
Le siège de la Fed à Washington. (Crédits: Adobe Stock)
Création d'emplois en baisse, chômage des jeunes en hausse, accélération de l'inflation… la politique économique américaine montre ses effets. Christian de Boissieu revient sur les risques potentiels, à l'heure d'une première détente des taux d'intérêts par la Réserve fédérale des Etats-Unis
Prise entre plusieurs feux, la Fed vient donc d'abaisser son principal taux directeur (le taux sur les fonds fédéraux) de 25 points de base, avec désormais comme cible l'intervalle 4-4,25%. Le seul membre du Board à s'être opposé à cette décision mercredi dernier est, de façon à la fois attendue et inélégante, Stephen Miran. Le principal conseiller économique de Donald Trump, par ailleurs président du Council of Economic Advisers et fraîchement entré au Board de la Fed, voulait un geste de 50 points de base, et c'est pour cela qu'il a voté contre. Soit dit en passant, même si la participation de Miran au Board de la Fed est en principe « temporaire », elle crée un vrai conflit d'intérêts et une atteinte flagrante à l'indépendance de la banque centrale. Aux Etats-Unis comme ailleurs, le temporaire peut en pratique se révéler durable…
Le contexte était et reste fortement conflictuel, avec les insultes répétées du président Trump à l'égard de Jérôme Powell. Le patron de la Réserve fédérale, périodiquement traité de «crétin» et de «Mister too late», a eu le mérite de ne pas répondre, plus exactement de rétorquer en avançant calmement des arguments difficilement contestables par exemple lors du séminaire de rentrée de Jackson Hole en août dernier.
Car, si le marché du travail commence à répercuter la dégradation de la conjoncture américaine, avec des créations nettes d'emplois en fort recul et un taux de chômage des jeunes proche de 11% (au plus haut depuis quatre ans), dans le même temps l'inflation accélère, passant de 2,7% en juillet sur douze mois à 2 ,9% en août. Un chiffre qui est passablement éloigné de l'objectif de 2% réaffirmé par la Fed mercredi dernier comme elle le fait lors de chaque réunion de son Comité de politique monétaire (FOMC). C'est au titre de son mandat dual, plus équilibré que celui de la BCE car mettant la croissance et l'emploi au même niveau que la stabilité monétaire dans les objectifs assignés à la banque centrale (même si, en pratique, il ne faut pas exagérer la différence…), que la Fed justifie sa décision.
Prise à contrepied par l'inflation ?
Ce faisant, la Fed prend le risque d'être prise à contrepied si l'inflation continue à rebondir. Un scénario qu'on ne peut pas écarter, car l'effet inflationniste des droits de douane décidés unilatéralement par Donald Trump ne fait que commencer à se manifester, vu les délais impliqués. En privilégiant le risque du ralentissement voire de la récession par rapport au risque d'inflation, la Fed a réduit un peu la pression extérieure qui s'exerce sur elle, et «acheté» du temps vis-à-vis du pouvoir politique. Désormais, il est pratiquement acquis que Jérôme Powell ira jusqu'au terme de son mandat en mai 2026. Le sort de Lisa Cook, autre membre du Board de la Fed, que Donald Trump veut destituer pour de supposées malversations, va quant à lui se jouer sous peu devant les tribunaux.
La Fed a laissé entendre qu'elle pourrait encore baisser deux fois son taux directeur d'ici la fin de l'année. Si cela se fait avec à chaque fois un pas de 25 points de base, cela veut dire que le taux des fonds fédéraux serait à la fin de 2025 entre 3,50 et 3,75%.
Pour la conjoncture et pour l'inflation, il faudra surveiller l'impact de la politique de la Fed sur les taux d'intérêt à long terme et sur le taux de change du dollar. Pour les taux longs, deux forces inverses vont se combiner. L'anticipation des réductions des taux courts pousse, toutes choses égales d'ailleurs, les taux longs à la baisse. Le regain des anticipations d'inflation joue dans l'autre sens. Depuis le début de 2025, c'est le premier effet qui a été dominant : le taux à 10 ans sur les obligations d'Etat est passé d'environ 4,5% en avril à près de 4,2% tout récemment. Cela pourrait changer si le rebond de l'inflation était confirmé dans les prochains mois.
Quant à l'impact sur le taux de change, on peut penser que la baisse du dollar vis-à-vis de l'euro depuis janvier a été alimentée, entre autres facteurs, par l'anticipation d'une politique monétaire plus souple. La quasi programmation de deux nouvelles détentes d'ici la fin de 2025, face à un probable statu quo du côté de la BCE, pourrait renforcer le recul du dollar vis-à-vis de l'euro (et peut-être d'autres devises). Si c'est le cas, il y aurait là une alimentation de l'inflation et des anticipations d'inflation aux Etats-Unis qui viendrait s'ajouter à l'impact des droits de douane.
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