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Korian : un peu maltraité, boursièrement parlant ?
information fournie par Le Cercle des analystes indépendants 13/04/2023 à 09:51

Jérôme Lieury
Jérôme Lieury

Jérôme Lieury

Olier Etudes & Recherches

Analyste financier, membre du Cercle des analystes

https://www.olier-etudes-recherche.fr/

Coté depuis 2006, Korian est un grand prestataire de services de santé pour le 3e âge avec un chiffre d'affaires 2022 de 4,4 milliards d'euros, 67.000 collaborateurs travaillant dans un total de 1.140 établissements dans sept pays d'Europe. (crédit photo : Adobe Stock /  )

Coté depuis 2006, Korian est un grand prestataire de services de santé pour le 3e âge avec un chiffre d'affaires 2022 de 4,4 milliards d'euros, 67.000 collaborateurs travaillant dans un total de 1.140 établissements dans sept pays d'Europe. (crédit photo : Adobe Stock / )

On est toujours plus intelligent après : selon nombre de commentateurs, la catastrophe boursière Orpea aurait été évitée si plus d'analystes avaient été à "neutre" ou à "vendre" sur la valeur au vu, par exemple, du bilan très tendu affiché par le groupe. Notamment le bilan au 30 juin 2021, dans les derniers comptes publiés avant la parution du fameux livre déclencheur, sur lequel nous ne reviendrons pas. Mais voilà : la Bourse est moutonnière par construction ou presque, et tout le monde ou presque voulait investir dans la "Silver Economy", Orpéa étant le véhicule idéal pour ce faire. Le marché des biens et services pour personnes âgées étant a priori un marché à très fort potentiel puisque porté par la démographie, autrement dit le vieillissement de la population, et donc la démultiplication des vieux consommateurs captifs. Ce qui n'est pourtant pas vraiment une bonne nouvelle en soi, il faut le dire.

Ceci étant, les analystes font ce qu'ils peuvent (et ont aussi le mérite d'exister) et, comme tout un chacun, doivent composer avec toujours plus de normes. Notamment les normes comptables de plus en plus complexes dites "IFRS", obligatoires pour les comptes consolidés des groupes cotés sur les grands d'actions marchés européens. Ces normes IFRS étant imposées dans l'Union Européenne, mais définies par une organisation qui est basée à Londres : l'IASB, et est immatriculée (comme "not-for-profit corporation") dans l'état américain du Delaware, ce qui peut paraître assez curieux, finalement.

Un problème avec les IFRS ?

Les IFRS reposent sur un postulat : la vraie valeur de l'entreprise doit être évidente dans sa comptabilité. Ce que les systèmes comptables traditionnels ne font pas, en enregistrant par exemple les actifs au bilan à leurs coûts historiques, et les dettes financières pour ce qui reste à rembourser. Pour remédier à cette carence épouvantable, tout compter en "juste valeur" est donc totalement indispensable. Et, fort logiquement, les variations de ces justes valeurs doivent être enregistrées dans le compte d'exploitation.

Mais ces justes valeurs étant estimées en se référant à des valeurs de marchés et/ou en utilisant des formules savantes de valorisation théorique, elles sont autant de valeurs calculées qui s'ajoutent à la comptabilisation réelle des charges, des produits, des investissements, etc… ce qui peut assez souvent brouiller sérieusement la lecture des comptes.

D'autant que l'IASB, qui opère maintenant en tant que IFRS Foundation, a une fâcheuse tendance à introduire souvent des normes nouvelles, et à amender encore plus souvent les anciennes, ce qui oblige, là aussi fort logiquement, à refaire les comptes de l'année précédente dans le rapport annuel au nom de la sacro-sainte comparabilité. Laquelle comparabilité devient incidemment des plus relative si on refait à chaque fois les comptes de l'année précédente, mais c'est comme ça.

Tout ceci expliquant pourquoi les directions des grands groupes communiquent de plus en plus souvent sur des "indicateurs de performance" et autres KPIs qu'elles fabriquent elles-mêmes pour expliquer leurs résultats de la façon la plus claire possible. Des chiffres qui s'éloignent de plus en plus aussi de ceux, de plus en plus calculés et compliqués, des comptes en IFRS. Ce qui peut faire dire (par des gens faisant indéniablement preuve de mauvais esprit) qu'on a dans ce cas presque affaire à une double comptabilité. Ce qui n'est pas bon en soi, et semble en tout cas indiquer qu'on a un problème avec les IFRS.

Retraiter les comptes : ça peut aider

Ceci étant, les IFRS n'ont pas que des inconvénients, puisqu'ils obligent les entreprises à détailler beaucoup de choses dans les annexes de leurs comptes. Ce qui peut aider l'analyste à faire son travail, qui consiste avant tout, faut-il le rappeler, à dégager des chiffres comptables les quantités économiques qui font la valeur d'une entreprise, valeur que la capitalisation boursière de ladite entreprise est censée refléter le plus souvent (ou au moins de temps à autres). Ce qui suppose souvent de retraiter les comptes consolidés, pour en retirer toutes sortes d'items qui brouillent, voire distordent cette réalité que l'on veut approcher et qui, faut-il le rappeler aussi, n'est jamais exactement quantifiable. Que ces items soient des éléments exceptionnels et/ou hors exploitation, et toutes sortes de variations de juste valeur, lesquelles sont souvent plus que confusantes, parce qu'elles sont de pures quantités notionnelles, voire fictionnelles et "non-cash", comme les nouveautés introduites par la norme IFRS 16 depuis 2019.

