
Le stand de BYD à l'International Auto Show de Tianjin, le 4 octobre 2024. (CFOTO / NurPhoto / NurPhoto via AFP)
En Chine, les constructeurs automobiles étrangers ont longtemps occupé une place prédominante sur le marché. Mais avec l'avance prise par les marques chinoises sur les véhicules électriques, les concurrents internationaux sont face à un choix : abandonner ce marché essentiel, ou s'allier avec les entreprises locales.
La déferlante annoncée de véhicules électriques chinois à bas prix sur le marché mondial tend à masquer une évolution en cours en Chine elle-même : le recul accéléré depuis quatre ans des parts de marché des constructeurs étrangers sur le premier marché du monde, mettant en cause leur survie. Face à ce défi, quelles peuvent être leurs stratégies ?
En 2008, la Chine est devenue le premier producteur et le premier marché automobile du monde. En 2023, la Chine devient aussi le premier exportateur mondial, devançant le Japon. C'est l'aboutissement d'une stratégie de long terme initiée en 1984. L'industrie chinoise s'est construite en s'appuyant sur le développement massif d'entreprises conjointes (joint-ventures) avec les grands constructeurs occidentaux.
Ces entreprises sont détenues à plus de 50 % par des capitaux chinois, mais leur technologie est étrangère, ce qui permet un transfert massif de technologie au profit de la Chine. Ces joint-ventures allemandes, japonaises ou américaines ont dominé son marché intérieur jusqu'en 2020, et en ont tiré des profits considérables.
La transition accélérée de la Chine vers la production de véhicules électriques
Depuis quatre ans, la donne a changé : la part des constructeurs purement chinois, qui était de 43 % en 2020, a atteint 62 % début 2024. Et c'est grâce, pour l'essentiel, à l'avance acquise par la Chine sur les différents stades de la filière de production de véhicules électriques qu'elle domine sur le plan mondial (métaux rares, batteries et assemblage). Les subventions massives destinées à accélérer leur développement qu'elle a reçu à partir de 2009 (231 milliards de dollars entre 2009 et 2023) ont aussi boosté cette envolée. Cette révolution repose sur une décision politique du gouvernement chinois qui a de plus limité la vente de véhicules thermiques au profit de la vente de véhicules électriques. Ceux-ci représentent désormais plus de 50 % des ventes locales et les deux tiers des ventes mondiales.
Le premier à profiter de cette volonté d'accélérer la transition vers les véhicules électriques a été Tesla qui, en échange d'une implantation complète de sa ligne de production en Chine et d'un capital à 100 % détenu par elle-même, a bénéficié des mêmes avantages que les constructeurs chinois. Tesla a dominé ce marché de 2020 à 2023, réalisant des bénéfices considérables. Cette implantation a permis à la Chine de bénéficier de transferts de technologie essentiels pour développer sa propre filière.
Désormais, l'élève a rattrapé son maître : BYD (« Build Your Dreams »), premier constructeur chinois dominant le secteur des batteries, lui a ravi cette année la première place en tant que producteur de véhicules électriques et se développe beaucoup plus vite. Plus grave peut-être, les fabricants chinois, contrairement aux constructeurs étrangers, se sont concentrés sur la production de véhicules d'entrée et de moyen de gamme à des prix inférieurs aux véhicules thermiques.
Quelle est la situation actuelle des constructeurs étrangers en Chine ?
Les constructeurs étrangers, hormis Tesla, ont un retard de plusieurs années dans cette transition vers les véhicules électriques, d'où le recul impressionnant de leur part de marché en Chine. Cela laisse présager la disparition sur place de certains d'entre eux. À mi-2024, BYD arrive en tête de tous les producteurs en Chine et connaît une progression de 20 % sur un an, tandis que Toyota recule de 13 %, Volkswagen de 2,9 % et Tesla de 5 %. De plus, les exportations de Tesla à partir de la Chine ont baissé de 30 % au premier semestre 2024 selon la China Passenger Car Association.
