
nyse de nuit (Crédits: Unsplash - Ahmer Kalam)
Début avril , les marchés financiers ont de nouveau braqué leurs projecteurs sur les taux américains. En quelques jours, les rendements des obligations américaines ont bondi, provoquant des turbulences sur l'ensemble des marchés, en particulier les actions, les devises et l'or. Aujourd'hui, les analystes ignorent s'ils doivent considérer la récente hausse des rendements des taux américains comme le signe d'une potentielle crise à venir ou plutôt comme une réaction temporaire. Après tout, les mouvements du marché obligataire peuvent avoir des conséquences bien plus profondes et durables sur l'économie mondiale.
Pourquoi ce marché est-il si important ? Comment fonctionne-t-il ? Pourquoi le moindre soubresaut y est scruté avec autant d'inquiétude ? Cet article revient sur les bases du marché obligataire américain, les événements récents et les implications économiques d'un possible choc obligataire.
Le marché obligataire américain : un pilier de la finance mondiale
Un marché obligataire repose sur l'émission de titres de dette par le gouvernement pour financer ses besoins budgétaires. Aux Etats-Unis, ces titres sont appelés des Treasuries (ou bons du Trésor) qui se déclinent en plusieurs catégories selon leur durée. On retrouve les T-bills qui ont une échéance inférieure à un an, les T-notes qui ont une échéance comprise entre 2 et 10 ans et les T-bonds dont l'échéance est de 20 ou 30 ans.
Les obligations américaines représentent un pilier de la finance mondiale, car elles sont considérées comme les plus sûres au monde. Pourquoi ? Car elles sont garanties par l'État américain, l'un des emprunteurs les plus solides de la planète. Cela en fait ainsi traditionnellement une valeur refuge par excellence en période de turbulence boursière, économique ou politique. De plus, le marché des Treasuries est aussi le plus grand et le plus liquide au monde.
Il joue aussi un rôle fondamental dans la finance internationale. Comment ? D'abord, il faut savoir que le rendement des obligations américaines sert de taux de référence mondial. Il est notamment utilisé pour déterminer les primes de risque sur d'autres actifs. Ensuite, ces titres sont émis en dollars américains, qui représentent la principale monnaie de réserve mondiale. Enfin, de nombreux pays, notamment via leurs banques centrales, détiennent de grandes quantités de Treasuries dans leurs bilans, ce qui renforce l'attractivité et la stabilité de ce marché.
Malgré le fait que ce marché agisse comme une sorte de socle de stabilité pour les investisseurs mondiaux, les mouvements récents traduisent une certaine nervosité de ces investisseurs. Les inquiétudes liées à la politique budgétaire et monétaire américaine, au déficit croissant des États-Unis et aux tensions géopolitiques semblent avoir érodé (temporairement… ou pas) la confiance des marchés et pousser les rendements des obligations américaines vers le haut.
Retour sur les tensions du marché obligataire américain en avril 2025
Début avril 2025, les annonces répétées de Donald Trump sur de nouveaux droits de douane ont provoqué une onde de choc sur les marchés. Dans un premier temps, face à l'incertitude, les investisseurs ont réagi de manière classique en adoptant une stratégie de repli : ils ont vendu des actions pour se réfugier dans les obligations américaines, un comportement connu sous le nom de « flight to quality » (fuite vers la qualité). Résultat : les prix des obligations ont augmenté, ce qui a mécaniquement fait baisser leurs rendements (puisque le prix d'une obligation évolue en sens inverse de son rendement).
Mais cet épisode a rapidement pris une tournure inhabituelle.
Après cette baisse initiale, les rendements des obligations du Trésor américain ont soudainement bondi. Alors qu'ils étaient tombés à 4% début avril, les rendements des obligations à 10 ans ont dépassé les 4,5% à la mi-avril — une hausse de plus de 12% sur la semaine du 7 avril, la plus forte hausse hebdomadaire depuis plus de 10 ans — avant de redescendre autour de 4,17% fin avril. Cette semaine ils évoluaient autour de 4,4% montrant que le sujet reste d'actualité.
La hausse des rendements s'est également étendue aux obligations de long terme, notamment celles à 30 ans. Leur rendement, qui était initialement tombé de 4,55 à 4,40%, a ensuite fortement rebondi pour dépasser les 4,85%. Or, ces titres sont particulièrement importants pour l'économie américaine, car ils servent à financer environ 30% de la dette publique, soit près de 29.000 milliards de dollars.
