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Macron et Erdogan : histoire d'une rivalité
information fournie par Reuters 03/11/2020 à 20:08

par Michel Rose et Orhan Coskun

PARIS/ANKARA, 3 novembre (Reuters) - Deux mois après son arrivée à l'Elysée, Emmanuel Macron déclare dans une interview que le fait de devoir s'entretenir avec Recep Tayyip Erdogan est l'une des raisons pour lesquelles être président n'est pas aussi "cool" que les gens peuvent le penser. Un commentaire qui fait l'effet d'une douche froide en Turquie.

Trois ans plus tard, la défiance entre Paris et Ankara a atteint la semaine dernière une forme de paroxysme avec les condamnations par Recep Tayyip Erdogan des propos d'Emmanuel Macron sur le droit de caricaturer en France, dans le sillage de l'assassinat de Samuel Paty, l'enseignant ayant montré des caricatures de Mahomet dans le cadre d'un cours.

"Macron a besoin d'un traitement au niveau mental", a déclaré le président turc lors d'un congrès régional de son parti à Kayseri, dans le centre de la Turquie.

Début octobre, Recep Tayyip Erdogan avait déjà critiqué les propos de son homologue français sur le "séparatisme islamiste", qualifiés de "provocation".

Quelques semaines plus tôt, mi-août, il accusait le président français de visées "coloniales" au Liban.

Dans un contexte de tensions géopolitiques accrues, la rivalité entre les deux hommes a pris des allures plus personnelles, des responsables de chaque camp témoignant de l'hostilité qui anime certains de leurs échanges privés.

"Le président Macron ne s'est jamais laissé faire", dit un diplomate français. "Je pense aussi qu'Erdogan le prenait pour un jeune président alors que lui-même a 30 ans d'expérience professionnelle en politique. Le président ne s'est jamais laissé faire. Jamais."

Emmanuel Macron avait anticipé une relation difficile avec le dirigeant turc, que son prédécesseur François Hollande avait vu se durcir vis-à-vis de ses voisins européens à mesure que les difficultés s'accumulaient pour lui sur le plan intérieur, à la suite notamment d'un coup d'Etat manqué en 2016.

"Tout devenait plus dur, toutes les questions plus heurtées", a raconté François Hollande à Reuters.

C'est en mai 2017, lors d'une réunion de l'Otan à Bruxelles, qu'Emmanuel Macron a rencontré Recep Tayyip Erdogan pour la première fois en tant que chef de l'Etat. Afin d'établir une relation personnelle avec le président turc, Emmanuel Macron avait même tenté de parler football en fin d'entretien, se souvient un responsable français.

Vu l'ampleur des sujets bilatéraux, le Turc devient alors le dirigeant international avec lequel Emmanuel Macron s'entretient le plus souvent en début de mandat.

C'est donc avec "surprise et déception" que les commentaires du nouveau président dans Le Point sont accueillis par Ankara, Emmanuel Macron n'ayant jamais donné l'impression de nourrir un tel sentiment à l'égard de Recep Tayyip Erdogan, selon un responsable turc.

"Le président (turc) a choisi de faire directement part de son mécontentement à Macron", selon ce responsable.

"CONVERSATION VIRILE"

Autre moment de tension : quelques mois plus tard, en mars 2018, le dirigeant français reçoit la milice kurde YPG, alliée de la coalition internationale contre l'État islamique en Syrie mais considérée par Ankara comme un groupe terroriste.

Lors d'un discours devant ses partisans, Recep Tayyip Erdogan accuse alors le président français d'"encourager les terroristes" en les accueillant à l'Élysée.

A la même époque à Paris, les responsables français déploraient les agissements de la Turquie en Syrie, accusant Ankara de soutenir les islamistes radicaux, tout en s'alarmant des ingérences turques en France, sur la formation des imams notamment.

Lors d'une rencontre au sommet de l'Otan en juin 2018, un entretien entre les deux hommes prend des allures de bras de fer. "La délégation est sortie, et ils ont fini en tête à tête", se souvient un diplomate français. "Ils avaient besoin de finir cette conversation virile."

Nouvelle détérioration en novembre 2019, lorsqu'Emmanuel Macron juge dans un entretien que l'Otan est en état de "mort cérébrale", accusant notamment la Turquie d'aller à l'encontre des intérêts de l'Alliance au Moyen-Orient, ce à quoi Erdogan répond que c'est le président Macron lui-même qui est en "mort cérébrale".

Un pas de plus a été franchi la semaine dernière avec les attaques personnelles proférées par Erdogan contre le locataire de l'Elysée. Emmanuel Macron a choisi de ne pas répondre directement à son homologue, jugeant ses propos indignes, a indiqué un responsable français au fait des discussions.

"Erdogan est faible économiquement et politiquement. En se présentant comme le chef des musulmans, capable de s'opposer à un grand pays comme la France, c'est un cache-sexe," selon ce responsable. "Il utilise la France, cette violence verbale, pour raviver ses forces internes."

Alors que des dizaines de dirigeants du monde entier ont écrit au président français après la mort de Samuel Paty, aucun message de condoléances n'est arrivé de la part d'Erdogan, a-t-on aussi noté à l'Elysée.

"Erdogan est un orateur nationaliste : il joue, il essaie de faire comme s'il était victimisé. Comme (le président russe Vladimir) Poutine, il est capable de sortir de ses gonds", dit Francois Hollande. "Dans un mois ou deux, si besoin, il reparlera à Macron. Après est-ce que Macron va le laisser faire sans conséquence, c'est à voir … "

Sinan Ulgen, du Centre d'études économique et de politique étrangère (EDAM) basé à Istanbul, ne voit pas, pour sa part, les tensions entre Paris et Ankara s'apaiser de sitôt.

"Ni Erdogan en Turquie ni Macron en France ne reculeront", selon lui.

(Avec la contribution d'Elizabeth Pineau et de Tuvan Gumrukcu ; version française Juliette Portala, édité par Jean-Michel Bélot)

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