
métaux précieux
Dans un monde marqué par l'incertitude des tensions géopolitiques, l'instabilité monétaire, l'endettement global… les métaux précieux retrouvent une place centrale dans les stratégies d'investissement. Loin d'être de simples reliques du passé, l'or, l'argent, le platine et le palladium sont aujourd'hui au cœur des grands équilibres économiques. Tantôt valeur refuge, tantôt matière première stratégique, leur prix reflète bien plus que l'offre et la demande : il traduit des dynamiques profondes, entre inflation, transition énergétique et recomposition des puissances économiques. Qu'ils soient monétaires ou industriels, liquides ou rares, ces quatre métaux ne réagissent pas tous de la même façon. Mais chacun d'eux, à sa manière, ouvre des opportunités d'investissement.
Alors que les grandes puissances vacillent entre rivalités géopolitiques, tensions commerciales et fragilité budgétaire, l'or connait un retour en grâce spectaculaire, avec une accélération à la hausse sans appel dès lors que son cours a réussi à s'affranchir de sa zone de résistance clé autour des 2.075 dollars l'once. Dans un contexte où la guerre en Ukraine perdure, où les tensions s'intensifient entre la Chine et les États-Unis et où l'Inde s'impose comme un acteur économique et joaillier majeur, les investisseurs cherchent une valeur refuge universelle. L'or, millénaire et tangible, s'impose de nouveau comme le rempart ultime contre l'incertitude.

L'or : valeur refuge dans les grandes phases de marchés
On observe sur le graphique ci-dessus (en base mensuelle) le rôle de valeur refuge joué par l'or dans les grandes phases de marché, en comparant son évolution avec celle du S&P 500, indice de référence mondiale.
La trajectoire récente du métal jaune illustre ce regain d'intérêt. L'évolution récente du cours de l'or illustre parfaitement la nature cyclique de cet actif refuge. Après une phase de consolidation prolongée entre avril 2020 et mars 2024, le métal jaune a connu une accélération fulgurante de +60%, dans le sillage d'une configuration graphique déjà observée par le passé. Deux précédents mouvements similaires confirment ce schéma récurrent : des périodes d'accumulation lentes, précèdent des impulsions haussières puissantes.
- Après une longue période de latéralisation entre les années 1980 et 2000, l'once d'or a littéralement explosé (au moment de la fameuse crise des .com) s'offrant pas moins de 630% en 11 ans.
- Après là encore une phase de consolidation entre 2011 et 2018, nouvelle puissante vague de hausse qui a permis à l'once de s'octroyer cette fois un plus « modeste » 80% avant de faire face à un seuil de résistance majeur situé vers les 2.075 dollars qui l'a bloquée à 4 reprises jusqu'en août 2024.
La sortie par le haut en 2024 s'inscrit donc dans une dynamique structurelle, portée à la fois par des facteurs techniques et des fondamentaux solides.
L'un des plus importants est la dépréciation du dollar américain. L'indice DXY, qui mesure la force du billet vert face à un panier de devises majeures, a chuté de près de 9% depuis le début de l'année, érodant la confiance dans la devise de référence mondiale. Or, historiquement, un affaiblissement du dollar tend à doper mécaniquement le cours de l'or, libellé dans cette monnaie : pour les investisseurs internationaux, le métal devient moins cher, donc plus attractif. Dans un monde où la stabilité monétaire vacille, l'or retrouve naturellement son rôle d'étalon de sécurité.
Ce phénomène est renforcé par un mouvement historique du côté des banques centrales. Depuis 2022, leurs achats nets d'or se sont envolés, atteignant plus de 1.000 tonnes par an. La part de l'or dans les réserves officielles des banques centrales mondiales est passée de 9,1% à 14,7% en quelques années, atteignant ainsi un niveau inédit depuis plus d'un demi-siècle. Cette montée en puissance s'explique par une vague d'achats stratégiques menés notamment par des pays comme la Chine, la Pologne ou la Turquie, qui cherchent à réduire leur dépendance au dollar américain et à renforcer la stabilité de leurs réserves en période d'incertitude monétaire.

