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L'UE veut se protéger après les incursions de drones russes
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Scepticisme de l'Allemagne et de la France
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L'UE veut tirer profit de l'expérience de l'Ukraine
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Les entreprises de défense voient une opportunité
par Andrew Gray, Supantha Mukherjee et Max Hunder
BRUXELLES/STOCKHOLM/KYIV, 15 octobre (Reuters) - Q uelques heures après l'incursion d'une vingtaine de drones russes dans l'espace aérien polonais, en septembre, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen déclarait qu'il était temps pour l'Europe de bâtir un "mur anti-drones" pour protéger son flanc oriental.
Les incidents provoqués par des drones détectés au-dessus d'aéroports au Danemark et en Allemagne dans les semaines qui ont suivi ont renforcé parmi les dirigeants européens l'idée que le continent avait besoin de toute urgence de mieux se protéger contre cette menace.
Le projet de "mur anti-drones" reste toutefois incertain, selon des responsables et des diplomates au fait des discussions internes à l'UE interrogés par Reuters.
"Nos capacités sont vraiment, pour l'instant, assez limitées", a indiqué le commissaire européen à la Défense, Andrius Kubilius, qui joue un rôle de premier plan dans l'élaboration du projet.
Andrius Kubilius a également déclaré à Reuters que l'UE devrait s'appuyer fortement sur l'expertise ukrainienne, acquise depuis près de quatre ans pour contrer les vagues de drones russes.
Le projet de "mur anti-drones" fait figure de test des ambitions de l'UE en matière de défense - domaine traditionnellement réservé aux Etats membres et à l'Otan - ainsi que de sa capacité à garantir davantage sa propre sécurité, comme exigé par le président américain Donald Trump.
La Commission, organe exécutif de l'UE, s'efforce de convaincre les gouvernements du sud et de l'ouest de l'Europe, lesquels ont fait valoir que le projet initial était trop axé sur la frontière orientale du bloc alors que les drones pourraient constituer une menace pour l'ensemble du continent.
La proposition fait aussi l'objet d'une lutte de pouvoir au sujet du contrôle des principaux projets de défense européens, que l'Allemagne et la France sont réticentes à confier à la Commission, selon des diplomates.
LA COMMISSION A ÉLARGI LE CONCEPT INITIAL
Certains responsables européens ont également remis en question l'expression de "mur anti-drones", estimant qu'elle implique une fausse promesse de sécurité alors qu'aucun système ne sera en mesure de repousser tous les appareils.
Pour s'assurer davantage de soutien, la Commission a élargi le concept initial en passant d'un réseau intégré de capteurs, de systèmes de brouillage et d'armes le long de la frontière orientale de l'UE à une organisation de systèmes anti-drones à l'échelle du continent.
Elle prévoit ainsi de renommer son projet pour évoquer une "Initiative européenne de défense contre les drones" dans une "feuille de route" qui doit être dévoilée jeudi.
S'il se concrétise, le projet sera une aubaine pour les fabricants de systèmes anti-drones, qu'il s'agisse de start-ups dans les Etats baltes ou de grands acteurs de l'industrie de la défense tels que les sociétés allemandes Helsing et Rheinmetall.
La Commission n'a pas dit combien coûterait son projet. Selon le cabinet de conseil géopolitique Rane, il pourrait générer des milliards d'euros de commandes mais aura du mal à obtenir des financements de l'UE sans un soutien massif des gouvernements européens.
"Le chemin vers une concrétisation reste long et semé d'embûches", a déclaré Matteo Ilardo, analyste principal de Rane pour l'Europe, évoquant des défis majeurs "en termes de coûts, d'échelle et d'intégration transfrontalière".
Selon un porte-parole des gardes-frontières estoniens, les pays baltes, ainsi que la Pologne et la Finlande, ont présenté l'idée d'un "mur anti-drones" à la Commission l'année dernière et ont fait une demande de financement auprès d'un fonds de l'UE afin de déployer des capteurs et des drones pour lutter contre la traite d'êtres humains.
"UN DRONE À 10.000 EUROS ABATTU PAR UN MISSILE À UN MILLION"
Le projet n'a pas réussi à s'imposer au niveau de l'UE dans un premier temps, mais - selon des responsables européens - il a ensuite évolué vers un concept davantage axé sur la défense après que le vice-premier ministre ukrainien Mykhailo Fedorov a présenté à Ursula von der Leyen, en avril, la manière dont Kyiv lutte contre les attaques de drones russes.
L'incursion russe dans l'espace aérien polonais du 9 septembre a en outre mis en évidence le manque de préparation des pays de l'UE face à la menace des drones, renforçant le sentiment d'urgence.
