Au vu des résultats initiaux de la dernière phase des essais cliniques de son candidat vaccin contre le chikungunya, la biotech nantaise Valneva est bien partie pour devenir la première entreprise au monde à offrir une réponse thérapeutique à cette maladie infectieuse qui entraîne une morbidité significative. En récompense, elle est éligible à un bonus financier, attribué par l'agence américaine du médicament, mais payable par un grand laboratoire. Le point sur ce mécanisme malin de soutien à l'innovation.
Et s'il était possible de soutenir financièrement les sociétés biopharmaceutiques s'attaquant à des maladies négligées par le gros de l'industrie, sans qu'il n'en coûte un cent au contribuable américain ? C'est l'objectif qui a guidé les économistes David Ridley, Henry Grabowski et Jeff Moe lorsqu'ils ont proposé le mécanisme d'un "Priority Review Voucher". "Rhythm Pharmaceuticals annonce la vente d'un Priority Review Voucher pour 100 millions de dollars", "Spark Therapeutics va recevoir 110 million de dollars à la clôture d'une transaction avec Jazz Pharmaceuticals", "SIGA annonce une cession d'un Priority Review Voucher pour un total de 80 millions de dollars"... Les annonces de transactions de bons d’évaluation prioritaire cessibles se multiplient ces dernières années. Et les montants peuvent représenter une manne considérable surtout pour des sociétés de biotechnologies encore au stade de R&D, aux revenus encore incertains par nature. Une forme de soutien à l'innovation qui ne coûte pourtant rien aux pouvoirs publics, puisqu'elle découle uniquement de transferts intra-industrie, l'effort financier étant supporté par de grands groupes pharmaceutiques aux poches bien remplies.
Dans le secteur de la santé, le temps c'est de l'argent. Il importe d'installer le plus vite possible un produit sur le marché, car l'échéance de la perte des brevets est toujours proche (schématiquement les brevets protègent un nouveau médicament pendant 20 ans à compter de son invention, mais comme le développement dure près d'une dizaine d'années avant de pouvoir effectivement commercialiser, la fenêtre d'exploitation avant que les génériques ne soient autorisés et que les ventes ne s'effritent est d'une dizaine d'années). Quelques mois de gagnés dans le processus d'homologation peuvent donc faire une énorme différence.
La durée standard de l'examen d'une demande d'autorisation de mise sur le marché par l'agence américaine du médicament, la FDA, est de 10 mois. Toutefois une revue prioritaire (priority review) peut être accordée pour des traitements susceptibles de répondre à un important besoin thérapeutique non satisfait jusqu'alors : le délai de réponse est alors ramené à 6 mois.
Parallèlement, l'agence américaine du médicament cherchait des moyens d'inciter les laboratoires à se pencher davantage sur des maladies négligées (généralement parce que le marché potentiel n'est pas jugé assez important), notamment des maladies tropicales affectant surtout des pays à faibles revenus. Autrement dit d'un strict point de vue financier, mettre sur le marché un traitement du cholestérol à forte rentabilité apparaît plus intéressant que de lancer un produit contre la malaria.
Dans le courant des années 2000 une équipe d'économistes de la santé dirigée par David Ridley (Duke University) a échafaudé le principe d'accorder aux entreprises proposant pour la première fois des traitements dans des domaines mis en exergue par l'agence un bon pour une revue prioritaire, cessible et utilisable par n'importe quel autre laboratoire dans n'importe quel autre maladie. Le Sénateur Samuel Brownback (élu Républicain au Kansas à l'époque) et son homologue Démocrate (Ohio) Sherrod Campbell ont emmené le projet devant leurs pairs et la loi a été votée en 2006 pour faire entrer le "voucher" dans l'arsenal de la FDA.
L'idée est qu'en achetant un voucher à une société récompensée d'avoir fait l'effort de s'attaquer à une maladie négligée, le gros labo puisse accélérer l'examen de son hypocholestérolémiant en contribuant lui-même à l'incitation financière pour les maladies négligées.
Le prix d'un voucher dépend uniquement de l'offre et de la demande. Comme certains médicaments rapportent plusieurs milliards de dollars de chiffre d'affaires par année, quelques mois de plus sur le marché peuvent se monnayer très cher. L'historique des transactions montre des prix très significatifs, autour de 100 millions de dollars en moyenne, et jusqu'à 350 millions de dollars pour la plus chère transaction. Le français Sanofi par exemple est un acquéreur assez régulier (en 2015 cela lui a permis de mettre sur le marché son Praluent un mois avant son concurrent le Repatha d'Amgen).
Rien n'empêche en retour de plus gros labos de partir en quête d'un voucher en s'attaquant eux-mêmes à des maladies délaissées. Le suisse Novartis en a décroché plusieurs.
En France le prochain à obtenir un Priority Review Voucher pourrait donc être le laboratoire Valneva. Le groupe a mis au point le premier vaccin potentiel contre le chikungunya, une maladie virale transmise par les moustiques Aedes jusqu'ici surtout présent en Afrique, Asie et dans le sous-continent indien. Plus récemment en septembre 2020, plus de 3 million de cas ont été signalés en Amérique et l’impact économique de la maladie est déjà considéré comme extrêmement important (et risque de continuer à s’alourdir alors que les moustiques qui le propagent ne cessent d’étendre leur territoire à cause du réchauffement du climat).
Les premiers résultats de la phase finale d'essais du VLA1553 présentés cette semaine sont très encourageants, puisque des anticorps neutralisants contre le virus du chikungunya chez 98,5% des participants après une seule injection, avec une bonne réponse dans toutes les catégories d'âge. Valneva semble donc bien partie pour devenir dans quelques mois la première société à avoir homologué un vaccin contre le "chik" auprès de l'agence américaine. Elle recevrait alors un bon d’évaluation prioritaire cessible, qu'elle pourrait valoriser contre espèces sonnantes et trébuchantes pour accélérer ses efforts dans d'autres domaines.