
Du mobilier La Roche Bobois. (crédit : La Roche Bobois)
Rappelons que ce mois de mai boursier a été très bon contre toute attente, malgré nettement plus d'incertitude voire une certaine angoisse générale (pour ceux qui aiment se faire peur en tout cas) liée aux gesticulations un peu brutales du nouveau président des USA. Un bon mois d'autant plus étonnant que, si l'on raisonne en termes de style d'investissement, on ne peut que constater que seules les valeurs défensives sont restées à la traîne, alors que tout le reste : les valeurs de croissance chères, les titres dits "value" et les valeurs cycliques ont largement performé, ce qui défie un peu notre belle logique rationnelle et cartésienne, mais c'est comme ça.
Un mois surprenant donc, qui vient à point pour nous rappeler aussi que les fameux esprits animaux chers à Mr Keynes sont toujours là, et que les mots n'ont pas toujours pour le marché la signification que l'on veut leur donner : la sémantique et ses glissements, ce n'est pas de la tarte.
La consommation discrétionnaire, c'est quoi ?
On peut ainsi avoir du mal à définir avec des mots précis certains secteurs boursiers, que l'on voudrait pourtant bien délimiter pour mieux les comprendre. C'est assez notamment le cas pour la consommation dite "discrétionnaire", secteur à la fois vaste et sans contours vraiment nets, puisque laquelle consommation décrit la dépense des ménages pour tout ce qui n'est pas plus ou moins nécessaires à la vie de tous les jours. Et le mot "discrétionnaire" ne sonne pas très bien non plus (un peu comme "pouvoir discrétionnaire", qui a l'air vaguement dangereux pour nos libertés), alors qu'un substitut largement utilisé : la consommation de "biens durables", inspiré du jargon économique américain, ne vaut pas tellement mieux finalement.
Les biens durables ont de plus un vrai défaut : ils durent un certain temps avant qu'on ait besoin de les remplacer, et la décision du remplacement peut le plus souvent être décalée dans le temps par des consommateurs dont la confiance fléchit tout d'un coup. Parce que la conjoncture ralentit et que le risque de se retrouver sans travail augmente, ou parce qu'un dérapage géopolitique inquiète, etc…, etc… Mais une chose est sûre : le besoin de changer de voiture, d'acquérir ou louer un nouveau logement, et surtout l'équiper en mobilier et en électroménager etc… crée des marchés considérables. Des marchés dont les acteurs sont souvent cotés, dont beaucoup de constructeurs automobiles, et pas mal de fabricants de petit électroménager et d'électronique et/ou informatique Grand Public (c'est devenu la même chose).
Mais on ne trouve pas tant de vendeurs de meubles que ça en Bourse, ce qui procure éventuellement un certain attrait à une mid-cap comme Roche Bobois, dont c'est le métier.
Editeur-distributeur, en France, en Europe et ailleurs
Basé à Paris dans l'ex-Faubourg Saint-Antoine, et société toujours familiale depuis sa création en 1960 (et introduite en Bourse en 2018 à 20 euros), Roche Bobois se présente comme un éditeur-distributeur de meubles, avec un chiffre d'affaires consolidé de 414 millions d'euros sur son dernier exercice clos fin décembre 2024 avec 1 150 salariés environ (dont 650 à la vente et 180 dans la logistique) dans 149 magasins en propre. Avec en plus les 191 magasins franchisés, les ventes totales sont de 589 millions d'euros, dont 499 millions, soit 85%, pour l'enseigne Roche Bobois, qui est présente dans 56 pays en tout. Les 10 à 15% restant de l'activité étant réalisés avec une petite chaîne spécialiste du canapé en cuir : Cuir Center ("Bien plus qu'un canapé"), qui opère essentiellement en France. La France étant toujours le premier marché de la société, soit 27% des ventes consolidées, mais l'Amérique du Nord USA + Canada contribuant en tout pour 34%, et le reste de l'Europe pour 24%, soit en tout 52% des ventes en euros, et 30% en dollar US.
