
Pour tenter d'y voir plus clair, six gérants livrent leur analyse de la situation actuelle, et donnent quelques clés afin de distinguer risques et opportunités. (crédit photo : Johannes Plenio / Pexels)
L'agitation des marchés financiers et le manque de visibilité sur la situation économique rendent les choix d'investissement de plus en plus compliqués. Pour garder le cap et ne pas faire naufrage, six sociétés de gestion décryptent pour vous l'environnement actuel.
Les semaines se suivent et se ressemblent sur les marchés financiers. La crise sanitaire liée au Covid-19 poursuivant sa progression — malgré quelques bonnes nouvelles ici et là —, il en résulte une volatilité toujours forte sur les différents indices boursiers mondiaux. Un contexte dans lequel l'incertitude demeure la valeur la plus résiliente, et dont la lecture s'avère difficile pour les investisseurs. Pour tenter d'y voir plus clair, six gérants livrent leur analyse de la situation actuelle, et donnent quelques clés afin de distinguer risques et opportunités.
Un marché encore très instable
Avant toute chose, il est essentiel de remettre en perspective la crise que nous traversons. Olivier de Berranger, Directeur de la gestion d'actifs et Directeur général délégué de La Financière de l'Echiquier, rappelle qu'il s'agit de « la première récession volontairement provoquée par les autorités ». Une crise fondamentalement différente dans la mesure où les précédentes étaient « endogènes » et « ont été provoquées soit par une inflation galopante, comme dans les années 70 ou 80, soit par un excès d'endettement comme en 2008, ou en 2012 ».
Une crise à part également car « la baisse des marchés (-35% entre le 19 février et le 19 mars) a été beaucoup plus rapide que celle enregistrée lors des grandes crises de 1929, 1987 ou 2008 », analyse Olivier de Berranger. Le caractère exceptionnel de cette chute s'explique aussi par une combinaison de facteurs : « l'angoisse liée à l'évolution de la pandémie, notamment aux Etats-Unis ; la difficulté des entreprises à se refinancer et le retrait massif des investisseurs », détaille Didier Bouvignies, Associé-Gérant et Directeur des gestions de Rothschild & Co AM Europe.
Mais rappelons-le, « volatils » reste le maître-mot pour désigner l'état des marchés financiers aujourd'hui. C'est pourquoi, après la baisse observée, « la mise en place de mesures inédites par les autorités monétaires et budgétaires, celles-ci ayant appris de la crise de 2008, a suscité un rebond légitime ». Un rebond certes, mais est-il durable ?
Impossible de l'affirmer « car si les nouvelles sur l'épidémie semblent s'améliorer, nous pourrions avoir des surprises négatives sur le front économique », prévient Chaguir Mandjee. Plutôt pessimiste vis-à-vis de la situation actuelle, le Directeur de la gestion de Haas Gestion renchérit en expliquant que « les conséquences économiques de cette crise sanitaire ne sont pas encore mesurables » et que « le choc risque d'être d'autant plus violent que le confinement engendre un choc de demande et d'offre simultanés ». Le spécialiste garde donc les yeux rivés sur l'évolution de l'épidémie car «la situation sanitaire sera la clé pour déterminer le point d'inflexion».
Même son de cloche chez Alken AM. Son fondateur, Nicolas Walewski estime que « la volatilité devrait rester élevée pendant encore de longues semaines », bien que l'action massive des banques centrales devrait « empêcher une dislocation complète de l'économie ». Complète non, mais bien partielle puisque « les conséquences économiques seront négatives sur le moyen terme pour des pans entiers de l'économie », déplore le gérant en pointant du doigt notamment les secteurs du tourisme et du transport aérien.
En revanche, du côté de Tikehau IM, on remarque « qu'après une phase de vente indifférenciée sur toutes les classes d'actifs liquides, conséquence du deleveraging général, les marchés semblent se stabiliser sur les niveaux actuels ». Néanmoins, comme la prudence reste souvent de mise, Thomas Friedberger, Directeur général et Co-Directeur des investissements concède que «la situation est encore trop symétrique en termes de risque de perte contre potentiel de gain pour investir systématiquement, tant que la situation sanitaire n'est pas stabilisée».
Des opportunités à saisir
Alors que l'économie est mise à mal et qu'investir devient un vrai casse-tête, les gérants voient tout de même poindre certaines opportunités. A commencer par Victoire de Trogoff. La gérante chez Fidelity International veut mettre en garde les investisseurs : « il ne faut pas devenir de plus en plus prudent à mesure que le marché baisse, le risque serait de se priver du rebond quand il interviendra, après avoir vécu une telle baisse ».
