(Bien lire Erwan Balanant §14)
par Leigh Thomas, Jan Strupczewski et Yoruk Bahceli
Les marchés financiers ont salué le rejet des motions de censure contre le gouvernement français la semaine dernière, mais le répit après des semaines de chaos politique pourrait être de courte durée, à moins que les négociations budgétaires qui débutent lundi permettent de trouver les économies nécessaires pour réduire le déficit.
Un accord avec le Parti socialiste visant à suspendre l'application de la réforme controversée qui relève l'âge de la retraite a permis au Premier ministre français, Sébastien Lecornu, d'obtenir un sursis, éloignant ainsi le spectre d'une dissolution de l'Assemblée nationale, mais au risque de compliquer la tâche de stabilisation des finances du pays.
"Nous pensons toujours que la dette française, la situation politique et la réticence des Français à faire des sacrifices et à mettre en oeuvre une consolidation budgétaire signifient que vous devez payer plus pour émettre votre dette", a déclaré Apolline Menut, économiste chez Carmignac.
S&P ABAISSE LA NOTE DE CRÉDIT
Pour accentuer la pression, S&P Global Ratings a abaissé vendredi la note souveraine de la France à 'A+/A-1' contre 'AA-/A-1+', estimant que la consolidation budgétaire sera plus lente que prévu en l'absence de mesures supplémentaires significatives pour réduire le déficit.
Après trois dégradations de la part de Fitch, DBRS et S&P en un peu plus d'un mois, Moody's devrait actualiser pour sa part la note de la France à la fin de cette semaine.
Selon les analystes, les coûts d'emprunt de la France, qui s'élèvent à environ 3,37% pour les obligations à 10 ans
FR10YT=RR , soit à peu près le même niveau que ceux de l'Italie, un pays très endetté, reflètent depuis longtemps des notations inférieures.
"Avec l'abaissement actuel de la note, la France tombe sous le niveau AA- auprès de deux des trois agences de notation, ce qui devrait entraîner des ventes forcées de la part de plusieurs investisseurs institutionnels sensibles aux notations", a déclaré Mohit Kumar, chef économiste et analyste pour l'Europe chez Jefferies.
Le premier ministre Sébastien Lecornu a pour objectif de réduire le déficit budgétaire à 4,7% du PIB en 2026, contre 5,4% prévu en 2025, une première étape pour le ramener sous les 3% en 2029, un niveau considéré par beaucoup comme le seuil permettant de placer la dette sur une trajectoire viable.
COMPENSER L'IMPACT
Lors de la réunion annuelle du Fonds monétaire international (FMI) à Washington, le commissaire européen à l'Economie, Valdis Dombrovskis, a déclaré à Reuters que la suspension de la réforme des retraites représentait un "coût non négligeable", mais que le gouvernement avait l'intention d'en compenser l'impact.
Sébastien Lecornu vise un effort budgétaire de plus de 30 milliards d'euros en augmentant les impôts et en réduisant les dépenses, ce qui représente la plus importante coupe budgétaire en France depuis plus de dix ans.
Alors que de nombreux députés d'une Assemblée nationale fragmentée s'apprêtent déjà à diluer les coupes prévues par le biais d'amendements, le locataire de Matignon insiste sur le fait que le déficit doit rester inférieur à 5% l'année prochaine.
"Si les députés font de l'obstruction avec une pluie d'amendements, oui ça va être difficile, une vraie guérilla parlementaire, dit le député du MoDem Erwan Balanant, dont la formation soutient le gouvernement Lecornu.
"L'enjeu c'est de boucler les recettes avant le 31 décembre. Le volet dépenses ça peut être après, avec des projets de loi de finances rectificatifs", a-t-il précisé.
SANS SIGNES DE CONTAGION
Cependant, jusqu'à présent, rien n'indique que les turbulences françaises se soient propagées au reste de la zone euro.
La prime de risque des obligations à dix ans par rapport au Bund allemand, référence dans la zone euro, est tombée sous la barre des 80 points après l'annonce de la suspension de la réforme des retraites, mais elle reste bien supérieure aux niveaux observés avant l'été 2024, lorsque le président Emmanuel Macron a plongé la France dans l'incertitude en annonçant, à la surprise générale, la dissolution de l'Assemblée nationale et la convocation d'élections législatives anticipées.
Pierre Moscovici, directeur de la Cour des comptes, a déclaré lors d'une audition au Sénat sur le budget 2026 que la France pourrait même voir son niveau d'endettement dépasser celui de l'Italie d'ici 2029.
Les investisseurs semblent pour l'instant arriver à la même conclusion, voire considérer que les difficultés politiques et financières de la France auront un effet bénéfique, car elles encouragent d'autres pays, comme l'Italie, à poursuivre leurs efforts pour réduire leur déficit.
"Les hommes politiques diront: "Si c'est la voie que la France souhaite emprunter, le marché obligataire en sera le prix à payer. Je ne souhaite pas m'engager dans cette voie, car je ne veux pas payer ce prix sur le marché obligataire", a déclaré Rohan Khanna, analyste chez Barclays.
Les partenaires européens de la France sont quant à eux impatients de voir Paris sortir de l'impasse afin de faire avancer des projets paneuropéens bloqués depuis longtemps, tels que l'union des marchés des capitaux.
"Il est vrai que nous suivons de très près ce qui se passe politiquement en France, et je veux un gouvernement stable avec lequel je puisse faire avancer des projets importants", a déclaré le ministre allemand des Finances, Lars Klingbeil, lors d'une table ronde à Washington.
(Reportage Leigh Thomas à Paris, Jan Strupczewski à Washington et Yoruk Bahceli à Londres, avec la contribution d'Elizabeth Pineau à Paris ; version française Diana Mandia ; édité par Augustin Turpin)
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