Ce mouvement est d'autant plus atypique, car normalement, quand les actions chutent, les obligations ont tendance à s'apprécier. Or, cette fois, actions et obligations ont reculé simultanément, reflétant ainsi un malaise profond chez les investisseurs.
Qu'est-ce qui a provoqué cette hausse des rendements obligataires ?
1. Moins d'appétit global pour les actifs américains
Certains analystes estiment que les annonces protectionnistes de Trump ont refroidi les investisseurs internationaux. Les droits de douane créent de l'incertitude économique et de la crainte d'un ralentissement du commerce mondial. Les investisseurs se seraient alors mis à vendre massivement, non seulement des actions américaines, mais aussi des obligations américaines. Ce mouvement de vente a ainsi fait baisser les prix des obligations… et donc fait monter leurs rendements.
2. Des ventes forcées accentuées par les hedge funds
Plusieurs spécialistes avancent aussi que des hedge funds exposés à la dette américaine avec effet de levier ont été contraints de liquider leurs positions en urgence à cause de la montée de la volatilité. Ces ventes rapides et concentrées auraient renforcé la pression à la baisse sur les prix des obligations, amplifiant ainsi la hausse des rendements.
3. Craintes concernant l'inflation et le déficit US
La politique commerciale de Trump fait craindre une remontée de l'inflation. En effet, des droits de douane sur des produits importés aux Etats-Unis peuvent conduire à une hausse des prix pour les consommateurs américains. Cela pourrait ainsi pousser la Réserve fédérale (Fed) à remonter ses taux d'intérêt pour contenir cette inflation, ce qui aurait pour effet de peser sur la valeur des obligations existantes, moins attractives face à de nouveaux titres offrant des rendements plus élevés.
Par ailleurs, la situation budgétaire américaine inquiète aussi. D'abord, la hausse des rendements sur 10 ou 30 ans signifie qu'il est plus cher pour le gouvernement d'emprunter de l'argent. Or le déficit public américain continue de se creuser et le Trésor américain va devoir continuer d'émettre de plus en plus de dette pour se financer.
4. Repli potentiel de la demande étrangère
Enfin, la baisse de la demande étrangère pour la dette américaine, si elle se confirmait, pourrait avoir joué un rôle important dans la hausse des rendements. Environ un tiers des bons du Trésor sont détenus par des investisseurs non-américains, soit près de 8.500 milliards de dollars selon Morningstar.
À titre d'exemple, la Chine détenait encore 761 milliards de dollars de dette publique américaine en janvier 2025 d'après Reuters, ce qui en fait le deuxième créancier étranger après le Japon. Ainsi, si certains grands détenteurs réduisent leurs achats ou accentuent leurs ventes en réponse aux annonces de Trump, cela pourrait faire pression sur les taux à la hausse.
Un krach obligataire serait-il plus dangereux qu'un krach boursier ?
Contrairement à une idée reçue, une crise sur le marché obligataire peut s'avérer plus déstabilisatrice qu'un krach boursier, car elle touche le cœur du système financier : le coût de financement de l'économie.
Quand les rendements obligataires montent brutalement, cela se traduit par une hausse des taux d'intérêt sur l'ensemble des crédits : immobilier, consommation, prêts aux entreprises… Le crédit devient alors plus cher et plus difficile d'accès, ce qui freine la consommation, l'investissement et donc la croissance par extension.
Les États eux-mêmes sont directement affectés : la hausse des taux augmente le coût de leur propre dette. Pour les États-Unis, cela signifie des centaines de milliards de dollars d'intérêts supplémentaires à verser chaque année, aggravant un déficit déjà élevé.
Par ailleurs, une envolée des taux peut provoquer une perte de confiance dans la dette américaine. Les investisseurs pourraient alors se tourner vers d'autres actifs ou devises, affaiblissant le dollar et remettant en cause son rôle de monnaie de réserve mondiale.
Enfin, une hausse brutale des taux d'intérêt dits « sans risque », comme ceux des obligations américaines, diminue mécaniquement la valeur de nombreux autres actifs financiers : actions, immobilier, private equity… Car plus les taux sans risque sont élevés, plus les flux futurs doivent être actualisés fortement, ce qui fait baisser les valorisations.
Autrement dit, un krach obligataire ne concerne pas seulement les porteurs d'obligations, car il peut « contaminer » tout le système financier.
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