L'ameublement : un vaste marché
Le marché français du meuble totalise bon an mal an plus ou moins 14 milliards d'euros de vente, qui se répartissent pour un bon tiers en meubles proprement dit (armoires, commodes, bibliothèques, etc…), pour 20% environ dans les sièges (et les tables), pour un gros quart dans l'aménagement de cuisine, et enfin pour 15% environ dans la literie. Un marché qui compte de nombreuses marques en fait et de nombreuses enseignes, d'Atlas à Crozatier en passant par Mobilier de France et Monsieur Meuble, sans oublier Ikea, et le haut de gamme à l'autre bout du spectre avec Cinna, Ligne Roset etc…, et surtout Roche Bobois qui revendique une forte part de marché sur ce dernier créneau, qui représente environ 10% du marché total. Le deuxième marché de la société : les USA, est bien plus grand encore, puisqu'il était estimé à 69 milliards de dollars en 2023, dont 9 milliards pour le haut de gamme, avec un bon tiers environ de ventes réalisées en ligne. Roche Bobois y est un tout petit acteur mais qu'importe, puisqu'il vend avant tout du "french art de vivre", pour lequel il y a, et il y aura toujours, des amateurs (éclairés).
La création avant tout, et la fabrication ensuite
Roche Bobois a deux mille produits dans son catalogue : canapés et sièges, meubles variés, tables, et accessoires de décoration : lampes, miroirs, etc…, des produits personnalisables, et de fait largement personnalisés à l'aide de logiciels de conception 3D lors de la commande en boutique. Et ces produits sont positionnés haut de gamme avant tout, non seulement pour la qualité de leur fabrication et de leurs matériaux, mais aussi est surtout parce qu'ils sont conçus par des designers réputés. Soit une offre renouvelée en permanence avec deux collections lancées tous les ans, une présence affirmée dans les grands évènements internationaux comme la Design Week de Milan ou Art Paris, et à la clé un panier moyen de 4 800 euros en France et 7 400 dollars aux USA.
La société fait tout fabriquer à l'extérieur, et est donc "fabless", ce qui est éventuellement plus original dans le meuble que dans les semi-conducteurs ou l'habillement, où c'est devenu la règle. Mais Roche Bobois fait toutefois fabriquer en Europe avant tout, ce qui n'est pas vraiment le cas dans les métiers susnommés et, pour être plus précis, chez des fournisseurs dont les usines sont localisées principalement en Italie, et aussi au Portugal et en France. Avec le risque assumé de perdre un fournisseur pour cause de faillite, de non-respect des exigences de qualité, voire de passage à la concurrence avec armes et bagages, puisqu'il n'y a pas d'exclusivité contractuelle a priori dans ce métier. Mais une base large toutefois d'une centaine de fabricants dont beaucoup sont des partenaires de longue date, et dont aucun ne produit plus de 20% de l'offre du groupe. Pour sa logistique, un sujet important aussi, Roche Bobois s'appuie par ailleurs sur trois transporteurs pour livrer ses magasins européens à partir des usines, et sur des transitaires pour expédier ses produits par transport maritime hors d'Europe, notamment vers les USA.
Modèle économique : solide a priori
Tout d'abord, notons que Roche Bobois fait régulièrement un investissement important en communication : de la publicité principalement en télévision et en radio tant au niveau national qu'au niveau local, et a dépensé pour ce faire de plus de 22 millions d'euros en 2024. Soit plus que 5% de ses ventes consolidées, auxquels s'ajoutent les coûts des évènements et des opérations de relations publiques, soit 34,3 millions en tout. Un investissement important, certes, mais rendu possible par un bon taux de marge brute : plus de 60% bon an mal an, assez proche de ceux de l'industrie du Luxe, et pour cause.
