Les investisseurs mondiaux ont les yeux rivés vers l'Alaska où doivent se rencontrer vendredi le président américain Donald Trump et son homologue russe Vladimir Poutine afin de sceller un éventuel accord de cessez-le-feu en Ukraine.
Le conflit, déclenché par l'invasion par la Russie de l'Ukraine le 25 février 2022, a provoqué un choc sur les marchés de l'énergie, une explosion des prix des denrées alimentaires, une chute des actifs européens et un isolement de l'économie russe d'une grande partie du monde occidental.
Les contours et la longévité d'un potentiel accord de cessez-le-feu seront déterminants pour les acteurs de marché.
"La grande question sera de savoir si, même si nous obtenons un cessez-le-feu, il sera durable", souligne Guy Miller, responsable de la stratégie marchés chez Zurich Insurance.
En attendant l'issue du sommet Trump-Poutine, rappel des bouleversements engendrés sur les marchés financiers par le plus grand conflit européen depuis la Seconde Guerre mondiale.
1/ L'EUROPE TOUCHÉE DE PLEIN FOUET
La dépendance de l'Europe à l'égard du gaz russe bon marché a rendu son économie et son marché boursier mal équipés pour faire face à la flambée des prix de l'énergie.
L'économie de l'Allemagne, moteur industriel de l'Europe, a stagné et les actions européennes ont souffert, notamment les secteurs tributaires de faibles prix de l'énergie comme l'industrie .SXNP et la chimie .SX4P .
Les banques européennes ont aussi été mises à mal avant de se redresser, celles exposées à la Russie ayant coupé leurs liens avec le pays.
Parallèlement, le secteur de l'aérospatiale et de la défense s'est envolé depuis février 2022: +178% pour le groupe français Thales TCFP.PA , +600% pour l'Italien Leonardo LDOF.MI , +1.500% pour l'Allemand Rheinmetall RHMG.DE .
"Si les combats cessent en Ukraine, je m'attends à ce que les actions du secteur de la défense se replient un peu mais je pense que la raison fondamentale pour laquelle ces actions se sont redressées est toujours là", observe Toni Meadows, directeur des investissements chez BRI Wealth Management.
"Si Poutine est toujours là et que Trump l'est aussi, alors la nécessité pour l'Europe de dépenser pour la défense perdure."
2/ FLAMBÉE DE L'ÉNERGIE
L'invasion russe de l'Ukraine a provoqué une flambée des prix de l'énergie en Europe. Le baril de Brent LCOc1 a grimpé de 30% pour atteindre 139 dollars tandis que les prix du gaz naturel TRNLTTFMc1 se sont envolés de près de 300% pour toucher un record.
Si la situation sur le marché pétrolier s'est vite apaisée, il n'en a pas été de même pour le gaz naturel. Les contrats à terme néerlandais TTF, la référence régionale pour le gaz naturel, ont grimpé en flèche alors que l'Europe s'affairait à chercher une alternative au gaz russe qui alimente plus de 40% de la demande mondiale.
Les pays européens se sont tournés vers le gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des Etats-Unis.
Dans le cadre de son récent accord commercial avec Washington, l'Union européenne (UE) s'est ainsi engagée à porter ses achats de pétrole brut, de gaz et de charbon américains d'environ 75 milliards de dollars en 2024 à 250 milliards de dollars par an jusqu'en 2027 - un chiffre que la plupart des experts jugent irréaliste.
3/ PIC INFLATIONNISTE
Déjà stimulée par la pandémie de COVID-19, l'inflation a encore été alimentée par la guerre en Ukraine.
Outre les prix de l'énergie, ceux des denrées alimentaires ont grimpé alors que les exportations agricoles de la Russie et de l'Ukraine - deux grands exportateurs de céréales - ont été interrompues.
Dépassées face à un pic inflationniste qui était perçu comme "transitoire", les banques centrales ont dû enclencher un cycle agressif de hausse des taux d'intérêt.
Le taux de dépôt de la Banque centrale européenne (BCE) est ainsi passé de -0,5% avant le conflit en Ukraine à un record de 4% en septembre 2023. Il est depuis revenu à 2% à la faveur du processus de désinflation.
Les prix élevés des denrées alimentaires restent néanmoins une préoccupation, en particulier pour les économies en développement. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), les prix mondiaux des denrées alimentaires ont atteint en juillet leur niveau le plus élevé depuis plus de deux ans.
"Si l'Ukraine pouvait fonctionner normalement en tant qu'économie, cela aiderait les prix des denrées alimentaires dans le monde entier", souligne April LaRusse, responsable des investissements chez Insight Investment.
4/ UKRAINE VERSUS RUSSIE
L'économie de l'Ukraine a été mise à mal par la guerre. L'an dernier, le pays a été contraint de restructurer 20 milliards de dollars de dette publique car il ne pouvait plus faire face aux remboursements compte tenu des exigences financières liées au conflit.
Les obligations de l'Ukraine XS2895057334=TE
XS2895057177=TE se sont ensuite redressées dans l'espoir d'une fin de la guerre avec la réélection de Donald Trump à la Maison blanche, le président américain ayant fait d'un accord de paix une de ses principales promesses électorales.
Mais les avancées peu nombreuses sur ce front et la dispute en mondovision entre Donald Trump et le président ukrainien Volodimir Zelensky en février dernier ont fait replonger le prix des obligations ukrainiennes.
Le conflit n'a pas non plus épargné l'économie russe après l'instauration d'une salve de sanctions à l'encontre de Moscou par les pays occidentaux.
L'augmentation des dépenses de défense a certes soutenu l'activité économique en 2023 et 2024 mais avec la hausse des taux d'intérêt opérée pour combattre la poussée inflationniste, certains responsables russes s'inquiètent désormais d'un risque de récession.
Le rouble russe, qui a touché un plus bas historique peu après l'invasion, affiche un gain de près de 40% par rapport au dollar cette année.
Moscou et son allié chinois réalisent désormais une grande partie de leurs échanges en yuan, qui a dépassé le dollar en tant que devise étrangère la plus échangée par la Russie.
5/ NOUVEAUX ÉQUILIBRES MONÉTAIRES
La guerre en Ukraine a pénalisé l'euro EUR=EBS , qui a chuté de près de 6% par rapport au dollar en 2022, à mesure que l'impact économique se faisait sentir sur le Vieux continent.
Les analystes estiment que l'amélioration du climat créée par un éventuel cessez-le-feu pourrait aider la devise unique mais préviennent que d'autres facteurs, tels que la politique monétaire, sont également déterminants.
"L'euro pourrait en bénéficier mais nous ne pensons pas que cela change la donne pour la monnaie", relève Frédérique Carrier, responsable de la stratégie d'investissement pour RBC Wealth Management dans les îles britanniques et en Asie.
Si les valeurs refuges telles que le dollar et le franc suisse =USD CHF= ont profité du conflit ukrainien, ce dernier a eu des répercussions plus profondes sur les équilibres monétaires.
Selon les analystes, le recours aux sanctions contre la Russie et la décision de l'Occident de geler quelque 300 milliards de dollars d'actifs de l'État russe en 2022 ont accéléré la "dédollarisation", c'est-à-dire les efforts déployés par les pays pour réduire leur dépendance à l'égard du billet vert.
(Amanda Cooper, Marc Jones, Dhara Ranasinghe, Samuel Indyk, avec la contribution d'Alexander Marrow, compilé par Dhara Ranasinghe ; version française Blandine Hénault ; édité par Augustin Turpin)
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