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Les équipementiers automobiles en Europe peuvent-ils sortir du labyrinthe ?
information fournie par TRIBUNE LIBRE 24/01/2025 à 08:20

Une chaine de production automobile. (image générée par IA) (Crédits: Adobe Stock)

Une chaine de production automobile. (image générée par IA) (Crédits: Adobe Stock)

Par Elodie Chrzanowski, Responsable adjointe Analyse Crédit, Crédit Mutuel Asset Management


Le placement de Northvolt, fabricant de batteries pour véhicules électriques, censé incarner le futur énergétique de l'Europe, en «Chapter 11» depuis le 21 novembre 2024, pose question sur la stratégie européenne concernant l'industrie automobile. À l'image de cette chute, les équipementiers automobiles accusent une perte nette de 56.000 emplois en Europe entre 2020 et 2024 (1), tandis que BYD (fabricant chinois d'automobiles) a augmenté ses effectifs de 415.000 personnes entre 2021 et 2023 (2) et multiplié par 6,5x ses ventes de véhicules, faisant de lui le leader mondial des véhicules électriques. L'industrie automobile européenne semble engluée dans une réglementation sévère avec peu de contreparties financières, contrairement aux subventions massives de l'Inflation Reduction Act aux États-Unis et au soutien du gouvernement chinois à ses industriels… et face à un très faible engouement des consommateurs européens pour ses véhicules très coûteux.

L'échec de Northvolt : un symbole des ambitions européennes avortées

Fondée en 2017 pour concurrencer les géants asiatiques de la batterie (CATL, LG, etc.), la start-up suédoise est un symbole des ambitions de l'Europe dans la transition énergétique. Très rapidement, Northvolt lève des fonds pour des montants considérables (€15Mds) en dette et en capital auprès de Volkswagen (actionnaire à 21%), BMW (2,8%), de grandes institutions financières (principalement Goldman Sachs) et plus marginalement de fonds publics. À fin 2022, Northvolt avait un carnet d'ordre pléthorique de $55Mds, donc un engagement fort de la part des constructeurs.

Malheureusement, le management, trop ambitieux, a cherché à construire huit usines de haute technologie quasi simultanément sur huit lieux différents et deux continents. Faute de personnel qualifié suffisant dans ces technologies de pointe, de machines-outils maitrisées, la première usine ne produit que 1% de son objectif initial. Ceci a mené à un retrait de commandes de clients dont BMW et à une consommation de trésorerie monumentale puisqu'il lui reste à fin 2024, $5,8Mds de dettes contre $30M de liquidités (3). Il reste toutefois quelques mois à Northvolt pour trouver de nouveaux financements grâce à un redimensionnement de son projet.

Grâce à d'autres projets (Verkor, ACC, PowerCo, etc.), l'Europe a tout de même réussi à augmenter sa part du marché mondial de la batterie de 3% à 17% depuis 2017, avec un revenu annuel de €81Mds en 2023 après avoir dépensé plus de €6Mds du budget de l'Union Européenne (UE) pour soutenir les projets transfrontaliers de batterie et l'innovation (4). Mais le marché est contrôlé à 70% par les Asiatiques et la plupart des trente projets européens de gigafactories (usines produisant des batteries pour véhicules électriques) ont été conçus et construits avec l'aide d'entreprises chinoises et coréennes. Ainsi, CATL et Stellantis ont annoncé co-construire une usine de batteries au lithium en Espagne, ce qui permettra à la Chine d'étendre son empreinte manufacturière sur le sol européen.

L'industrie automobile européenne tarde donc à se transformer en termes industriels afin de résister à l'agressivité des acteurs chinois, coupés du marché américain par les interdits géopolitiques. À ceci s'ajoute la «falaise» des règlements sur le CO2 menaçant les constructeurs automobiles avec des amendes pouvant atteindre plusieurs milliards d'euros.

