
Vue d'un char Leopard 2 sur une ligne de production à Unterluess
par Michael Kahn, Christoph Steitz et Dominique Patton
De nombreuses entreprises de défense en Europe peinent à recruter, en dépit de l'augmentation des dépenses des gouvernements européens pour acheter des armes.
Depuis les déclarations répétées du président américain Donald Trump mettant en question le soutien américain à la défense européenne, l'Europe tente de muscler ses capacités militaires.
Vice-président des opérations chez PBS Group, un fournisseur tchèque de l'industrie aérospatiale, Pavl Cechal assure vouloir embaucher. Sur le site de production à Velka Bites, à deux heures de route de Prague, son groupe emploie 800 personnes et cherche encore à recruter.
"Nous embauchons désormais à tous les niveaux de l’entreprise", indique Pavel Cechal auprès de Reuters.
"Si des recrues étaient disponibles sur le marché du travail, nous embaucherions la plupart d'entre elles immédiatement. Nous avons les moyens de le faire".
PBS Group a augmenté les salaires de 8% l'année dernière et prévoit une nouvelle hausse de 10% en 2025 pour attirer les talents.
Le plan de dépenses dans la défense de 800 milliards d'euros de l'Union européenne devrait créer des centaines de milliers d'emplois au cours de la prochaine décennie. Mais les expertises requises, comme ingénieur spécialisé dans l'intelligence artificielle (IA) ou soudeurs, sont trop rares.
Reuters s'est entretenu avec plus d'une douzaine d'entreprises, de recruteurs et de travailleurs qui font part des manoeuvres des fabricants d'armes pour trouver des recrues. Outre les augmentations de salaires, ces derniers débauchent dans d'autres secteurs et recherchent des recrues potentielles dans les écoles et les universités.
"Nous avons également créé notre propre école de formation où nous formons nos propres employés", explique Milan Macholan, directeur général d'un site de production chez PBS Group.
L'UE souhaite désormais privilégier les fournisseurs européens pour ses achats de matériel militaire. Le bloc espère que sa nouvelle stratégie de formation et d'embauche, baptisée "union des compétences", contribuera à combler le déficit de recrutement dans le secteur de la défense.
COMPÉTITIVITÉ
Le groupe franco-allemand KNDS, qui fabrique le canon automoteur Caesar utilisé en Ukraine, a augmenté ses effectifs sur son principal site de production à Bourges (Cher) et accroît ses embauches de 50% par an.
Le recrutement reste un problème clé, souligne Nicolas Chamussy, directeur général de KNDS France, ajoutant qu'il y a une limite à l'augmentation des salaires.
"On est en économie de guerre, mais on est aussi en guerre économique. C'est-à-dire que (…) si nos taux horaires augmentent dans des conditions non contrôlées, on sera moins compétitif parce qu'on est quand même en compétition sur tout un tas de marchés", explique-t-il.
Les experts en IA capables de développer des systèmes d'armes autonomes ainsi que les personnes ayant une expertise dans les produits fabriqués en petites quantités sont particulièrement recherchés, ont déclaré plusieurs acteurs de l'industrie.
"On ne va pas usiner de la même manière un canon Caesar qu'une Peugeot 308. Ce n'est pas du tout la même compétence chez nous, on maîtrise des savoir-faire très, très spécifiques qui nécessitent d'avoir des compétences très particulières. Et ça, c'est rare sur le marché du travail", pointe Gabriel Massoni, porte-parole de KNDS.
Une augmentation des dépenses de défense à 3% du produit intérieur brut (PIB) par rapport à l'objectif actuel de l'Otan de 2% nécessiterait jusqu'à 760.000 nouveaux travailleurs qualifiés en Europe, d'après un rapport récent du cabinet de conseil en gestion Kearney.
"L'indépendance de la politique de défense en Europe ne serait possible que si la part locale des dépenses de défense augmentait considérablement, ce qui pourrait à son tour exacerber les pénuries de personnel", écrit Guido Hertel, partenaire de Kearney, dans le rapport.
D'après Godefroy Jordan, directeur général d'un cabinet de chasseurs de tête parisien, Headhunting Factory, et spécialisé dans la recherche de mécaniciens, d'ingénieurs système et de techniciens pour certains des 4.000 petits et moyens fournisseurs de l'industrie de la défense en France, il n'y a pas de "problèmes financiers" mais un "problème RH" : "les compétences ne sont pas là", d'après lui.
Les difficultés de l'industrie automobile pourraient toutefois constituer un vivier bienvenu de recrues.
Le producteur tchèque de munitions et d'obus STV Group compte sur cette situation pour recruter une partie des plus de 200 personnes qu'il souhaite embaucher à une centaine de kilomètres de Prague, d'ici le milieu de l'année prochaine, a déclaré son président, David Hac.
"Avec l'aggravation de la situation dans l'industrie automobile, nous sommes maintenant, pour la première fois depuis longtemps, dans une situation où nous pouvons choisir un peu parmi les gens", indique-t-il.
(Reportage Michael Kahn, Christoph Steitz et Dominique Patton; avec la contribution d'Eva Korinkova à Velka Bites, Matthias Inverardi à Düsseldorf, Sabine Siebold à Berlin et Giulia Segreti à Rome; version française Florence Loève, édité par Blandine Hénault)
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