
L’Europe sans l’Italie n’est plus l’Europe. Voilà pourquoi l’épisode vécu pendant les 10 derniers jours du mois de mai 2018 est particulièrement important à comprendre et à analyser.
Le traité de Rome a scellé l'Union de 6 pays qui s'étaient entredéchirés pendant des siècles. Face à l'histoire et à ses horreurs, les peuples de l'Europe ont courageusement décidé de créer une Union. Pour défier la violence naturelle des hommes, pour créer une période de paix que notre continent n'a pas connu depuis probablement le XIIème siècle, période dite de « renaissance médiévale », sans épidémie ni guerre majeure. L'Italie est au cœur de l'Europe et en est un pilier essentiel. On trouve en Italie la plupart des climats, cultures et ethnies que l'on rencontre en Europe. Le Nord est aussi différent du Sud que Lille est différent de Marseille. L'Europe sans l'Italie n'est plus l'Europe. Voilà pourquoi l'épisode vécu pendant les 10 derniers jours du mois de mai 2018 est particulièrement important à comprendre et à analyser.
La démocratie italienne est une véritable démocratie parlementaire, par laquelle le parlement peut démettre le gouvernement très rapidement : le législatif est plus important que l'exécutif. Ce type d'institutions crée de l'instabilité lorsque les partis n'ont pas de majorité très nette, et c'est bien ce que vit l'Italie depuis des décennies. C'est la contrepartie d'un système qui permet au peuple d'avoir une véritable vie démocratique, que n'offrent pas véritablement un régime présidentiel comme le nôtre. Le Président de la République ne joue pas un rôle important, sauf que c'est lui qui nomme le Président du Conseil et les membres du gouvernement. On a vu récemment qu'il détient en fait un pouvoir plus important qu'on ne le pense habituellement. Le peuple Italien par son vote a porté au pouvoir deux partis populistes, le Mouvement 5 Etoiles et La Ligue du Nord. C'est un fait, et les règles électorales italiennes ont donc permis l'accession au pouvoir de ces partis qui étaient historiquement anti Europe et anti €. Ce fait est particulièrement grave ; il reflète le ressentiment des électeurs italiens face à la classe politique traditionnelle et face à l'Europe, qu'il rejette à hauteur de 40%, soit 2 fois plus que dans le reste de l'Union.
Si le peuple italien rejette les politiques traditionnels et l'Europe, c'est parce que l'économie italienne va très mal. Elle stagne depuis quasiment 20 ans, et en fait régresse depuis 10 ans. C'est le seul pays de l'Union dont le PIB par habitant a baissé depuis l'avènement de l'€ . Elle souffre de 3 maux : le surendettement, la force de l'€, et sa démographie.
1/ Le surendettement de l'Italie est patent . Le taux d'endettement public maximal admis par les règles dites de Maastricht est de 60% du PIB. Au-delà de ce taux, on considère habituellement que les inconvénients de la dette (paiement des intérêts et du principal) l'emportent sur les avantages qu'elle procure (stimulation de l'économie par la dépense publique). A partir de 100% on considère que le risque de défaut devient significatif. Or, la dette italienne représente 130% du PIB, et coute 4% du PIB chaque année. Cette dime à payer affecte la croissance : elle ne permet plus d'investir, car elle est consacrée au remboursement de la dette.

Italie: croissance et dette depuis l'avènement de l'euro
Source : Factset et VALQUANT EXPERTYSE
2/L'€ interdit les dévaluations qui ont caractérisé les 10 années précédant son avènement. Au lieu d'une dévaluation de l'ordre de 50% sur 10 ans, l'économie italienne a dû gérer une réévaluation de l'ordre de 33% sur les 20 dernières années… Le tissu industriel si dense autour de Milan et Turin en a énormément souffert…

Taux de change de la lire contre dollar
Source : Factset et VALQUANT EXPERTYSE
3/ La démographie de l'Italie est très défavorable à la croissance. L'Italie vieillit et se dépeuple. L'âge moyen de l'italien augmenté de 10 ans en 30 ans, et est désormais de l'ordre de 46 ans. On ne se comporte pas de la même manière quand on a 46 ans, ou 10 ans de moins. On se projette moins, on dépense moins, on investit moins : cela pénalise la croissance…D'autant que le solde naturel italien es désormais négatif, de l'ordre de 100 000 chaque année depuis 3 ans.

Evolution de l'age median de la population depuis 1991
Source : Factset et VALQUANT EXPERTYSE
Comment cette stagnation économique italienne combinée à l'avènement d'un gouvernement populiste pourrait- elle dégénérer en crise financière ? Via le système bancaire, qui porte actuellement à lui seul 30% des créances douteuses de l'Union, et possède un gigantesque portefeuille d'obligations…de l'Etat italien.

banques italiennes et créances douteuses
Source : Factset et VALQUANT EXPERTYSE
C'est tout un symbole : les pays de l'Union n'ont pas réussi à mettre en place le troisième pilier de l'Union Bancaire Européenne, l a mutualisation de la garantie des dépôts , au moment où les banques italiennes pourraient subir une crise grave.
Le feu aux poudres serait mis par la hausse des taux de marché des obligations de l'Etat italien . Une hausse significative et durable de ces taux, aux niveaux observés dans les derniers jours de mai, (plus de 3%) pourrait susciter des pertes importantes dans les portefeuilles des banques italiennes. Celles-ci pourraient difficilement reconstituer leurs fonds propres en raison de leurs valorisations boursières insuffisantes (décote importante sur actif net). Face à la panique associée, les épargnants italiens eux-mêmes se dessaisiraient de leurs obligations, ce qui alimenterait la hausse des taux, et créerait une spirale baissière infernale.
La hausse des taux induisant une forte progression de la charge de la dette, l'économie italienne se trouverait dans une situation encore plus compliquée . Et le gouvernement des extrémistes ne trouveraient qu'une solution extrême : imposer à ses partenaires la sortie de l'€, et donc la fin de l'€ et peut-être de l'Europe elle-même.
L'Italie serait ainsi à l'origine et à la fin de la plus grande construction politique européenne depuis Charlemagne….
Eric Galiegue
Analyste financier indépendant
Président de VALQUANT EXPERTYSE
Président du Cercle des Analystes Indépendants
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