
Des bouteilles de Champagne Lanson. (Crédits: Adobe Stock)
Quatrième groupe de maisons de champagne derrière LVMH, de loin le plus grand, Laurent-Perrier, et Vranken Pommery, coté depuis 1996 (introduit à 4,95€ : comme c'est loin, tout ça!), Lanson-BCC devrait réaliser cette année un chiffre d'affaires de 260 millions d'euros environ avec 450 salariés à temps plein. Et avec en tout huit filiales, qui sont autant de maisons de champagne familiales : Lanson, Chanoine Frères, Besserat de Bellefon, Boizel, De Venoge, Philipponnat, Alexandre Bonnet et Maison Burtin, rien que ça. Des maisons qui produisent et vendent sous leurs noms, bien entendu, mais aussi sous des marques comme Clos des Goisses, Cordon Bleu, Princes, Cuvée Louis XV, Cuvée des Moines, Tsarine, et Alfred Rotschild (pour le compte de, bien entendu).
Pas si petit que ça, pour commencer
Certaines des maisons du groupe ont leurs propres vignobles, notamment Lanson (domaine de la Malmaison), Philipponnat (Clos des Goisses), et Alexandre Bonnet (Les Ryceys), mais comme les autres nombreuses maisons de champagne, Lanson-BCC achète 90% du raisin dont il a besoin pour fabriquer ses boissons euphorisantes. Auprès de 1 600 vignerons qui sont le plus souvent des fournisseurs réguliers, sur un total de 16 200 vignerons en tout qui font du raisin de champagne AOC, regroupés souvent en coopératives, et relayés par 390 négociants.
Avec cette pluralité des maisons et des marques, Lanson-BCC couvre a priori assez bien tous les segments de marché du champagne : Lanson est plutôt une marque internationale haut de gamme vouée à l'export, un peu comme Boissonnat qui vend aussi beaucoup à la grande restauration, tout comme Besserat de Bellefon et De Venoge, qui adressent aussi les circuits des cavistes, alors qu'inversement Boizel vend directement au consommateur en France, et Chanoine Frères est présent avant tout en grande distribution, tout comme André Bonnet. Et comme les autres maisons de champagne, Lanson-BCC vend à l'export via des grossistes-importateurs, puisque 56% des volumes de le profession, soit 272 millions de bouteilles et 64% des ventes en valeur, sont partis hors de France en 2024, les principaux marchés étant les USA (27 millions de bouteilles), le Royaume Uni (22,3 millions de bouteilles), le Japon (12,5), et l'Allemagne (9,5).
Bon métier, sans aucun doute : bonnes marges et génération de cash
A titre d'illustration, on notera que le groupe a payé le raisin de la vendange 2024 entre 6,80€ et 9,85€ le kilo, étant entendu que 1,2 kilo est nécessaire pour produire 75 cl du divin breuvage. Des prix négociés dans le cadre de contrats pluriannuels avec les vignerons fournisseurs attitrés du groupe, lesquels contrats étant eux-mêmes encadrés par de grands accords interprofessionnels entre le Syndicat Général des Vignerons et l'Union des Maisons de Champagne. Une bonne organisation qui en vaut la peine, puisque le métier du champagne est tout à fait profitable, à en juger de la marge opérationnelle de Lanson-BCC, qui a été de 19% en 2024 après 21,6% en 2023, ou de son confrère coté Laurent Perrier, qui a été de 25,5% en 2024 aussi.
Et un métier incidemment très générateur de free cash-flow (ou de trésorerie libre, même si ce concept peut sembler dépassé à certains), puisque avec ces marges de bon niveau, et malgré le poids du financement des stocks (nous y reviendrons), Lanson BCC a généré plus de 30 millions d'euro de pur (ie hors besoin de financement des encours d'exploitation, alias variation du BFR pour les fins connaisseurs) free cash-flow en 2023, et encore 20 millions d'euros en 2024 dans un contexte plus difficile, et devrait continuer à en générer à peu près autant ces prochaines années avec des investissements pour maintenir l'outil de travail à peu près stables .
Processus de production complexe et métier intense en capital
Lanson-BCC est loin d'être "asset light" et détient en propre les murs de ses bureaux, de ses sites de production et de vinification, cuveries, caves, et centres de pressurage, plus les sites touristique pour visiteurs oenologues distingués. Avec tous les équipements qu'il faut pour un processus de production complexe et long : pressoirs pour le raisin, cuves inox thermorégulées pour la fermentation/vinification du moût, cuves en ciment doublé de verre soit 390 000 hectolitres de capacité en tout pour l'assemblage des vins "clairs" pour élaborer le vin de marque. Plus des lignes de tirage pour mettre en bouteille ce vin qui n'est pas encore champagnisé et trois grands centres de stockage : Reims, Epernay et Les Riceys, avec des capacités de respectivement 50, 37, et 3 millions de bouteilles. Soit 90 millions de bouteilles en tout dans lesquelles le vin, auquel on a ajouté sucre et levures, fermente une deuxième fois pour devenir effervescent, un stockage qui dure de 15 mois à 3 ans pour une bonne maturation. Sur ces trois sites, le groupe opère ensuite le remuage du vin, qui est automatisé sur gyropalettes, avec une capacité de 32 millions de bouteilles par an, pour en extraire les levures par dégorgement.
