
Le siège de la Fed, à Washington. (Crédit : Adobe Stock)
Alors qu'il y a encore quelques années, au plus fort de la crise Covid, le rendement des obligations à dix ans du Trésor américain évoluait sous la barre de 1%, il se stabilise aujourd'hui autour de 4,2%. Comment expliquer ces valeurs élevées des taux longs outre-Atlantique et quelles en sont les conséquences sur l'économie mondiale ?
Tout d'abord, si la Réserve fédérale (la «Fed») a récemment enclenché une légère baisse de son taux directeur de 0,25 point, son Président Jerome Powell a clairement indiqué qu'il s'agissait d'un ajustement prudent et non d'un cycle de détente rapide. De son côté, Stephen Miran, membre du Conseil des gouverneurs de la Fed depuis septembre, a plusieurs fois appelé à des baisses rapides et massives des taux, en accord avec les desiderata de Trump. Ces divergences internes nourrissent une volatilité contenue sur les taux longs, pris entre des anticipations de baisse graduelle et le spectre d'une inflation persistante.
Ainsi, l'inflation, si elle a nettement diminué depuis 2022, reste supérieure à la cible de 2%. Plusieurs facteurs structurels maintiennent une pression sur les prix : la transition énergétique et les chocs sur les prix de l'énergie, la relocalisation des chaînes de valeur ou encore les tensions géopolitiques. À ces déterminants viennent se greffer les hausses de droits de douane décidées par Trump. En renchérissant les importations, ces mesures protectionnistes alimentent une inflation « importée », compliquant d'autant la tâche de la Fed.
Le marché du travail envoie aussi des signaux ambigus. Si le chômage reste autour de 4%, la dynamique ralentit : les créations de postes se tassent, la participation stagne et les hausses de salaires s'essoufflent. Ce mélange de robustesse apparente et de fragilité sous-jacente complexifie l'arbitrage de la Fed entre accompagner le ralentissement ou maintenir une ligne dure face à l'inflation. À cette incertitude sur l'emploi s'ajoute le poids de la dette fédérale. Les États-Unis doivent en effet financer une dette publique massive, représentant plus de 120% du PIB et un déficit supérieur à 6%. Le Trésor est alors conduit à émettre d'importants volumes d'obligations, poussant à la hausse les taux longs afin d'attirer les investisseurs.
Recomposition des attentes des investisseurs
Au total, le niveau élevé des taux longs américains reflète une recomposition profonde des attentes des investisseurs vis-à-vis de la Fed, de l'inflation, du marché du travail et de la soutenabilité budgétaire du pays. Mais cela s'accompagne de conséquences majeures sur l'économie mondiale. D'abord, des taux longs élevés renforcent l'attractivité du dollar. Les rendements importants des obligations états-uniennes attirent les capitaux, soutenant le billet vert et fragilisant les pays émergents qui empruntent en dollars – leur dette devenant plus coûteuse à rembourser. Ensuite, le renchérissement du financement international se diffuse. Les autres pays doivent ainsi s'ajuster à cette réalité pour rester attractifs en termes d'afflux de capitaux, même si l'on observe une plus forte volatilité des spreads souverains vis-à-vis des États-Unis.
Il en est de même du côté des entreprises qui voient le coût de leur dette augmenter, ce qui peut retarder certains projets d'investissement, notamment dans des secteurs intensifs en capital comme la technologie ou les infrastructures. Enfin, les flux d'épargne évoluent. Avec des obligations sûres et rémunératrices, les investisseurs sont tentés de réduire leurs positions en actifs risqués comme les actions, l'immobilier ou les obligations privées. Les marchés financiers deviennent en conséquence plus volatils et les conditions de crédit se resserrent.
En résumé, la stabilisation des taux longs états-uniens autour de 4,2% reflète probablement une «nouvelle référence» : un coût du capital durablement plus élevé, auquel États et entreprises doivent s'adapter. Cela implique des projets d'investissement plus sélectifs pour les entreprises, des arbitrages plus serrés pour les États et une vulnérabilité accrue des pays émergents face à la force du dollar.
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