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Nouveau tour de vis européen sur les émissions au 1er janvier
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22% des ventes devraient être des EV pour être à l'objectif
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Sans ça, le secteur risque des milliards d'euros d'amendes
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Hausse du prix des véhicules essence, discounts en vue sur l'électrique, le pilotage des tarifs a commencé
par Gilles Guillaume et Alessandro Parodi
Le constructeurs automobiles européens ont déjà commencé à augmenter les prix de leurs voitures à essence et se préparent à offrir des remises sur leurs véhicules électriques, en prévision d'un nouveau défi venu s'ajouter aux nombreuses péripéties que connaît la filière : le durcissement des objectifs de CO2 qui risque de peser sur leurs marges.
L'union européenne a décidé d'abaisser drastiquement le plafond des émissions de CO2 pour les véhicules thermiques à compter du 1er janvier 2025, impliquant qu'il faudrait environ au moins 20% de modèles électriques dans les ventes si les constructeurs veulent éviter de lourdes amendes.
Mais la demande en VE est devenue atone, et seuls 13% des véhicules vendus en Europe se passent d'un moteur essence ou diesel, selon des données de l'Association des constructeurs européens d'automobiles (Acea), l'instance de lobbying pour la filière en Europe.
"Le gap à franchir pour atteindre les objectifs 2025 est absolument considérable", a dit Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme de la filière automobile (PFA), l'instance de lobbying pour la filière en France.
Ce durcissement des règles vient ajouter un poids supplémentaire à une filière déjà confrontée à des capacités de production excédentaires, à un ralentissement des ventes et à la concurrence des marques chinoises, nouvelles venues sur le marché européen. Cette situation a déjà entraîné ces derniers mois des avertissements sur résultats en cascade de la part notamment de Volkswagen VOWG_p.DE et de Stellantis STLAM.MI .
La demande en véhicules électriques, toujours plus onéreux que les versions essence à cause notamment du prix de la batterie, souffre aussi des incertitudes politiques et économiques et de la baisse régulière des aides publiques dans un contexte de contraintes budgétaires, a ajouté Marc Mortureux.
HAUSSES DES MODÈLES ESSENCE
A quelques semaines du couperet du 1er janvier, la plupart des constructeurs et une partie des politiques exhortent Bruxelles à revoir ses objectifs, ou du moins le chemin pour les atteindre.
Mais le secteur ne peut se contenter d'attendre un éventuel assouplissement des règles ou du calendrier et doit commencer dès maintenant le pilotage des commandes - qui feront les immatriculations des premiers mois de 2025 - pour échapper à des amendes susceptibles d'atteindre 15 milliards d'euros en tout, a prévenu le directeur général de Renault et président sortant de l'Acea, Luca de Meo.
VW, Stellantis et Renault RENA.PA ont tous relevé le prix de leurs modèles purement essence de plusieurs centaines d'euros sur les deux mois écoulés, avec plusieurs objectifs, ont dit des analystes et des sources : freiner la demande pour les véhicules les plus émetteurs de CO2, réduire un peu leur avantage tarifaire par rapport à l'électrique et à l'hybride, et utiliser ces gains financiers supplémentaires pour réduire les prix des VE.
"Les constructeurs ont lancé leurs stratégie de pricing pour piloter la demande vers les EV à batterie, afin d'atteindre les objectifs de CO2 et d'éviter des amendes potentielles", résume Beatrix Keim du Center for Automotive Research.
Le mois dernier, Peugeot (Stellantis) a appliqué jusqu'à 500 euros de hausse sur le prix de tous ses modèles en France à l'exception des versions électriques.
Renault Group a pour sa part augmenté le tarif de plusieurs modèles essence, ajoutant par exemple 300 euros (+1,6%) au tarif de la Clio SCE 65, mais sans toucher au prix de la version hybride E-Tech.
Une porte-parole de Peugeot a décrit les augmentations comme "économiques", sans plus de précision, tandis qu'un porte-parole de Renault a décrit les hausses comme normales dans le cycle de vie des véhicules.
Cette stratégie reste risquée car elle pourrait ne pas suffire à soutenir l'électrique et aboutir simplement à réduire les ventes de véhicules thermiques, et donc les ventes totales dans un environnement de marché déprimé et toujours 20% en dessous de son niveau d'avant le COVID.
"En réalité, augmenter le prix des voitures à moteur thermique équivaut à réduire la production (...), et c'est toute la chaîne de valeur et le tissu fournisseur qui va en souffrir", a dit une source proche d'un constructeur.
REMISES SUR L'ÉLECTRIQUE
"L'équation devrait se résoudre essentiellement par un ajustement des prix, avec une subvention indirecte des acheteurs d'électriques par les acheteurs de thermiques, et très probablement avec une réduction des marges des constructeurs", a déclaré Denis Schemoul, analyste automobile chez S&P Global.
Le plus exposé aux amendes en raison notamment de ses importants volumes de ventes, VW a déjà réduit le prix de sa compacte électrique ID3 sur plusieurs marchés ces derniers mois, amenant le tarif de départ sous la barre des 30.000 euros en Allemagne.
"C'est probablement ce qui va se produire l'an prochain", a dit Alastair Bedwell, directeur de la société de prévisions sur les motorisations GlobalData. Il s'attend à ce que les ventes d'EV en Europe bondissent l'an prochain de 41% à 3,1 millions d'unités.
Mais les remises permettant ce rebond ont un coût. Au Royaume-Uni, le secteur a prévenu que les objectifs de ventes d'électriques coûteront environ six milliards de livres sterling (7,26 milliard d'euros) aux constructeurs cette année, dont quatre milliards rien qu'en remises.
Les constructeurs peuvent aussi avoir recours au "pooling", qui consiste à acheter des crédits de CO2 aux constructeurs les plus vertueux pour abaisser leurs émissions moyennes. Cette option, qui pourrait s'avérer moins coûteuse d'après les analystes de Barclays, reste toutefois sensible politiquement car elle installe une dépendance vis-à-vis de groupes comme l'américain Tesla ou les chinois BYD et Geely.
Le japonais Suzuki a signé en octobre un accord de pooling avec Volvo Cars (Geely) pour 2025, a dit une porte-parole. Cet accord, premier du genre pour l'an prochain, devrait gommer presque totalement le risque d'amende pour Suzuki, a dit Charles Lester, data manager pour la société de conseil sur les batteries Rho Motion, étant donné la bonne performance CO2 de Volvo, qui s'explique par l'importance des EV dans son mix de ventes.
Quelle que soit l'option choisie, elle risque d'amputer les bénéfices des entreprises, déjà sous pression, et le secteur veut toujours croire à des aménagements sur la période de calcul des amendes ou sur une clause de revoyure anticipée.
"A un moment, trop c'est trop", déclarait le président de la PFA, Luc Chatel, en préambule du Mondial de l'auto qui s'est tenu à Paris mi-octobre, et lors duquel les signaux d'alerte sur l'ampleur du défi CO2 ont commencé à se multiplier.
"Je n'arrive pas à vendre suffisamment de véhicules électriques et on va me pénaliser sur mes véhicules thermiques, qu'est-ce qu'on veut que je fasse : des voitures à cheval ?", avait-il ajouté.
(Gilles Guillaume à Paris, Alessandro Parodi à Gdansk, avec Dominique Patton à Paris, Christina Amann et Victoria Waldersee à Berlin et Nick Carey à Londres, édité par Augustin Turpin)
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