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Minerais critiques : une instabilité qui fragilise les pays émergents et en développement
information fournie par The Conversation 26/11/2025 à 11:50

(Crédits: Unsplash - Pedro Henrique Santos)

(Crédits: Unsplash - Pedro Henrique Santos)

La hausse de la demande en minerais critiques nécessaires pour mener à bien la transition énergétique n'est pas qu'une bonne nouvelle pour les pays producteurs. Elle les soumet à la volatilité des marchés. D'où l'exigence de mesurer leur exposition à ce risque nouveau.

Voitures électriques, panneaux solaires, éoliennes : la transition énergétique semble être une bonne nouvelle pour la planète. Pourtant, derrière ces technologies se cache une dépendance croissante à une poignée de minerais dits critiques : lithium, cobalt, nickel ou terres rares, entre autres. Ces ressources sont indispensables pour fabriquer des batteries, des moteurs électriques ou encore des turbines. Leur demande pourrait être multipliée par sept d'ici à 2040 selon l'Agence internationale de l'énergie (IEA).

Le changement climatique expose les pays émergents et en développement à deux grands types de risques. Les risques physiques proviennent des catastrophes naturelles – inondations, sécheresses, ouragans – qui détruisent les infrastructures perturbent l'agriculture et pèsent lourdement sur les finances publiques. Les risques de transition d'ordre économique apparaissent lorsque l'économie mondiale s'oriente vers un modèle bas carbone : nouvelles réglementations, innovations technologiques, marchés instables.

Les pays producteurs de minerais critiques se trouvent au premier plan de ces risques, car leur prospérité dépend de ressources de plus en plus demandées mais aux prix très volatiles. Or cette exposition est amplifiée par une autre réalité. La production mondiale de ces matériaux est concentrée dans un petit nombre de pays. La République démocratique du Congo fournit plus de 70 % du cobalt, la Chine domine les terres rares, le Brésil exporte graphite et nickel, tandis que le Pérou est un acteur majeur du cuivre. Cette concentration confère à ces pays un rôle stratégique, mais elle les rend aussi particulièrement vulnérables. Quand un budget national repose trop sur un seul minerai, la moindre variation de prix peut déstabiliser les finances publiques.

Dangereux yo-yo

Les marchés des minerais critiques sont notoirement instables. Le cobalt, par exemple, a vu son prix doubler puis chuter de moitié en quelques années. Pour un État comme la République démocratique du Congo ou la Zambie, dont une grande partie des recettes publiques repose sur ce minerai, ces variations sont un casse-tête. Une année, elles financent écoles et hôpitaux ; l'année suivante, elles doivent couper dans leurs dépenses ou s'endetter davantage. L'Argentine, de son côté, dépend fortement du lithium, tandis que le Pérou repose sur le cuivre, pilier de ses finances publiques. En Indonésie ou au Brésil, le nickel suit les cycles de l'industrie mondiale.

Contrairement au problème classique de la rente pétrolière – et de ses implications fiscales – observées, par exemple, en Algérie ou au Nigéria, il ne s'agit pas ici d'un seul produit mais d'une mosaïque de minerais, chacun avec ses propres dynamiques de prix et de demande. En Afrique, la RDC dépend du cobalt, la Zambie du cuivre et du cobalt, le Mozambique et Madagascar du graphite ou des terres rares. En Amérique latine, l'Argentine mise sur le lithium, le Pérou sur le cuivre, tandis que le Mexique apparaît plus diversifié. En Asie, l'Indonésie est très exposée au nickel, quand le Kazakhstan ou les Philippines présentent des risques plus modérés. Cette diversité de situations rend la vulnérabilité plus diffuse et complique les réponses budgétaires.