Les constructeurs américains sont en fort recul sur le marché chinois, Tesla excepté, à la fois parce qu'ils sont très en retard dans la production de véhicules électriques et fabriquent des véhicules haut de gamme. Ford a vu ses ventes en Chine divisées par quatre depuis 2016. La part de marché de General Motors a chuté de moitié entre 2017 et le premier semestre 2024. Les profits, généralement élevés, mais réalisés sur la vente de moteurs à essence, ont également fondu comme neige au soleil, ce qui pose la question de leur maintien en Chine.
Les Japonais et les Coréens réduisent leurs implantations en Chine, craignant les conséquences des tensions géopolitiques dans la région, et se renforcent sur l'Asie du Sud-est et du Sud. L'expérience de l'année 2012, consécutive au rachat par le gouvernement japonais de trois des îles Senkaku, revendiquées par Beijing, entraina un boycott informel des constructeurs japonais comme Toyota, Nissan ou Honda. Après un rattrapage les années suivantes, la part de marché du Japon en Chine est de nouveau tombée de 24 % en 2020 à 18 % en 2023 et 12 % pour la première moitié de 2024. Mitsubishi a décidé de se retirer complètement de Chine, tandis que Nissan y ferme son usine la plus récente. Les Coréens sont dans une situation similaire à celle du Japon, Hyundai ayant vendu deux de ses usines en Chine et se réoriente notamment vers l'Inde et le Vietnam.
Les constructeurs allemands, qui font plus de 30 % en moyenne (40 % pour Volkswagen) de leurs ventes mondiales en Chine, sont en net recul. Leur part de marché était de 17 % en 2023 pour l'ensemble de leurs véhicules, mais de 7 % seulement sur les véhicules électriques. Volkswagen et son partenaire de 40 ans SAIC ont décidé de fermer leurs usines de production des modèles thermiques Passat et Skoda. Cependant, les constructeurs allemands paraissent déterminés à combler leurs retards en investissant massivement en Chine (5 milliards de dollars annoncés entre Volkswagen et BMW) et en s'alliant à de nouveaux partenaires pour accéder à leur technologie.
En 2022, le groupe Stellantis (comprenant notamment les marques Citroën, Fiat, Peugeot et Maserati), qui produisait avec la Guangzhou Automobile des véhicules Jeep, a déposé le bilan. Le 19 octobre 2023, Stellantis a cédé ses trois usines chinoises à son partenaire Dong Feng, qui gérera la production et la vente des modèles de Peugeot et de Citroën en Chine. Par ailleurs, Stellantis acquiert une participation de 21,2 % pour 15 milliards d'euros dans la start-up chinoise Leapmotor, numéro 4 des ventes de véhicules électriques en Chine, et projette de vendre ces véhicules notamment en Europe. Le groupe Renault, marginal et en baisse (0,4 % du marché en Chine avec la Dacia Spring), a choisi de s'allier au constructeur Geely pour devenir leader mondial des moteurs à combustion interne, des transmissions et des hybrides, un pari risqué.
Quels choix pour les constructeurs étrangers en Chine ?
Pour les constructeurs qui ont une très forte présence en Chine (américains, allemands, japonais ou coréens), le retrait pur et simple du premier marché mondial pourrait être suicidaire. Accélérer la transition vers les véhicules électriques et surtout l'investissement dans les véhicules d'entrée et de moyen de gamme mieux adaptés au consommateur chinois serait la solution. Mais cela prendra du temps et justifierait dans l'attente de relever substantiellement les tarifs douaniers, ce que font les pays développés. Le risque de réplique n'est cependant pas à négliger.
Pour bénéficier de l'avance technologique des constructeurs chinois, la recherche d'alliances parait être une voie dans laquelle se sont engagés tous les grands constructeurs, avec le risque d'accroître leur dépendance vis-à-vis de la Chine ou d'assister à la prise de contrôle par les Chinois de ces alliances. La diversification vers les pays émergents (Inde, Thaïlande, Vietnam) serait privilégiée notamment par le Japon et la Corée, mais les constructeurs chinois s'y intéressent également.
Par Michel Fouquin
Professeur d'Economie à la Faculté de Sciences Sociales et Économiques (FASSE) , Conseiller au CEPII, CEPII
Cet article est issu du site The Conversation
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