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Soitec : toujours bien considérer la visibilité
information fournie par Le Cercle des analystes indépendants 15/12/2016 à 10:26

Jérôme Lieury
Jérôme Lieury

Jérôme Lieury

Olier Etudes & Recherches

Analyste financier, membre du Cercle des analystes

https://www.olier-etudes-recherche.fr/

Soitec : toujours bien considérer la visibilité

Soitec : toujours bien considérer la visibilité

Le marché aime bien les sociétés qui tiennent leurs objectifs, ou, en d'autres termes, qui "délivrent" leur "guidance" : la visibilité , la confiance dans les prévisions, peut-être parce qu'elle permet de dormir tranquille, est le tout premier critère de qualité examiné par l'investisseur quand il envisage d'acheter un titre.

En plus, bien entendu, du reste : positionnement stratégique, croissance, marges, génération de cash, bilan/financement, etc… sans parler de la valorisation contenue dans le cours de Bourse du moment. Et sans parler des objectifs de cours donnés par les analystes, des valeurs qui ne peuvent qu'être exactes puisque calculées à l'aide de savantes formules mathématiques.

Tenir les objectifs est aussi ce qui compte avant tout pour une raison bien simple : quand un investisseur est déçu par un résultat qui rate, ou qui va rater, sa cible, il se dégage en vendant le titre, le plus souvent sans état d'âme, et donc brutalement. Partant du principe que ce n'est plus ce que c'était. Multiplié par un grand nombre d'investisseurs, ce mouvement constitue un "sell-off" qui jette le titre en question dans les enfers boursiers, là où se traînent les "value trap", les actions décotées et qui le méritent bien, et dont il met le plus souvent un certain temps à remonter.

Toutefois, la visibilité d'une société cotée ne dépend pas que de la capacité de sa direction à inspirer la confiance sur ses engagements, et/ou à bien communiquer sur leurs ratages éventuels : elle dépend aussi du secteur sur lequel elle opère. De fait, certains métiers, comme vendre de l'eau du robinet, ou du gaz, ou de la téléphonie mobile, à des particuliers branchés sur, ou plutôt attachés à, un réseau, procurent des revenus réguliers et sont donc naturellement tranquilles et prévisibles, alors que d'autres le sont nettement moins, notamment parce qu'ils sont cycliques . Ce que l'on a pu, par exemple, constater ces deux dernières années avec les difficultés évidentes de sociétés du secteur para-pétrolier, conséquence de la baisse de plus de 50% du prix du baril de "brut" depuis la mi-2014.

Enfin, il faut bien l'avouer aussi, la visibilité d'une société cotée a un aspect subjectif : elle dépend aussi de la connaissance que l'investisseur (de base) peut développer sur le secteur en question, alors que certains métiers sont plus techniques , et donc plus compliqués, vus de l'extérieur en tous cas, à appréhender que d'autres.

Et certains secteurs boursiers sont de plus à la fois très cycliques et très techniques : non seulement le pétrole, mais aussi, et sans vouloir être exhaustif, l'aéronautique/spatial, la biotech, la réassurance, et les semi-conducteurs .

Ce dernier métier est à la fois i) un peu mystérieux, puisqu'il s'agit de micro-électronique , de circuits intégrés microscopiques, de puces fabriquées par micro-gravure des dits semi-conducteurs, qui sont des substrats à base de silicium , et ii) soumis à un cycle brutal, avec notamment un renouvellement ultra rapide des générations de produits. Et pour cause : les circuits intégrés voient leurs capacités doubler tous les deux ans, ou leur prix divisé par deux tous les deux ans, ce qui revient au même, en vertu de la fameuse Loi de Moore, loi qui, pour le moment en tous cas, n'a jamais été infirmée. Mais ce marché est aussi très porteur, et le plus souvent très profitable aussi, ce que le boursier moyen peut bien comprendre, puisque les circuits intégrés : microprocesseurs, microcontrôleurs, et aussi MEMs, font marcher tous les appareils : ordinateurs, électroménager, automobile, télécoms, etc… dont on se sert tous les jours ou presque dans nos vies modernes.

Bref : tout ceci pour introduire le mieux possible le sujet du jour, qui est loin d'être un sujet facile, puisqu'il s'agit de trouver une explication au fait que Soitec , qui est à la fois une société de ce secteur, donc cyclique et technique, et une société qui n'a pratiquement jamais atteint ses objectifs (et qui est vraisemblablement la société du marché parisien qui a le plus déçu depuis 15 ans) est toujours cotée . Et avec un cours de Bourse bien remonté des enfers ces derniers temps qui plus est, ce qui est un comble. Et ce qui, incidemment, en fait plus que jamais une vraie curiosité de la cote.