L'Otan a déployé à cette occasion des avions de chasse F-35 et F-16, des hélicoptères et un système de défense aérienne Patriot d'une valeur totale de plusieurs milliards de dollars pour contrer des drones russes Gerbera - basés sur les modèles iraniens Shahed -, infiniment moins coûteux.
"Un drone à 10.000 euros abattu par un missile à un million d'euros, ce n'est pas viable", a déclaré mardi Andrius Kubilius lors d'une conférence sur la défense à Bruxelles.
Une fois que la Commission aura étoffé son projet, les Etats membres décideront de lui donner ou non leur feu vert.
Selon des diplomates, si les petites nations jugent plus utile que la Commission coordonne ce type de projet, certains grands Etats comme la France et l'Allemagne souhaitent en garder le contrôle.
Ni le chancelier allemand Friedrich Merz ni le président français Emmanuel Macron n'ont jusqu'à présent adhéré à la proposition de l'exécutif européen. Lors d'un sommet de l'UE à Copenhague au début du mois, Emmanuel Macron a ainsi déclaré que les menaces liées aux drones était "plus sophistiquées, plus complexes" que ne le suggérait l'idée d'un "mur" visant à s'en protéger.
UN SYSTÈME À PLUSIEURS NIVEAUX
Les pays souhaitant coopérer à la mise en place d'un système anti-drones pourraient notamment utiliser leurs budgets nationaux et le programme de prêts SAFE de l'UE pour des projets de défense, doté de 150 milliards d'euros.
Tirant les leçons de l'expérience ukrainienne, le projet devrait inclure des caméras, des systèmes acoustiques, des radars et des détecteurs de radiofréquences, d'après les indications fournies par plus d'une douzaine de responsables européens et de cadres de l'industrie.
"Nous devons disposer d'un système à plusieurs niveaux capable de détecter, de classer, d'engager et d'éliminer la cible", a déclaré Leet Rauno Lember, directeur général de l'entreprise estonienne Marduk Technologies.
Parmi les armes permettant de contrer les attaques figureraient des mitrailleuses et des canons, des roquettes, des missiles et des drones d'interception, ainsi que des systèmes de brouillage électronique et des lasers, ont également dit les sources interrogées par Reuters.
L'intelligence artificielle est déjà sollicitée pour identifier et cibler des drones et son utilisation dans ce domaine devrait s'accroître, selon les industriels.
"Il n'existe pas de solution universelle. Il n'y a pas de technologie miracle", a déclaré Dominic Surano, directeur des projets spéciaux chez Nordic Air Defence, entreprise basée à Stockholm qui a développé un système d'interception mobile.
Les experts soulignent en outre que le projet nécessiterait des mises à jour constantes car les drones évoluent rapidement.
L'ENJEU DE L'INTÉGRATION AU SYSTÈMES DE L'OTAN
Selon Taras Tymochko, spécialiste des drones d'interception chez Come Back Alive, une organisation caritative ukrainienne qui a acheté pour des centaines de millions de dollars d'équipements militaires, les forces ukrainiennes ont ainsi dû s'adapter rapidement.
Certaines entreprises, comme les sociétés allemandes Alpine Eagle et Quantum Systems, ont élaboré leurs propres projets de systèmes anti-drones basés sur différentes couches d'équipements terrestres et aériens.
Rheinmetall, la plus grande entreprise de défense allemande, a déclaré que la détection des petits drones et la défense contre des attaques en essaims, devenues une caractéristique de la guerre en Ukraine, constituaient un défi majeur.
"La défense contre les drones à l'aide de canons doit être privilégiée car il s'agit de la seule mesure rentable", selon l'entreprise.
Rheinmetall a indiqué avoir reçu récemment des commandes de l'Allemagne, du Danemark, de la Hongrie et de l'Autriche pour son système mobile Skyranger, qui associe des capteurs et un canon.
L'UE et ses États membres devront déterminer quels systèmes acheter, où les utiliser et comment les relier entre eux, ont déclaré des responsables du bloc et des cadres de l'industrie.
Tout dispositif devra en outre s'intégrer aux systèmes de défense aérienne et antimissile plus vastes de l'Otan, selon les experts, dont certains estiment que le projet de la Commission risque de prendre des années avant de se concrétiser.
(Avec Sabine Siebold, Andrius Sytas, Christoph Steitz, Anne Kauranen, Karol Badohal, John Irish, Lili Bayer et Barbara Erling, rédigé par Andrew Gray, version française Benjamin Mallet, édité par Blandine Hénault)
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