Un salarié de Delfingen au travail. (Crédits: Delfingen)
Face à de clients constructeurs automobiles (ou "OEMs" pour les amateurs éclairés) le plus souvent bien plus gros qu'eux, les équipementiers n'ont pas toujours la vie facile, c'est un fait. On l'a encore constaté ces dernières années quand lesdits constructeurs, qui avaient tous bien réussi à augmenter sérieusement les prix de vente grand public pour leurs propres produits, se sont montrés notoirement peu compréhensifs avec leurs fournisseurs quand ces derniers se battaient avec des hausses de coûts variées (matières premières, énergie, transport, salaires), avec de plus les coûts cachés du stop and go dans les productions lié aux pénuries de composants électroniques, et osaient demander des hausses de prix pour eux-mêmes.
Et il n'y a pas que cela : des délais de règlement souvent allongés le plus possible sont tout aussi notoirement une tradition dans ce métier. Et un travers assez franco-français, à en juger d'après les interventions récurrentes sur ce chapitre de nos gouvernements successifs, qui n'arrivent jamais à le corriger durablement. Le tout pouvant inciter à penser que cette relation de tous temps très virile entre les grandes marques automobiles et leurs fournisseurs n'a finalement pas aidé sur le long-terme, puisqu'on fabrique deux ou trois fois moins de véhicules légers en France qu'il y a 25 ans. Et puisque que les équipementiers français : Plastic Omnium (devenu depuis peu OPMobility), Forvia (ex-Faurecia), Valeo et autres ont fini par aller se développer avec succès à l'étranger, en Allemagne notamment, où l'industrie automobile, qui traite apparemment mieux ses fournisseurs, a connu un âge d'or jusqu'à il y a peu.
Les équipementiers autos : pas souvent des darlings de la Bourse…
Pour couronner le tout, et vraisemblablement en bonne partie à cause de ce qui précède, la Bourse n'est dans l'ensemble pas très tendre non plus avec les équipementiers. Ceux-ci sont en ce moment valorisés avec des multiples faibles en valeur absolue, en gros entre 3x et 6x pour les multiples cours/bénéfice par action, à comparer à un PER du Cac 40 de 14x environ ces derniers temps. Et de l'ordre de 0,3x pour les multiples capitalisation boursière/chiffre d'affaires, ce qui n'est pas beaucoup, et de 0,5x si l'on ajoute les dettes financière nettes aux capitalisation boursières, ce qui n'est toujours pas beaucoup.
Mais, il faut le noter, les investisseurs se sont montrés quelquefois plus enthousiastes dans le passé, notamment en 2017, où le PER moyen du secteur était plutôt de 13x, et le multiple de chiffre d'affaires de 1x environ. Parce que l'on croyait très fort à l'époque à deux grandes nouveautés qui allaient révolutionner l'automobile, à savoir le véhicule électrique, ce qui est arrivé, même si c'est moins flamboyant ces derniers temps, et la conduite autonome, autrement dit l'ADAS, que l'on attend toujours un peu au tournant (ou plus vraiment).
Et notamment aussi en 2021, où ces fameux multiples sont bien remontés aussi (en gros : respectivement 11x et 0,6x) parce que le deuxième semestre 2020 avait été incroyablement profitable pour beaucoup d'intervenants, dans le grand rattrapage de l'après confinement. Rattrapage qui en a surpris plus d'un, il faut le rappeler, à commencer par les économistes qui annonçaient charitablement une bonne récession pour la rentrée de septembre. Comme quoi…
… surtout en retournement de cycle, comme en ce moment
Bref, tout ça pour dire que, si le métier à ses contraintes propres, le cycle a aussi son mot à dire, et plutôt deux fois qu'une. D'autant que le secteur automobile boursier que l'on connaît, de Stellantis à BMW en passant par GM et Ford, se débat clairement dans un vrai retournement de marché en ce moment. Très notamment sur les marchés matures d'Europe et d'Amérique du Nord, depuis longtemps des marchés de renouvellement, qui pâtissent à la fois de la fin des bons niveaux de prix, avec une forte concurrence de l'occasion qui plus est, et du ralentissement, pour toutes sortes de raisons, du boom des ventes de voitures électriques. Le tout aggravé ici et là par l'irruption de nouveaux constructeurs chinois très agressifs a priori, comme chacun sait. Et il ne faut donc pas s'étonner si les cours de Bourse ont bien fléchi dans l'ensemble, que ce soit ceux des constructeurs ou ceux des équipementiers.
Ce qui est le cas d'une belle ETI cotée du secteur : Delfingen Industry, dont le cours est revenu à son niveau de 2020, après avoir tutoyé des plus hauts assez hauts, c'est-à-dire quatre fois plus hauts que les cours actuels. Et pour cause : entre autres choses, les produits de Delfingen protègent les câblages dans la voiture, ce qui est indéniablement un plus quand la dite voiture s'électrifie. Et ce surtout quand on prédisait à tous vents un avenir glorieux à la voiture à batteries, le VE, la watture, et ainsi de suite, ce qui est un peu moins le cas maintenant.