Un marché en recul

Le marché européen de véhicules vendus (y compris le Royaume-Uni) s'est rétréci à 13,4 millions en 2024 (5), soit un recul de 17% vs 2018. La production européenne hors Royaume-Uni avait également fortement diminué de 18,5%, à 12,2 millions en 2023 (6). Ces moindres volumes pèsent lourdement sur la structure de coûts des équipementiers automobiles. En outre, les coûts de production sont en hausse en raison de l'inflation des prix de l'énergie, des prix de la logistique et des salaires. Mais surtout, selon Jim Fairley, CEO de Ford Motors, la construction d'une voiture à motorisation électrique nécessite 40% de main d‘œuvre en moins qu'une voiture thermique (7). Aussi, les constructeurs européens annoncent des réductions de capacités (Volkswagen, Ford).

À ceci s'ajoutent les ambitions de lutte contre le changement climatique de l'UE. À partir de 2025, les émissions moyennes de CO2 des nouvelles voitures doivent être réduites de 15% par rapport aux niveaux de 2021, avec un objectif de réduction de 37,5% d'ici 2030. Cela impliquerait que les ventes de voitures particulières en Europe atteignent un taux de pénétration des véhicules électriques (VE) de ≥28% en 2025 (contre 21% au S1-24 (8)), pour que l'ensemble du marché automobile soit conforme. Les constructeurs doivent respecter ces limites sous peine de sanctions financières pouvant aller jusqu'à un montant global de €15Mds.

La baisse du marché et les contraintes réglementaires impliquent une restructuration profonde du tissu industriel. Ainsi, l'association européenne des équipementiers automobiles (9) indique qu'environ 56.000 emplois nets ont été perdus depuis 2020. D'autres suppressions d'emplois (32.000) ont été annoncées au cours du premier semestre de 2024 seulement.

Quelles portes de sortie peut-on imaginer ?

La partie n'est pas finie pour les équipementiers européens, car il est peu probable que les nouveaux entrants se livrent une concurrence acharnée sur toutes les catégories de produits. Les fournisseurs chinois ont un avantage concurrentiel certain en matière d'électronique et de logiciel, les positionnant au premier rang pour toutes les applications de divertissement et pour la conduite autonome. Cependant, pour les pièces complexes et lourdes (telles que la motorisation, la transmission, le châssis, les sièges), les producteurs chinois ne sont pas des leaders technologiques. Ce sont davantage les fournisseurs européens qui ont développé un fort savoir-faire et des normes de qualité et de fiabilité élevées depuis des décennies.

En parallèle, les constructeurs automobiles se sont engagés dans des négociations pour modifier le règlement européen concernant l'obligation de réduire les émissions de CO2 des flottes vendues à fin 2025. Ils incitent également les consommateurs avec des efforts sur les prix des véhicules neufs. Par ailleurs, certains gouvernements revoient enfin à la hausse leur politique de subventions aux consommateurs. Alors que la trajectoire environnementale européenne de neutralité carbone à fin 2050 est claire et ambitieuse, sa politique industrielle souffre d'une vraie structuration. Ceci au prix d'un impact négatif sur l'environnement.


(1) Published on 22.10.2024, Press Release: Worst job losses in the automotive supply industry since the pandemic, CLEPA

(2) BYD, rapport annuel 2021 et 2023

(3) Northvolt Bankruptcy: Lessons and What Next, Jefferies, 27 novembre 2024

(4) The Northvolt dilemma: can European EVs avoid relying on Asian batteries? Financial Times, 25 novembre 2024.

(5) Selon les estimations de Moody's, Automotive – Global, Outlook to negative on weaker sales, significant margin contraction, 16 octobre 2024.

(6) ACEA-Pocket-Guide_2024-2025, les données 2024 ne sont pas encore disponibles

(7) Financial Times, Ford to cut 4.000 jobs in Europe, 20 novembre 2024

(8) Barclays_European_Autos_Auto_Parts_EU_2025_CO2_targets_unpacking_the_big_gap, Barclays, 23 septembre 2024.

(9) Published on 22.10.2024, Press Release: Worst job losses in the automotive supply industry since the pandemic, CLEPA

(10) BNP Paribas Exane Juillet 2024 Auto Suppliers / Expert access feedback: Chinese suppliers at the gates of Europe

Crédit Mutuel Asset Management est une société de gestion d'actifs du Groupe La Française, holding de la branche de gestion d'actifs du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.

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