
L'intégration des critères ESG permettra de faire de la rémunération un véritable outil pour prendre en compte les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance à la stratégie générale de l’entreprise
La polémique déclenchée par la rémunération de l’ex-PDG de Carrefour, Georges Plassat, au moment où le Groupe est en pleine restructuration, relance le débat sur la rémunération des dirigeants d’entreprise. Cette affaire rappelle le tollé suscité par la rémunération de Carlos Ghosn et son rejet par l’assemblée générale des actionnaires de Renault en 2016. Dans un contexte socio-économique sensible, le montant des rémunérations des dirigeants d’entreprise est en effet source d’incompréhension pour les salariés, les fournisseurs, la société civile ou parfois les actionnaires eux-mêmes.
Pourtant, les rémunérations perçues par les dirigeants sont largement encadrées. Le Code AFEP-MEDEF (code de gouvernement d’entreprise des grandes sociétés cotées françaises) établit notamment un ensemble de bonnes pratiques sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux, qui est souvent composée d’une partie fixe et d’une partie variable. Cette dernière, qui vise à promouvoir la performance financière et opérationnelle, est historiquement fonction de l’atteinte d’objectifs financiers à court terme comme la croissance du chiffre d’affaires ou encore le rendement des capitaux employés (ROCE). La loi Sapin 2 a également imposé le « Say on Pay » aux sociétés cotées : l’assemblée générale doit désormais approuver la rémunération des dirigeants, sans que le conseil d’administration ne puisse aller à l’encontre de la décision des actionnaires, comme cela s’était produit chez Renault.
Au-delà de ces aspects normatifs, une évolution marquante est à l’œuvre depuis quelques années dans les pratiques de rémunération des entreprises, et ce parallèlement à l’élargissement de leur objet social. Ce mouvement, symbolisé par la loi Pacte, a été concrétisé par le code AFEP-MEDEF révisé en juin 2018, qui prévoit désormais l’intégration de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) à la rémunération des dirigeants. Ainsi, selon un rapport PwC – Orse , 73% des entreprises du CAC 40 intègrent désormais ces critères dans la rémunération de leurs dirigeants. Cette tendance concerne surtout les grandes sociétés cotées mais elle s’étend progressivement aux PME-ETI cotées. Les entreprises, quelle que soit leur taille, considèrent en effet de plus en plus la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) comme un enjeu stratégique, parce qu’elle favorise l’image client, la marque employeur, la productivité ou encore limite les risques légaux, opérationnels et réputationnels. L’intégration de critères ESG dans la rémunération des dirigeants révèle donc une prise en compte élargie des facteurs de performance et des intérêts des parties prenantes, dans un contexte où le rôle même des entreprises dans la société est en plein changement.
L’intégration ESG n’est pas encore standardisée, de sorte que les pratiques des entreprises en la matière apparaissent hétérogènes. Certaines intègrent des critères purement quantitatifs, sélectionnés sur la base des risques les plus matériels pour l'entreprise, qui dépendent surtout de leur secteur d'activité, leurs implantations géographiques, leur taille, etc... Il s’agira par exemple pour une entreprise industrielle d’intégrer le taux de fréquence des accidents du travail, un indicateur crucial aux yeux des parties prenantes. D’autres intègrent des notations fournies par des agences de notation ESG indépendantes visant une prise en compte globale des sujets ESG. Plusieurs adoptent une approche duale, combinant ces indicateurs quantitatifs et qualitatifs.
Quoi qu’il en soit, l’intégration de critères ESG dans la rémunération des dirigeants présente plusieurs défis. Tout d’abord, les critères utilisés sont souvent flous : par exemple, Renault inclut la « qualité des engagements RSE et environnementaux » dans la rémunération de son PDG. La pertinence des indicateurs pose également parfois question, du fait de leur nature (par rapport aux enjeux clés de l’entreprise), leur nombre (un nombre trop restreint ne reflète pas la réelle performance ESG de l’entreprise alors qu’un nombre trop important envoie un signal flou) mais aussi leur méthodologie (prise en compte des sous-traitants et fournisseurs, par exemple). On constate également un manque de transparence notable sur les objectifs associés à ces critères ESG, alors même qu’il s’agirait d’une clé de lecture intéressante pour comprendre le niveau de performance RSE visé pour l’entreprise. Enfin, se pose de façon plus générale la question de la compatibilité entre la logique de court terme de la rémunération et la logique de long terme des risques ESG. Or, il s’agit bien d’inciter les dirigeants à prendre en compte ces sujets au-delà de la durée de leur mandat car si le réchauffement climatique, par exemple, n’a pas un effet immédiat sur l’activité ou les résultats de l’entreprise, il en aura forcément un à moyen terme.
Le changement de paradigme est d’ores et déjà manifeste. La standardisation progressive de ces pratiques permettra à terme de faire de la rémunération un véritable outil pour l’intégration des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance à la stratégie générale de l’entreprise. Si l’objet de la rémunération variable demeure un alignement des intérêts entre le dirigeant et les actionnaires, les intérêts pris en compte incluent désormais ceux d’autres parties prenantes. Cette évolution a été portée non pas en réaction aux scandales liés à la rémunération des dirigeants, mais bien par l’élargissement du champ de responsabilité de l’entreprise. Une tendance qui devrait se confirmer, d’autant que les actionnaires eux-mêmes sont de plus en plus convaincus de la contribution de la RSE à une meilleure gestion des risques et opportunités et donc in fine à une meilleure performance financière.
Diane Vignalou, analyste ESG - EthiFinance
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