Delfingen : de l'excellence industrielle sans aucun doute
Basé à Anteuil, dans le Doubs, Delfingen Industry travaille dans 21 pays avec 41 implantations dont 25 usines et 4 000 salariés environ, pour un chiffre d'affaires 2024 attendu de 420 millions d'euros, et des produits vendus à 85% aux câbleurs : Yasaki, Aptiv, Sumitomo Electric, Lear, Leoni et les autres, fournisseurs Tier One des constructeurs automobiles, et à 15% aux constructeurs d'équipements industriels, d'engins agricoles, véhicules de loisirs et ainsi de suite, et robots en tous genres. Les productions de la société étant avant tout des tubes plastiques, pour transporter des fluides comme l'air, l'huile, l'essence, etc… dans la voiture, des gaines en textiles "techniques" de protection des câbles et des pièces plastiques de fixation. Delfingen faisant la R&D/conception des pièces rapidement sur demande, les fabricant avec une belle réputation de qualité et de fiabilité, et les livrant dans les temps, tout simplement.
Un bon développement ces dernières années…
Delfingen a fait une croissance moyenne annuelle (CAGR, pour les fins connaisseurs de la finance) de +13% par an entre 2014 et 2023, en partie organique (dont +9,6%/an de 2021 à 2023), et en partie avec l'aide d'acquisitions. Les plus emblématiques étant Drossbach aux USA en 2017, qui a apporté une clientèle d'industriels, et Schlemmer en Allemagne en 2020, un grand concurrent dans l'automobile/mobilité, et enfin Reiku, toujours en Allemagne en 2023.
En 2023, le chiffre d'affaires a encore progressé de +9%, dont +22,6% pour les gaines textiles et avec une bonne présence sur les nouveaux véhicules électriques premium, avec une marge opérationnelle courante (: Résultat Opérationnel courant/chiffre d'affaires, le Résultat Opérationnel Courant étant le fameux Ebitda, moins les amortissements) de 6,1%, ce qui est très correct pour le métier, et en progression de plus d'un point qui plus est.
…mais 2024 est plus compliqué, apparemment…
Tout s'est un peu gâté depuis, comme on a pu le constater en septembre dernier à l'occasion de la publication des résultats semestriels 2024. Tout d'abord, le chiffre d'affaires des six premiers mois est en baisse, dont -5,6% en organique pour l'automobile, avec des parts de marché qui restent les mêmes cependant, et -5,4% pour l'industrie. Et dont -8,6% dans les Amériques, mais à partir d'une base de comparaison élevée qui avait bénéficié de fortes ventes sur les VE (de Stellantis, etc…), ce qui est moins le cas depuis quelques temps. L'Europe /Afrique étant en baisse de -3,9% avec les constructeurs allemandes, etc… et l'Asie est à -2,2% avec le recul des constructeurs européens sur place, et le non-développement voulu avec le client BYD, à l'usage trop compliqué à gérer selon la direction.
La marge opérationnelle baisse de -1,6 point mais reste à un bon niveau, soit 5,2%, la désinflation des coûts faisant gagner +1,5 point de marge brute, ce qui ne compense toutefois pas la hausse des coûts salariaux. Et surtout, la branche de tubes transferts de fluides : FTT, est non seulement 25% en dessous de son budget, mais est aussi en perte. Et en perte chronique en fait : depuis longtemps semble-t-il, la très bonne rentabilité (marge opérationnelle de 21,4%) de la branche qui vend hors automobile et la rentabilité correcte (5,2%) des systèmes de protection automobile (PS) compense celle très négative de FTT (-10,1%). Qui va purement et simplement être restructuré i) en arrêtant de faire de l'assemblage de sous-ensembles et en se recentrant sur la pure fabrication des tubes techniques, ii) en arrêtant les contrats peu contributifs, soit moins d'activité, et 450 salariés en moins, avec iII) une grosse provision à la clé qui met le résultat net publié en perte au premier semestre.
Delfingen affichant un bilan tendu, ce qui n'arrange rien, soit un ratio Dette Financière Nette/Fonds Propres de 85% (hors dette notionnelle IFRS16), ce qui est un peu beaucoup, et un levier Dette Nette/Ebitda de 2,9x, soit juste un peu moins que les sacro-saint 3x (au-delà desquels la théorie financière moderne ne répond plus de rien).
… et le tout va nécessiter un peu de patience
Delfingen a publié récemment son chiffre d'affaires du troisième trimestre (le T3-2024, pour ceux qui ont une vraie culture financière), lequel n'est toujours pas très rassurant, soit -12,3% à données constantes sur un an pour ce trimestre, et -7,3% pour les 9 premiers mois 2024. Toujours pour les mêmes raisons : baisse des volumes de production d'automobiles, avec des ventes médiocres en Europe, et net ralentissement des lancements de nouveaux véhicules électriques partout. Mais la direction estime que les parts de marchés de Delfingen sont toujours préservées, que la marge opérationnelle va rester à un niveau correct, soit au moins 5%, sur l'année malgré tout. Sans trop s'engager sur 2025, où l'activité devrait baisser quelque peu avec la rationalisation dans FTT, et estimant qu'on devrait voir les premiers effets de la restructuration sur la marge au deuxième semestre. Et que surtout 2026 sera à nouveau une belle année, avec une marge opérationnelle de plus de 7,5%, FTT ne perdant plus d'argent. Avec au bilan un levier ramené à moins de 2,25x : Delfingen génère du free cash-flow quand il n'y a pas d'acquisitions, et on devrait pouvoir se désendette avec ça.
Que demander de plus, finalement ?
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