D'après elle, il est temps de réallouer vers des entreprises qui pourraient bénéficier de la reprise. Les valeurs qui retiennent le plus son attention sont «des titres résistant bien ou profitant immédiatement de la situation actuelle» notamment dans les secteurs de la santé et des télécoms mais aussi « des secteurs qui devraient bénéficier d'une croissance structurelle après la crise (équipement des hôpitaux, équipement télécom, univers du « home office », semi-conducteurs…) ».
Elle remarque également le potentiel « de titres bénéficiant de l'affaiblissement de concurrents, notamment dans des secteurs fragmentés (blanchisserie industrielle, compagnies aériennes, réservation de voyages, automobile, appareils auditifs…) ». Une partie de ses allocations se concentre aussi sur « des titres qui rebondiront à la fin du confinement », notamment dans le secteur du luxe qui devrait faire l'objet d'un phénomène de « revenge consumption », comme observé en Asie. Enfin, elle place certains de ses pions sur « des valeurs certes endettées, mais qui survivront à la crise et dont nous avons vérifié la liquidité ». Selon elle, ces dernières « subissent actuellement une correction exagérée et offriront à terme le plus fort potentiel ».
Nicolas Walewski d'Alken AM entend lui aussi se focaliser sur les sociétés « qui devraient être moins impactées par la crise sanitaire tout en conservant un fort potentiel de hausse ». Sans oublier « celles dont le marché a surestimé le risque d'augmentation de capital ou de faillite ».
A La Financière de l'Echiquier, Olivier de Berranger et ses équipes notent que « le marché du crédit commence à se stabiliser ». « Une bonne nouvelle pour les actifs risqués », d'après le CIO de la société. Pourtant pas question d'investir à l'aveugle, notamment sur le marché du crédit : « nous privilégions toujours l'Investment Grade. Le marché du High Yield nous paraît offrir aujourd'hui un profil de risque encore trop aléatoire ». Concernant les actions, « nous pensons que la prudence reste de mise même s'il est possible de revenir sur des titres au bilan solide », fait savoir Olivier de Berranger.
L'arrivée d'une seconde phase
Cette prudence vis-à-vis des marchés actions se retrouve aussi chez Haas Gestion. Dans l'attente de signes de retournement des indicateurs d'activités (PMI), Chaguir Mandjee conserve son « positionnement défensif au sein de la poche actions, en privilégiant les entreprises avec un profil qui leur permettra de sortir peu impactées, voire gagnantes de la crise actuelle ».
Thomas Friedberger de Tikehau IM voit quant à lui arriver une seconde phase, «durant laquelle les entreprises vont annoncer des révisions de résultats, coupes de dividendes, défauts, restructuration de dettes». Selon lui, «une plus forte dispersion entre les actifs devrait caractériser cette phase, plus propice à l'investissement ‘asset picking' ». Mais pour faire fructifier ses portefeuilles, il repère d'ores et déjà des opportunités sur « certaines dettes financières, de la dette court terme d'entreprises européennes et des actions sur des valeurs larges caps liquides».
Enfin, «le repli des cours, associé à la baisse des taux a remis les primes de risques à des niveaux proches de 2008. Cela permet ainsi de capter des primes de risque relativement élevées avec l'hypothèse d'un choc temporaire», argumente Didier Bouvignies. Ainsi, le Directeur des gestions de Rothschild & Co AM Europe pense pouvoir trouver sur les marchés, « des valeurs cycliques en baisse de plus de 50%, dotées de bilans relativement solides ». Contrairement à son homologue de la Financière de L'Echiquier, il vise « des rendements, sur certains segments du High Yield, qui intègrent des probabilités de défaut implicite très élevées et peut-être surestimées, compte-tenu des mesures mises en place pour compenser ce choc historique ».
Ces primes de risque élevées, Thomas Friedberger les a aussi remarquées : «Ce sont des niveaux sur lesquels, dans des conditions normales de marchés, nous n'hésiterions pas à investir à 100%.» Mais le Directeur général de Tikehau IM rappelle que «nous ne sommes pas dans des conditions normales de marchés et c'est pourquoi nous gardons des poches de liquidités pour saisir de nouvelles opportunités si les marchés retournaient sur les niveaux de valorisation vus en 2009».
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