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Sur ce graphique publié par le World Gold Council on voit que la demande mondiale d'or en volume reste structurellement robuste, oscillant entre 3.500 et 5.000 tonnes par an depuis deux décennies. Le graphique met en évidence une stabilité des niveaux, avec un pic en 2024 où la barre symbolique des 5.000 tonnes a été frôlée.
Dans ce contexte, certains analystes n'excluent pas un scénario de hausse bien plus marquée. Si la dynamique actuelle d'endettement souverain s'emballe et si la confiance monétaire continue de s'effriter, un objectif de 4 000 $ l'once paraît de moins en moins farfelu.
Parallèlement à ces mouvements institutionnels, la demande physique reste robuste. L'Inde et la Chine, grands consommateurs historiques, continuent de soutenir le marché à travers la joaillerie qui représente encore près de 40% de la demande mondiale. À cela s'ajoutent les investissements des particuliers et des fonds via les ETF adossés à l'or, les lingots et les actions minières. L'or est, de tous les métaux précieux, le produit le plus liquide et le plus accessible, autant pour les banques centrales que pour les investisseurs particuliers.
2. L'argent : le métal oublié… en sursis
Souvent considéré comme le « petit frère » de l'or, l'argent métal suit la même tendance historique, mais avec un décalage net et persistant. Alors que l'or a récemment inscrit de nouveaux records, l'argent reste loin de son sommet historique de 50 dollars atteint en 2011. Son cours actuel, autour de 32 dollars, suggère un potentiel de rattrapage évident. Pourtant, les fondamentaux du métal gris sont parmi les plus solides du secteur.

Graphique Silver
Au-delà de sa fonction monétaire marginale, l'argent se distingue par ses usages industriels massifs. Il est essentiel à la fabrication de panneaux solaires, de batteries, de semiconducteurs et même de dispositifs médicaux. Sa conductivité électrique et thermique exceptionnelle en fait un matériau irremplaçable. À titre d'exemple, chaque panneau photovoltaïque contient en moyenne 15 à 20 grammes d'argent, une consommation appelée à exploser avec la transition énergétique mondiale.

Demande en argent
Un coup d'œil au graphique de l'offre et de la demande mondiale met en évidence une tension structurelle du marché. Depuis 2021, la demande dépasse largement l'offre, atteignant jusqu'à 1.300 Moz (plus de 40.000 tonnes) contre une production annuelle qui stagne autour de 1.000 Moz (environ 31.000 tonnes). Le recyclage d'argent reste limité, et les nouvelles capacités minières peinent à émerger. Cette situation devrait logiquement provoquer une envolée des prix, mais ce n'est pas encore le cas. Une part importante du marché est influencée par la spéculation, notamment par des positions vendeuses à découvert (shorts) encore très importantes. Ce décalage entre les fondamentaux et le prix ouvre une fenêtre d'opportunité stratégique pour de nombreux investisseurs.

Ratio Or Argent
En complément, le ratio or/argent, indicateur historique du rapport de valeur entre les deux métaux, renforce cette lecture. Ce ratio — actuellement situé autour de 85 — indique qu'il faut 85 onces d'argent pour acheter une once d'or. Historiquement, la moyenne se situe autour de 60. Ce niveau élevé suggère que l'argent est largement sous-évalué par rapport à l'or. Certains investisseurs utilisent ce ratio comme un signal d'arbitrage, en achetant de l'argent lorsque le ratio dépasse 80 - 90, dans l'attente d'un retour vers sa moyenne.
Pris ensemble, l'évolution des prix, le déséquilibre persistant entre l'offre et la demande et le niveau historiquement élevé du ratio or/argent dessinent une réalité troublante : un actif industriel stratégique, structurellement déficitaire, mais encore sous-coté. Si les flux spéculatifs se réalignent sur les fondamentaux, l'argent pourrait bien connaître à son tour une très nette accélération.
3. Le platine : discret, ultra rare, et stratégique
Contrairement à l'or ou à l'argent, le platine n'est pas un métal monétaire mais essentiellement un métal industriel. Plus rare, plus dense, mais aussi moins liquide sur les marchés financiers, il est encore peu accessible au grand public. Sa faible capitalisation sur les ETF ou les marchés dérivés explique qu'il soit souvent négligé par les investisseurs particuliers.
80% de l'offre mondiale provient d'un seul pays : l'Afrique du Sud, ce qui expose la chaîne d'approvisionnement à un risque géopolitique élevé. Le cours du platine reflète d'ailleurs cette complexité. Après un sommet à 2.300 dollars l'once en 2008, il évolue aujourd'hui autour de 965 dollars, soit une baisse de plus de 58%. Un repli qui semble d'autant plus surprenant que la demande industrielle ne cesse de croître, tandis que l'offre reste limitée et concentrée, créant un déséquilibre durable sur le marché.

