectif de taille pour le moment pour la société. Et qu'en conséquence les investissements, et donc la consommation de liquidité, pourraient continuer encore longtemps. Ce qui n'aide pas pour qui tient absolument à construire un modèle de DCF pour Waga Energy, c'est un fait.

Mais ce n'est pas grave, après tout : on a l'exemple récent de Neoen, tout autant dans les énergies renouvelables, rentable en exploitation mais toujours en train d'investir à tour de bras, ce que ne l'a pas empêché de changer de grand actionnaire dans de bonnes conditions apparemment pour l'actionnaire quasi-fondateur.

Et si la théorie financière n'explique pas tout, elle est donc comme la plupart des autres théories dans bien d'autres domaines qui n'expliquent pas tout non plus. Ce qui fait que la finance est peut-être bien une science, finalement.
Après tout, on ne sait jamais.

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1 commentaire

  • 15 octobre 17:59

    Merci c'est un article très intéressant qui montre bien que ce n'est pas facile de valoriser une boite. Cette question me rappelle cette phrase : "sales is vanity, income is sanity, cash is reality"; pour l'instant on est vraiment dans la partie sales is vanity. Mais je suis assez confiant dans l'incombe selon mêla boite et espère le FCF pour pouvoir dans certaines années bien valoriser klaxonner boite. En tout cas le marché est là et est porteur.


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