
Jerome Powell, le président de la Fed (Crédits: Federal Reserve)
Par Michaël Nizard, Directeur des Gestions Multi Asset & Overlay
J. Powell sera de nouveau sous les feux des projecteurs ce soir à l'issue de la réunion de politique monétaire et il aura la lourde tâche de ne pas décevoir les attentes très élevées des investisseurs. Si la décision de réduire les taux directeurs de 25 pb ne surprendra personne tant elle est largement attendue depuis le discours de Jackson Hole, c'est la communication concernant la suite qui focalisera l'attention alors que les marchés financiers anticipent désormais près de 6 baisses de taux directeurs d'ici fin 2026 dont près de 3 sur les trois prochaines réunions.
Le véritable enjeu de la réunion réside en effet dans l'évolution des projections des membres de la Fed, lesquels anticipaient seulement 2 baisses cette année et une seule en 2026 lors de la dernière publication des « dots » en juin. L'évolution de la situation économique justifie sans doute un ajustement de ces projections mais il nous parait toutefois peu probable qu'elles s'alignent sur le positionnement de marché relativement agressif aujourd'hui, ce qui ne serait d'ailleurs pas souhaitable tant les répercussions pourraient être négatives, notamment pour l'ancrage des anticipations d'inflation. Pour la Fed, anticiper plus de 2 baisses de taux directeurs l'année prochaine témoignerait d'une grande inquiétude quant à un risque de récession aux Etats-Unis, un message alarmiste qu'elle cherchera à éviter. J. Powell devrait plutôt insister sur la nécessité de ramener progressivement les taux directeurs à un niveau neutre alors que la politique monétaire est jugée « modérément restrictive » aujourd'hui.
Afin de justifier la reprise du cycle d'assouplissement monétaire en dépit d'une inflation au-dessus de l'objectif de la FED et une politique budgétaire plutôt expansionniste, le président de la Fed ne manquera pas de réitérer ses propos sur l'état du marché du travail dont le ralentissement s'est d'ailleurs accentué depuis son intervention du mois d'août. Après avoir créé des emplois pendant 53 mois d'affilée, l'économie américaine en a détruit pour la première fois en juin dernier selon les dernières révisions et la moyenne de créations d'emplois est de seulement 29k sur les trois derniers mois. A cela s'est ajouté l'ajustement annuel pour la période mars 2024 - mars 2025, lequel s'est soldé par une révision de -900k emplois sur cette période, si bien que la moyenne mensuelle n'a été que de 70k emplois sur cette année glissante. Pourtant, en dépit de ce fort ralentissement des créations d'emplois, le taux de chômage ne s'est guère envolé et continue d'évoluer à un niveau relativement bas à 4.3%. Ceci témoigne de l'impact des restrictions à l'immigration sur l'offre de travailleurs, lesquels avaient déjà été mis en place dès la fin du mandat de J. Biden, ce qui réduit mécaniquement le point d'équilibre du marché du travail. Celui-ci est estimé autour de 70k emplois aujourd'hui mais pourrait encore diminuer autour de 30k selon les projections du CBO. Ces éléments devraient donc inciter les membres de la Fed à ne pas réviser sensiblement à la hausse leur projection du taux de chômage et la maintenir autour de 4.5% pour l'année prochaine. Les projections d'inflation pourraient en revanche être plus volatiles, certains membres estimant que l'impact des tarifs douaniers est moins important qu'anticipé tandis que d'autres pourraient à l'inverse s'inquiéter de la diffusion des pressions sur les prix à des catégories non concernées directement par les droits de douane.
Enfin, beaucoup de questions tourneront autour du thème de l'indépendance de la Fed lors de cette conférence de presse, d'autant plus que S. Miran et L. Cook ont tous les deux pu participer aux délibérations. La probabilité que le nouveau membre nommé par D. Trump vote contre la décision de diminuer les taux directeurs de 25 pb est non négligeable alors que celui-ci pourrait être tenté de marquer clairement son désaccord avec le reste des membres et contenter le président américain en votant pour une baisse plus rapide de 50 pb. Il n'est pas non plus exclu que d'autres membres le suivent dans cette voie, en particulier C. Waller et M. Bowman, ce qui constituerait un signal fort quant au biais résolument dovish d'une banque centrale américaine de plus en plus influencée par D. Trump.
En dépit de cette posture accommodante de la Fed, les attentes trop agressives des investisseurs nous incitent à maintenir notre neutralité sur les taux souverains. Plus précisément, au sein de nos poches d'allocation obligataires, nous continuons d'être diversifié sur la duration, détenant à la fois des emprunts d'états US et de la zone euro tandis que nous demeurons investis sur des stratégies de portage sur le crédit haut rendement et dettes émergentes notamment. Nous conservons par ailleurs notre vue plutôt prudente sur les marchés d'actions. Les valorisations de ces derniers évoluent en effet à des niveaux très élevés, en particulier aux Etats-Unis où elles sont revenues autour des points hauts de 2021, ce qui intègre déjà un scénario du meilleur des deux mondes, où la Fed assouplit sa politique monétaire de manière significative tout en ayant une économie américaine qui continue de bien se tenir. Sur le long cours, nous restons négatifs sur le dollar même si, à plus court terme, nous reconnaissons que la baisse du billet vert de ces derniers jours liée probablement aux remous au sein du Board des gouverneurs devrait se normaliser, d'autant que nous ne notons pas de mouvement notable sur les taux courts américains pouvant justifier cet accès de faiblesse sur le dollar.
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