Des économies vulnérables

Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la demande pour des minerais comme le lithium, le cobalt et le nickel pourrait être fortement multipliée d'ici à 2040. L'avenir dépendra des choix politiques des différents pays en matière de transition climatique. Si ceux-ci poursuivent les politiques actuelles, la croissance de la demande sera progressive, mais les États exportateurs resteront dépendants de leurs recettes minières. Dans un scénario plus ambitieux, où le monde viserait la neutralité carbone, la demande grimperait beaucoup plus vite, ce qui gonflerait les recettes fiscales, mais accentuerait aussi les risques liés à la volatilité des prix.

Or, si plusieurs travaux – par exemple, ceux de l'Agence internationale de l'énergie sur la sécurité d'approvisionnement en minerais critiques, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les chaînes de valeur et les restrictions à l'exportation, ou encore du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale sur la vulnérabilité budgétaire des pays riches en ressources – évaluent déjà les risques d'approvisionnement ou les enjeux géopolitiques liés à ces matières premières, il existe encore peu d'outils pour mesurer concrètement ce que cette volatilité implique pour les finances publiques des pays producteurs, alors qu'un tel indice est essentiel pour éclairer les décisions budgétaires et de gestion des risques.

Pour analyser ces dynamiques et mieux mesurer cette exposition, un indice de risque fiscal (Fiscal Revenue Risk Index) a été développé dans une étude récente que j'ai menée. Il prend en compte la dépendance des recettes publiques aux minerais, la volatilité historique des prix et l'évolution de la demande. Les résultats révèlent des contrastes marqués : le Mozambique, le Gabon et la République démocratique du Congo présentent des scores de risque élevés. L'Argentine, grande productrice de lithium, voit son risque croître fortement entre 2030 et 2040, tandis que le Mexique et les Philippines, grâce à des économies plus diversifiées, apparaissent plus stables.

Un impact réel pour les populations

La question n'est pas abstraite. Les recettes fiscales financent les services publics. Si elles s'effondrent à cause d'une chute du prix du cobalt ou du cuivre, les gouvernements risquent de réduire les dépenses sociales, de repousser des investissements en santé ou en éducation, ou encore d'augmenter brutalement les impôts. Autrement dit, la volatilité des minerais peut se traduire directement dans la vie quotidienne des populations.

Trois pistes ressortent des travaux récents sur la vulnérabilité fiscale liée aux minerais critiques :

  • Diversifier les économies : réduire la dépendance aux recettes minières en développant d'autres secteurs comme l'agriculture, l'industrie manufacturière ou les services.
  • Mettre en place des fonds de stabilisation : épargner une partie des revenus tirés des minerais lors des périodes de prix élevés pour amortir les chocs en cas de chute brutale. L'exemple des fonds souverains, comme celui de la Norvège alimenté par le pétrole, illustre ce mécanisme.
  • Renforcer la coopération internationale : les pays consommateurs et producteurs ont intérêt à mieux coordonner leurs politiques. L'Union européenne (UE), avec son Critical Raw Materials Act, cherche à sécuriser ses approvisionnements, mais elle pourrait aussi contribuer à aider les pays producteurs à gérer la volatilité et à investir dans un développement durable.

Une promesse à double tranchant

L'Europe importe presque tous ses minerais critiques. Sa sécurité énergétique et industrielle dépend donc de la stabilité de pays comme la RDC, l'Argentine ou le Mozambique. Une crise budgétaire locale pourrait suffire à perturber la production mondiale de batteries et à ralentir la transition énergétique.

Minerais critiques : une instabilité qui fragilise les pays émergents et en développement

La transition verte est indispensable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais elle crée aussi de nouvelles fragilités dans les économies du sud. Pour qu'elle réussisse, il ne suffit pas d'innover technologiquement : il faut aussi garantir que les pays producteurs en tirent des bénéfices durables, sans tomber dans le piège de la dépendance et de la volatilité.

En somme, l'énergie verte n'est pas seulement une affaire d'ingénierie. C'est aussi une question de fiscalité, de solidarité et de gouvernance mondiale.


Auteur: Paola D'Orazio - Associate Professor, IÉSEG School of Management

Cet article est issu du site The Conversation

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