Rappelons tout d'abord que Soitec fabrique des plaques de semi-conducteurs , avec lesquelles on grave les micro-circuits, et qu'elle est de plus spécialiste des semi-conducteurs dits "composés", composés non pas uniquement de silicium, mais de silicium et d'isolants en couches ultra fines, et appelés SOI (pour Silicon On Insulator). Le SOI permet de fabriquer des puces offrant de meilleures performances , avec notamment moins de "fuites" d'électrons, des parasites qui ont tendance à se multiplier quand on miniaturise de plus en plus, c'est à dire quand on réduit de plus en plus l'épaisseur de la gravure des circuits micro-électroniques (pour que la fameuse Loi de Moore continue à s'appliquer).

La société utilise par ailleurs des procédés de fabrication quasiment uniques, pour traiter ces matériaux en couches ultra-minces de seulement quelques atomes d'épaisseur, mis au point au Leti , le laboratoire de micro-électronique du CEA .

Pour cette raison, elle est de fait un des premiers acteurs mondiaux du SOI, sinon le premier, fournisseur de grands noms de l'industrie, non seulement STMicro, un partenaire technologique de longue date, mais aussi IBM, Global Foundries, NXP, ou encore Qualcomm. Des clients qui apprécient d'autant plus le SOI qu'il est le meilleur substrat pour les puces à faible consommation d'énergie de l'ère de la mobilité , et qui attendent en principe impatiemment la production à grande échelle de la nouvelle mouture du SOI développée par Soitec, le FD-SOI.

Rappelons ensuite que Soitec a eu beaucoup d'ennuis ces dernières années, nonobstant ses points forts : une demande malmenée durablement par les heurts et les malheurs du PC et de la console de jeu a poussé la société à se diversifier dans d'autres applications possibles des semi-conducteurs, principalement les cellules photovoltaïques , mais cette diversification a généré des pertes abyssales. Avec notamment la construction d'une usine de panneaux solaires en Californie, pour fournir un client électricien qui, finalement, n'est pas venu.

Rappelons enfin que, pendant tout ce temps, Soitec a toujours réussi à lever des fonds , à raison d'une augmentation de capital ou d'une émission d'obligations convertibles presque tous les ans, et compenser ainsi vaille que vaille une consommation de cash de plus en plus accélérée. Et ce malgré les pertes, les objectifs jamais tenus, et les perspectives de plus en plus incertaines affichées par la société, ce qui peut paraître très étonnant , vu de l'extérieur, comme toujours.

Mais voilà : Soitec en vaut vraisemblablement la peine, avec sa position stratégique sur son marché, et, jusqu'à preuve du contraire, son leadership technologique . Même si la société n'opère peut-être pas au meilleur endroit de la chaîne de valeur : les constructeurs d'équipements de production (ASML, Applied Materials, Aixtron, etc…) et les concepteurs de puces (ARM) en amont, et les fabricants et fondeurs (Intel, GlobalFoundries/AMD, StMicro, Infineon, NXP, IBM, Samsung, TSMC, etc…, etc…) en aval, ont bien mieux vécu qu'elle ces dernières années.

Et puis Soitec est peut-être considéré aussi par d'aucuns comme un champion , voire un trésor national, sur lequel se doit de veiller discrètement la puissance publique française. Par l'intermédiaire de la CDC, longtemps actionnaire fidèle, et plus récemment, de Bpifrance, qui a suivi les dernières opérations, y compris la dernière recapitalisation du printemps 2016.

Une recapitalisation ultime ? Possiblement : l'argent frais a permis de rembourser les dettes les plus criantes, et le bilan a été remis d'aplomb, avec un ratio Dette Nette/Fonds Propres de seulement 25% à fin septembre, alors que la société, recentrée sur son métier de base : la fabrication de plaques en SOI, et débarrassée surtout de ses foyers de pertes, a dégagé une marge correcte sur le premier semestre de son exercice, et, last but not least, généré du cash .

Un résultat que l'on doit aux efforts de la nouvelle direction en place depuis plus d'un an à présent, et qui, dérogeant apparemment à la tradition, tient ses objectifs.

Comme quoi il ne faut désespérer de rien, ne jamais céder au court-termisme, et toujours bien considérer la visibilité . C'est important, finalement.

Jérôme Lieury

Analyste Senior

pour Olier Etudes & Recherche, bureau d'études membre du Cercle des Analystes Indépendants, et éditeur de la première cyber-échoppe d'analyse financière à Paris : www.olier-etudes-recherche.fr

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6 commentaires

  • 02 janvier 16:35

    Les investisseurs qui ont été douchés depuis des années sont-ils prêts à croire à ces nouvelles promesses ?


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