par Rob Cox 5 décembre (Reuters) - Peu de temps après m'être installé à Paris, j'ai rencontré un entrepreneur qui a l'ambition extraordinaire de mettre fin à la domination technologique de Microsoft et Google en créant son propre système d'exploitation numérique. J'ai aussi rencontré un manifestant en gilet jaune qui veut renverser le gouvernement. Voilà les deux visages du centre mondial de la résistance. En pleine émeutes urbaines à Paris, il peut sembler étrange que le rédacteur en chef d'une publication financière en anglais quitte New York pour s'établir temporairement en France en court-circuitant Londres, Francfort ou Amsterdam. Mais c'est à Paris qu'il faut être en 2019. En premier lieu parce que la tâche de combattre la pensée illibérale et le nationalisme économique qui imprègnent les politiques aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie et au-delà, repose désormais, en partie par défaut, sur les épaules du président français. On saura au cours de l'année qui vient si Emmanuel Macron est à la hauteur de la tâche. Si un mouvement comme les "gilets jaunes" relève de la tradition en France, il constitue une menace immédiate pour sa capacité à engager de nouvelles réformes. Son gouvernement a suspendu mardi l'augmentation prévue des taxes sur l'essence, le premier recul majeur de Macron, un an et demi après son arrivée au pouvoir. Et la contestation pourrait ne pas s'arrêter là. Les émeutes comme celles des gilets jaunes" ne sont qu'un des obstacles qui se dressent devant lui. Le capitalisme gaulois va aussi devoir relever de nouveaux défis, dont celui du rôle de l'Etat dans l'industrie, au moment où des investisseurs activistes venant de New York ou Londres tapent à la porte du CAC40. Dans le même temps, le divorce laborieux entre la Grande-Bretagne et l'Europe va offrir à Paris une occasion en or, qu'il appartiendra à la France de convertir ou pas. Il y a d'autres raisons, plus pragmatiques, de choisir Paris comme base arrière. Le fuseau horaire convient parfaitement à un service mondial comme Breakingviews, présent en Asie, en Europe et aux Etats-Unis. A Paris, il est possible de parler à des collègues à Singapour ou Pékin sans gâcher leur dîner avant de s'occuper de ce qui se passe en Europe et ensuite de donner un coup de main à New York. La difficulté est plutôt de savoir quand éteindre son ordinateur portable. Il est aussi beaucoup plus facile de voyager. Londres est une vraie extension du métro parisien - il n'est pas plus compliqué de s'y rendre que d'aller de New Haven à Manhattan. Des trains à grande vitesse relient la capitale française à Amsterdam ou Zurich. Air France a peut-être des problèmes financiers, mais son réseau est presque sans égal. Le 'jet lag' au retour d'un voyage en Chine est négligeable en comparaison des 13 heures cauchemardesques d'un New York-Shanghai. D'autres villes européennes, comme Francfort ou Bruxelles, présentent les mêmes avantages, c'est vrai. Et la fiscalité y a moins de chances d'être bouleversée à chaque changement de gouvernement. Aucune de ces villes ne voit cependant bouillonner comme Paris l'industrie, la finance, les médias, le pouvoir politique et la culture. Et la Bourse de Paris a la plus grande capitalisation boursière du continent, avec 850 sociétés cotées, dont 30 font partie des leaders mondiaux dans leur domaine. Londres restera un pôle financier mondial majeur mais sa situation centrale actuelle pour les flux de capitaux et d'informations sur la finance européenne va s'affaiblir quelle que soit la façon dont la Grande-Bretagne mène sa séparation économiquement stupide d'avec l'UE. Les organisations qui veulent s'adapter à cette nouvelle donne pourraient avoir besoin de baser plus de gens à Paris pour obtenir davantage d'informations sur les fusions et acquisitions et autres opérations financières. Rien de plus facile que faire venir des collègues de Londres à Paris pour une réunion. La perspective d'un déjeuner à la française fait toujours merveille. Si on met de côté les aspects pratiques, je ne serais pas ici s'il n'y avait pas Macron. Pendant sa campagne électorale, il a su s'adresser aux Américains qui sont fatigués, comme moi, de la toxicité du débat public de l'ère Donald Trump : "Que toutes celles et tous ceux qui font aujourd'hui l'innovation, l'excellence aux Etats-Unis nous entendent et nous voient" avait-il proclamé. "Vous avez aujourd'hui, et vous l'aurez à partir du mois de mai prochain, une terre patrie, ce sera la France." Beaucoup de gens en France en ont assez de Macron, aucun doute là-dessus. 'Le président des riches' fait partie des premiers mots que j'ai appris en français auprès de chauffeurs de taxi qui partagent volontiers leurs opinions politiques. Personne n'aime le changement, y compris sous la forme d'une hausse des taxes sur l'essence, surtout quand il est imposé par un ancien banquier de Rothschild âgé de 40 ans un peu déconnecté de la réalité. Conseiller par exemple à un jardinier au chômage d'aller faire la plonge est peut-être pertinent sur le plan intellectuel, mais ne manifeste pas un grand sens politique. Macron mérite néanmoins d'être soutenu pour le combat qu'il mène en faveur du système multilatéral qui a apporté à l'Occident la stabilité, que ce soit lorsqu'il défend une vision pro-européenne en vue des élections au Parlement européen en 2019 ou lorsqu'il tente de sauver l'Accord de Paris sur le climat ou l'accord sur le nucléaire iranien. Dans le même temps, le défi auquel est confronté Macron est de convertir son pays à des politiques pro-marchés qui ont été pendant longtemps frappées d'anathème en France. Cela ne veut pas dire sacrifier les acquis sociaux comme la couverture santé universelle ou le droit à un enseignement de qualité. Mais il devra réussir à convaincre le gilet jaune vivant en milieu rural que la hausse des prix à la pompe permettra de préserver le mode de vie à la française pour la future génération tout en favorisant une planète plus propre. Cela passe aussi par la mise en place d'un marché du travail plus flexible dans lequel des entrepreneurs comme Jean-Romain Lhomme, l'ancien banquier de la City qui ambitionne de concurrencer les géants de la Silicon Valley, peuvent attirer les plus grands talents de la planète. Mener la résistance ne signifie pas favoriser les riches ou les pauvres, les citadins ou les ruraux, mais les pousser à poursuivre ensemble la recherche du bien commun, pour le pays comme pour la planète. C'est le plus grand défi de nos jours et il n'y a pas de meilleur endroit que Paris pour en observer les développements. Sur Twitter : https://twitter.com/rob1cox (Tangi Salaün pour le service français, édité par Marc Joanny)
BREAKINGVIEWS-Rob Cox: Pourquoi je m'installe à Paris
information fournie par Reuters 05/12/2018 à 16:00
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