On procède ensuite au dosage : le rajout d'un peu de liqueur qui fait le brut, le demi-brut, etc… et en dernier à l'habillage, autrement dit la pose d'une belle étiquette etc… sur la plupart des sites des maisons, avec 7 lignes de production à cadences élevées pour les bouteilles standard de 75 cl, et 10 autres lignes de production pour les bouteilles d'autres formats : quarts, demies, et magnums. Enfin, il y a aussi des sites de stockage pour les produits finis, les bouteilles "habillées", dans la plupart des maisons du groupe, sauf pour trois d'entre elles qui entreposent leurs produits finis sur une plateforme logistique externe. Bref, il faut du capital pour faire tout ça et nous sommes dans une industrie lourde : comme le souligne la direction, il faut un bilan haut de 1 milliard d'euros pour fabriquer 250 millions de chiffre d'affaires. Mais on notera que Lanson-BCC n'emploie pas toujours ces capacités de stockage en cuve et en bouteille, etc… à 100%, et peut donc effectuer des prestations pour d'autres producteurs, ce qui aide bien éventuellement à optimiser tout ça.
Des semestriels 2025 pas vraiment satisfaisants
Lanson-BCC vient de publier des résultats semestriels au 30 juin 2025 plutôt mi-figue mi-raisin, avec i) un chiffre d'affaires en hausse de +4,8%, mais avant tout grâce à des ventes de vin clair à d'autres producteurs pour déstocker un peu, alors que les expéditions de champagne vers les USA, le principal pays pour l'export, ont fortement baissé a priori, et ii) une marge brute en baisse de -3 points et une marge opérationnelle en baisse de -2,3 points avec des coûts matières en hausse et un effet mix-prix moins favorable avec moins de ventes haut de gamme, en France comme au Royaume Uni. Et, plus grave encore, avec des frais financiers encore en hausse, et qui consomment une bonne partie du résultat d'exploitation, soit iii) une marge nette en baisse de -2,1 points et un résultat net quasiment divisé par deux.
Le groupe est de fait confronté à un marché américain compliqué par un sur-stockage général chez les revendeurs en anticipation des hausses des désormais fameux droits de douane, aggravé par la baisse du dollar US contre euro depuis le début de l'année. Mais il est aussi confronté à une stagnation générale des ventes, ce que montre bien la prévision de la profession qui voit des volumes annuels globaux d'expéditions au même niveau que l'année dernière, et confronté aussi à un report des consommateurs vers les marques moins chères. Un phénomène classique en fait, qui fait suite au boom des années post-covid, avec des volumes remontés à un très haut niveau, soit 326 millions de bouteilles expédiées en 2022, et marqué par de fortes hausses de prix, mais aussi de coût du raisin. Le tout ayant suscité ensuite trop de production et trop de stocks alors que la consommation est redevenue normale (ou presque).
Et surtout un peu trop de stocks portés avec un peu trop de dette financière chez Lanson-BCC, ce qui pèse fort sur le bilan, avec un ratio Dette Nette / Fonds Propres de 133% au 30 juin. Ce qui est beaucoup (sans parler d'un ratio de levier absolument pas présentable, tant pis pour les ayatollahs du Dette Nette/Ebitda), et qui pèse aussi sur l'exploitation, puisque les frais financiers sont de 8,2 millions d'euros sur les six premiers mois de l'année pour un résultat d'exploitation de 10,8 millions d'euros, ce qui est trop, indubitablement.
Exercice 2025 : pas miraculeux, selon la direction, mais quand même
Ceci étant, le champagne est un métier assez saisonnier, comme on peut le penser, et le premier semestre ne contribue habituellement que pour un tier de l'activité de l'année, et la moitié de la dite année se réalise tout aussi habituellement sur les quatre derniers mois du calendrier. Ce qui est un point important à noter, même si ça reste encore assez incertain avec le très gros point d'interrogation du marché américain, sur lequel on ne sait pas quelle politique commerciale prédominera une fois les sur-stocks écoulés, autrement dit ce que fera LVMH, acteur ultradominant de ce marché, et comment se comportera le consommateur. Un consommateur qui s'est déjà largement rabattu sur l'entrée de gamme au Royaume-Uni, dans un marché où la guerre des prix fait rage, et où Lanson hésite à baisser les siens pour ne pas ternir sa belle image luxe.
Tout ce que l'on sait, finalement, c'est que sauf accident sur la fin d'année, avec une marge opérationnelle autant en baisse sur l'année qu'au premier semestre, soit de -2 à -2,5 points, et un coût de la dette au même niveau, Lanson-BCC devrait rester assez profitable, et continuer à générer du cash avec des investissements au même niveau qu'en 2024. C'est tout cas ce que dit un modèle tout simple sur Excel, qui en vaut certainement bien d'autres.
Avec éventuellement un petit espoir d'amélioration du bilan en réduisant sérieusement les stocks, ce à quoi la direction dit s'employer avec la dernière énergie en tout cas, et en étudiant toutes sortes d'options.
Et pourquoi pas ? peu plus de légèreté, c'est bien tout l'esprit du champagne, après tout.
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