Graphique Platine
Le platine est un métal précieux industriel par excellence. Il est utilisé dans :
- les pots catalytiques, notamment pour les véhicules diesel, où il représente environ 39% de la demande mondiale, soit près de 90 tonnes en 2021
- les catalyseurs chimiques (raffinage pétrolier, production d'acide nitrique)
- la fabrication de verrerie haute température, et certains dispositifs médicaux ou traitements, notamment en oncologie.
Avec la flambée des prix du palladium ces dernières années, le platine est devenu un substitut de plus en plus attractif, notamment dans les moteurs à essence. Ce transfert technologique renforce encore sa demande industrielle.
Par ailleurs, le platine est au cœur de la filière hydrogène : il est un composant clé des piles à combustible à hydrogène (PEMFC), utilisées dans les véhicules à hydrogène ou comme sources d'énergie stationnaires. À mesure que cette technologie se déploie, la demande en platine pourrait connaître une accélération durable.

Production de platine
Le graphique de l'offre et de la demande mondiale publié par le WPIC (World Platinum Investment Council) révèle une tendance claire au déficit structurel. Depuis 2023, la demande dépasse systématiquement l'offre, avec un déficit proche du million d'onces en 2024. Si la dynamique se poursuit, ces déséquilibres pourraient peser sur l'offre disponible et soutenir les cours.
En somme, le platine reste l'un des métaux les plus sous-estimés du spectre industriel. Rare, critique, et stratégiquement positionné dans des secteurs d'avenir, il pourrait bientôt sortir de l'ombre à condition que les investisseurs lui prêtent enfin attention.
4. Le palladium : de star à marginal ?
Le palladium fut, il n'y a pas si longtemps, le roi des métaux industriels. En mars 2022, il atteignait un sommet historique autour de 3.000 dollars l'once, dépassant largement l'or — un fait rarissime dans l'histoire des métaux précieux. Cette flambée spectaculaire, liée à la forte demande du secteur automobile, a été de courte durée : moins de deux ans plus tard, son prix a chuté de 68%, retombant sous les 1.000 dollars.

Graphique Palladium
Le graphique ci-dessus illustre cette bascule : entre 2019 et 2023, le palladium a brièvement surperformé l'or, avant de retomber brutalement dès 2023.
Le palladium est extrêmement rare : il est 30 fois plus rare que l'or, et sa production mondiale est ultraconcentrée, avec près de 78% provenant de Russie et d'Afrique du Sud. Cette dépendance à des zones géopolitiquement sensibles a longtemps soutenu les prix jusqu'à ce que l'équilibre de marché se retourne.
Le recyclage est devenu un pilier majeur de l'offre. Développé depuis les années 2000 à partir des catalyseurs automobiles usagés, il représente aujourd'hui environ 60% des volumes récupérés en fin de vie, allégeant la pression sur l'extraction primaire. Parallèlement, la demande s'est effritée. Face à l'envolée des prix, les constructeurs ont amorcé une substitution progressive par le platine, historiquement moins cher et désormais plus compétitif, même dans les moteurs essence. Enfin, la montée en puissance des véhicules électriques, qui n'utilisent pas de catalyseurs à base de métaux précieux, marginalise peu à peu le palladium dans la transition énergétique.
De métal vedette, le palladium semble glisser vers un statut plus secondaire, cannibalisé par le platine et relégué par les nouvelles technologies de motorisation. Pour les investisseurs, le potentiel spéculatif reste élevé, mais les fondamentaux se sont fragilisés.
Conclusion
Les métaux précieux ne sont plus seulement des refuges traditionnels ou des objets de spéculation : ils se situent désormais au croisement des enjeux monétaires, industriels et géopolitiques. Leur rôle s'intensifie dans un monde en mutation où les politiques de dédollarisation, la transition énergétique, et les fragilités systémiques redessinent les règles du jeu.
Réalisé par Hugo Jouan avec l'aide de Marc Dagher
Article initialement publié sur
DT Expert
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