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La colère agricole alimente le discours anti-européen avant les élections
information fournie par Reuters 01/02/2024 à 09:52

Manifestation d'agriculteurs à Bruxelles

Manifestation d'agriculteurs à Bruxelles

par Michel Rose

En seulement un an, Jean-Marie Dirat a vu les coûts d'exploitation de sa ferme d'élevage ovin dans le sud-ouest de la France s'envoler de 35.000 euros avec la hausse des prix des engrais, du carburant, de l'électricité et des pesticides.

Sa trésorerie est devenue tellement faible qu'il ne se versera aucun salaire cette année. A sa grande surprise, ce secrétaire de l'antenne en Occitanie de la FNSEA, premier syndicat agricole français, a même calculé qu'il serait éligible au RSA, le revenu de solidarité active réservé aux personnes sans ressources.

"Mon grand-père, il avait 15 vaches et 15 hectares. Avec ça, il a élevé ses enfants, il a fait vivre sa famille. Il n'y a pas eu de problème. Aujourd'hui, avec ma femme, on a 70 hectares, 200 brebis, on n'arrive pas à se sortir un salaire. C'est ça le cri de détresse aujourd'hui", a-t-il dit à Reuters, interrogé à un barrage fait de bottes de paille empêchant l'accès à la centrale nucléaire de Golfech, dans le Tarn-et-Garonne.

La colère agricole en France est partie de ce Sud-Ouest avant de gagner le reste du pays.

Partout, les agriculteurs se plaignent des contraintes administratives, d'un excès de normes restreignant par exemple leur accès à l'eau, mais aussi d'une concurrence jugée déloyale en provenance d'autres pays, notamment d'Ukraine, pour laquelle l'Union européenne a levé les quotas et les droits de douane afin de la soutenir face à l'invasion lancée par la Russie en février 2022.

La contestation gronde ailleurs en Europe, avec des manifestations en Allemagne, en Pologne, en Roumanie ou encore en Belgique, tandis qu'un nouveau parti se voulant le représentant du monde rural, le Mouvement agriculteur-citoyen (BBB), a effectué une percée spectaculaire lors d'élections l'an dernier aux Pays-Bas.

A un peu plus de quatre mois des élections européennes, cette révolte paysanne à l'échelle du continent nourrit le récit d'une bureaucratie bruxelloise martyrisant les agriculteurs en leur imposant une conversion au pas de charge vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement, tout en leur réclamant de produire toujours davantage afin d'assurer l'autosuffisance alimentaire du bloc.

EUROPÉANISER LE CONFLIT

Jordan Bardella, président et tête de liste du Rassemblement national (RN) pour les européennes, se plaît ainsi à fustiger "l'Europe de Macron" pour dénoncer les maux des agriculteurs. Etrillant elle aussi la politique d'inspiration libérale menée par Emmanuel Macron depuis son arrivée à l'Elysée en 2017, Marine Le Pen a pour sa part appelé à "sortir l'agriculture des accords de libre-échange".

Signe inquiétant pour le président français mais plus largement pour l'ensemble des dirigeants européens, les enquêtes d'opinion montrent que les revendications des agriculteurs sont largement soutenues par le reste de la population.

D'après un sondage Elabe, 87% des Français soutiennent la cause des agriculteurs et 73% disent penser que l'UE est un handicap et non un atout pour le secteur agricole.

Jusqu'à présent, aucune des mesures annoncées par les gouvernements nationaux, en France ou ailleurs, et par la Commission européenne n'ont calmé cette colère, qui est susceptible d'alimenter en juin un vote conservateur, voire à l'extrême droite.

Cela pourrait favoriser l'émergence d'une coalition informelle au Parlement européen pour remettre en cause les politiques environnementales décidées au niveau des Vingt-Sept.

"La stratégie de l'extrême droite est d'européaniser le conflit", dit Antonio Barroso, analyste au groupe de conseil Teneo. "Ils pensent qu'ils peuvent attirer tout le vote rural par extension."

En Allemagne, où le ministre des Finances, Christian Lindner, s'est copieusement fait huer et siffler mi-janvier en tentant de s'adresser à une foule d'agriculteurs rassemblés à Berlin, le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) essaie de surfer sur ce mécontentement pour continuer à grimper dans les intentions de vote, quitte à renoncer à son rejet traditionnel de toute subvention.

Aux Pays-Bas, le BBB a créé la surprise en remportant les élections régionales en mars dernier.

Pour les européennes de juin, sa liste sera conduite par Sander Smit, un ancien attaché parlementaire européen âgé de 38 ans qui se présente comme "la voix de et pour la campagne" et plaide pour un assouplissement des règles sur l'utilisation des terres agricoles.

"L'UE doit commencer à travailler à nouveau pour les citoyens, pour les agriculteurs, pour les maraîchers, pour les pêcheurs, pour les communautés, pour les familles et pour les entrepreneurs", dit-il.

"LA FIN D'UN MONDE"

En France, les agriculteurs, bien que généralement considérés comme conservateurs sur le plan politique, sont historiquement plus pro-européens que la moyenne des électeurs, alors que le pays est le premier bénéficiaire de la Politique agricole commune (PAC) de l'UE.

Lors de l'élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen a enregistré chez les agriculteurs un score inférieur à celui réalisé dans le reste de la population, à l'inverse d'Emmanuel Macron, selon un sondage Ifop pour la FNSEA.

Certains agriculteurs n'hésitent toutefois plus à dire qu'ils sont tentés par un vote RN aux européennes de juin.

"L'Europe nous met sous perfusion pour nous faire mourir en silence", accuse Pierre Poma, agriculteur à la retraite de 66 ans.

Candidat RN aux législatives de 2022 dans la circonscription de Montauban, dans le Tarn-et-Garonne, il a certes été battu par la socialiste Valérie Rabault mais a recueilli 40% des voix, contre 17% cinq ans auparavant pour un autre candidat présenté alors par le parti de Marine Le Pen.

Cet ancien cultivateur de pêches, de pommes et de poires a dit à Reuters avoir dû vendre sa propriété faute d'avoir une activité rentable à cause, selon lui, des lourdeurs administratives et de la stratégie européenne de "la ferme à la table" qu'il abhorre.

Ses multiples visites sur différents blocages routiers organisés par les agriculteurs l'ont rendu optimiste sur le poids de ses idées dans le Parlement européen qui sera issu des élections du mois de juin.

"Le groupe européen grandit, en Allemagne, en Hongrie, ailleurs. C'est la fin d'un monde, des politiques du passé", a-t-il affirmé à Reuters.

(Rédigé par Michel Rose, avec Anthony Deutsch à Amsterdam, Thomas Escritt à Berlin, Kate Abnett à Bruxelles et Anna Koper à Varsovie; version française Bertrand Boucey, édité par Jean Terzian)

3 commentaires

  • 01 février 10:13

    brun3686 : Excédents de l'Allemagne : 200 milliards


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