Notons ensuite que la société a réalisé un exercice 2024 tout à fait moyen, soit une chiffre d'affaires en recul de -3,6% et une marge opérationnelle qui perd -4,5 points à 6,3%. Parce que, selon la direction, le marché de l'ameublement a été freiné par la baisse générale des transactions immobilières, surtout en France, soit des commandes faibles en début de l'année, et par rapport à une base de comparaison 2023 élevée en fait. D'autant que des magasins en propre ouverts récemment, ou repris récemment à des franchisés, sont encore en train de monter en puissance, soit des effectifs en hausse rapide (+11%) et en conséquence un ratio frais de personnel/chiffre d'affaires en hausse significative, soit +1,8 point.
Mais notons surtout que Roche Bobois affiche sans aucun doute un bon bilan, avec fin décembre 2024 un ratio d'endettement net/fonds propres négatif (hors dette locative IFRS 16 qui est purement notionnelle et donc purement fictive), soit plus de cash en caisse à l'actif que de dette financière au passif, et une situation de trésorerie nette très confortable à plus de +30 millions d'euros. Ceci parce que i) la société a des besoins d'investissements limités, n'ayant pas d'outil de production, et étant locataire de la plupart de ses magasins, et dégage de ce fait du free cash-flow positif tous les ans ce qui est bien, ii) porte assez peu de stocks qui plus est, puisque les fabrications sont faites d'après commandes et livrées rapidement en Europe, et iii) bénéficie d'un double avantage de trésorerie, entre les avances payés par les clients et le crédit fournisseurs, soit un besoin en fonds de roulement apparemment structurellement négatif,
Un mouvement stratégique intéressant en Chine
En juillet 2024, Roche Bobois a pris le contrôle de son franchisé chinois Shanghai Rock Castle dans de bonnes conditions financières en principe, lequel exploite trois magasins en propre, plus un important réseau de 25 sous-franchisés. Ce qui procure un accès direct à un marché à fort potentiel, d'autant que Rock Castle assure déjà l'importation et la distribution des produits, et est d'ores et déjà très rentable avec des volumes en hausse constante.
Retour au mieux en 2025 ?
Le premier trimestre 2025 est plutôt engageant avec un chiffre d'affaires en progression de +1,1%, et des commandes en hausse de +6,1% dans ses magasins en propre, dont +20% en mars aux Etats-Unis/Canada. Un progression aidée par une hausse de prix de +5% passée en février pour anticiper l'impact très possible de nouveaux droits de douanes probablement bientôt en hausse. Ce qui, toutefois, n'inquiète pas trop la direction, qui a passé une deuxième hausse de prix en avril, voit que les importations de meubles ne sont pas grand-chose (seulement Roche Bobois et Ikea) dans les importations américaines, et considère que le taux de marge brute structurellement élevé constitue déjà un bon amortisseur.
La société va ouvrir en 2025 quatre magasins en propre, dont deux aux USA (Austin et Las Vegas), un en France et un au Luxembourg, et déménager ses magasins de Londres et de Grenoble dans des emplacements plus chics. Tout ceci, plus l'intégration de la Chine (qui sera pleinement contrôlée à 67%) en année pleine et la montée en puissance des magasins ouverts récemment, sans parler du bon niveau de commandes enregistrées au premier trimestre permet d'espérer de la croissance, et surtout une remontée de la marge opérationnelle, qui était de plus de 10% en 2022 et 2023 rappelons-le.
La société a aussi noué un partenariat avec la désigneuse franco-chinoise Jiang Qiong Er, auteur d'une nouvelle gamme, Bamboo Wood, présentée avec succès à Milan lors de la Design Week 2024. Roche Bobois semble de fait plus que bien prendre le dragon chinois par les cornes, pour peu que le French Art de Vivre veuille toujours dire quelque chose dans ce pays, a fortiori avec du mobilier mâtiné de Bamboo Wood.
Après tout, pourquoi pas ?
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