21/02/11 les echos
Bienvenue dans un monde post-islamiste
Ecrit par Dominique MOÏSI
Chroniqueur - Conseiller du directeur de l'Ifri (Institut français pour les relations internationale
Les paris sont ouverts. Quel sera le prochain domino à tomber : la Libye, le Yémen, Bahreïn, la Jordanie, l'Algérie... ? Et, surtout, quand viendra le tour de l'Iran, un enjeu aussi considérable que l'Egypte et un pays particulièrement fragile dans son principe même, son identité islamiste ?
En effet, le nouveau monde dans lequel nous entrons avec un mélange de fascination et d'inquiétude n'est pas seulement « post-occidental » sur le plan mondial avec la montée en puissance des pays dits émergents. Il est aussi sur le plan régional « post-islamiste » pour reprendre l'excellente formule d'un des meilleurs connaisseurs de l'islam, Olivier Roy. Les islamistes ont semblé, tout comme les régimes en place et comme les alliés occidentaux de la Tunisie et de l'Egypte, être pris de court par un soulèvement qui s'est fait sans eux et en dehors d'eux, sans aucune référence positive à l'islam, et, peut-être encore plus surprenant, sans référence négative aux Etats-Unis et à Israël.
Cette double révolution nous pousse à faire preuve d'imagination et à repenser nos catégories mentales en termes de rapports de force classique mais aussi en termes d'équilibre des émotions. Le 25 janvier 2011, le jour où commença la « révolution égyptienne » doit être perçu comme un anti-11 septembre 2001. Hier, des fondamentalistes dominés par une culture d'humiliation et conscients de leur incapacité à nous rejoindre, souhaitaient par le terrorisme destructeur nous ramener à leur niveau. Aujourd'hui, de jeunes Egyptiens et, au-delà de l'Egypte, de jeunes Arabes ou de jeunes Perses animés par une culture d'espoir entendent prendre leur destin en main, non pas en nous détruisant cette fois-ci, mais en se réinventant eux-mêmes. A Gaza, de jeunes Palestiniens, très minoritaires certes, en appellent ouvertement à la paix sur Internet ; « Assez du Hamas, assez de l'OLP, assez d'Israël, nous voulons vivre une vie "normale, maintenant et pas demain !" », disent-ils.
Ce qui se passe aujourd'hui au Moyen-Orient peut être perçu comme un risque certes, mais plus encore comme un défi et une opportunité.
Il est de fait que le régime des ayatollahs à Téhéran est particulièrement nerveux. En 1979, les gardiens de la révolution furent constitués pour défendre les tenants du changement contre l'armée. Les divisions au sein de cette dernière assurèrent le triomphe de la révolution. Aujourd'hui, ce sont les gardiens de la révolution qui sont divisés. C'est sans doute la raison pour laquelle le régime n'utilise pas les pasdarans pour imposer l'ordre, mais une police parallèle, les Basij, qui est particulièrement crainte mais surtout méprisée par la population iranienne. Parviendront-ils longtemps à maintenir le mur de la peur qui s'est effondré hier, en Tunisie et en Egypte ? Depuis la répression brutale qui a suivi les élections de 2009, le mécontentement n'a fait que s'accroître en Iran. Si les divisions qui existent au sein de la garde prétorienne du régime les pasdarans s'approfondissaient, comme le pensent aujourd'hui de très fins observateurs de l'Iran, c'est la survie du régime lui-même qui serait en cause. 2011 peut-il constituer une revanche sur 2009 ? L'Iran a une classe moyenne avide de modernité et de changement qui est toujours plus humiliée par l'inculture et la brutalité de ses élites politiques en place. Sur ce plan sociologique, l'Iran est en réalité beaucoup plus proche de la Tunisie que de l'Egypte. Le grand ayatollah Khamenei a pris un risque inconsidéré pour l'avenir du régime des mollahs en s'alignant derrière le président Ahmadinejad au lendemain des élections confisquées de 2009. Le chef de l'opposition, Mir-Hossein Moussavi, l'homme qui a sans doute remporté ces élections, avait alors pour seule ambition de réformer le régime et non de l'abattre. Mais si les réformes sont impossibles, la révolution devient inévitable. Aujourd'hui, après les Tunisiens et les Egyptiens, c'est au tour des Iraniens de dire « assez ».
Il est certes bien trop tôt pour prédire de manière exacte le calendrier de la chute du régime des mollahs, mais les révolutions intervenues en Tunisie et en Egypte hier rendent le changement en Iran inéluctable. Dans un monde post-islamiste, la présence du régime des mollahs est tout simplement en train de devenir anachronique.
Dominique Moïsi est conseiller spécial à l'Ifri