Notamment retraiter IFRS 16 dans certains cas

De fait, IFRS 16 ajoute les baux commerciaux : quand la société en question loue des murs de boutiques, d'entrepôts, etc… qui ne sont que des contrats, comme des actifs dans les bilans : a) on inscrit donc dans les immobilisations un montant d'actifs de location que b) que l'on amortit puisqu'il le faut bien, ces amortissements remplaçant les loyers payés dans le monde réel aux propriétaires des murs, c) on met en face de cela une dette locative dans le passif du bilan, qui d) paye bien naturellement des intérêts fictifs comptés dans le solde financier. Tout ceci étant calculé, et n'existant pas vraiment. Notamment la dette locative, qui ne sera remboursée à personne.

IFRS 16 modifie de fait en profondeur les comptes consolidés de sociétés qui louent beaucoup de locaux d'exploitation, comme, par exemple, LVMH, qui exploite plus de 7 000 boutiques dans le monde pour vendre ses articles de luxe (abordable).

Un retraitement s'impose donc éventuellement dans de tels cas de figure, ce qui n'a rien de sorcier, puisque ces quantités sont le plus souvent assez bien détaillées, dans les annexes y compris. On peut de fait facilement ressortir les actifs locatifs des immobilisations, les dettes locatives des dettes financières, et, dans le compte de résultat, les amortissements de l'excédent brut d'exploitation (ou Ebitda, pour les amateurs éclairés), et les frais financiers IFRS16 du solde financier. Tout ceci pour avoir une idée plus précise de l'endettement financier net, celui que la société doit vraiment rembourser un jour (si on ne remboursait pas ses dettes bancaires, le monde tel que nous le connaissons n'existerait plus), ce que le marché boursier semble regarder de près. Et aussi pour avoir une idée plus précise des amortissements déductibles fiscalement, puisque l'argent de cette charge, comptée mais non payée, reste en bonne partie dans la caisse du groupe, et contribue au cash-flow, et ensuite au free cash-flow, que le marché semble regarder de près aussi.

D'autant que le marché a peut-être un peu trop tendance à raisonner par analogie, à en juger d'après le mauvais parcours du cours de Bourse d'une société assez comparable à Orpea : Korian, qui perd -31% depuis le début de l'année après avoir reculé de -64% en 2022. Ce qui est beaucoup, et justifie éventuellement que l'on y regarde de plus près.

Un grand acteur de la maison de retraite, et une offre qui couvre toute la demande a priori

Coté depuis 2006, Korian (ex-Medidep) est un grand prestataire de services de santé pour le 3ième âge avec un chiffre d'affaires 2022 de 4,4 milliards d'euros, 67 000 collaborateurs travaillant dans un total de 1.140 établissements dans sept pays d'Europe (49% France, 24% Allemagne, 15% Benelux, 12% Italie, etc…). Korian hébergeait 95.000 résidents dans 710 maisons de retraite médicalisées en 2022, et a traité en tout 605 000 patients dans ses cliniques (plus d'une centaine en tout : centres de soins de suite, cliniques psychiatriques), et servi 110.000 personnes dans des résidences services (près de 200 en tout) ou en soins à domicile.

Les 2/3 du chiffre d'affaires provenant des soins de longue durée prodigués dans les maisons de retraite, 24% des traitements cliniques classiques, et le reste des services et aides à domicile. Le tout sous des enseignes à bonne notoriété a priori telles Berkley, Steppin Stones et Rosorum en plus de Korian dans les maisons de retraite, Inicea, Ita, Leben Werte et depuis peu Grupo 5 dans les cliniques, et aussi Ages & Vie dans les résidences séniors et Petits-fils dans les soins à domicile. On notera que ces trois domaines du médical pour le 3ième âge ont des évolutions très différenciées en fait, puisque le nombre de résidents en Ehpad n'a augmenté que de +3% en 2022, contre +20% pour les patients des cliniques, alors que le nombre de personnes traitées à domicile était multiplié par x2.

Analyse des comptes : du pour et du contre, sans aucun doute

Si l'on regarde les comptes (retraités) de près, on peut constater que Korian est en croissance année après année, soit une activité en progression de +6,9% en 2022 après +10% en 2021, croissance presque entièrement organique (+6,2%) selon la direction, avec notamment un taux d'occupation des maisons de retraite en hausse de +2,3 points à 87,8%. Si par ailleurs le taux de marge opérationnelle perd -2,1 points, il reste néanmoins à un niveau honorable, soit 6,1%. Ce qui est toutefois sans grande importance en l'espèce puisque la direction du groupe communique avant tour sur l'Ebitda, qui est le résultat opérationnel avant que l'on ne décompte les amortissements, voire sur un EbitdaR, qui est un Ebitda encore plus élevé, puisqu'avant les loyers comptabilisés.

Et c'est là que les ennuis commencent un peu : a) pourquoi ne pas raisonner sur un Ebitda après loyers ? puisque Orpea communiquait de la même façon en EbitdaR, et que ça c'est plutôt mal terminé, et, b) il y a deux Ebitda publié en fait : un Ebitda de 1 003 millions d'euros, qui est l'Ebitda IFRS 16 dans lequel les loyers sont remplacés par des amortissements comptés en-dessous de cet Ebitda, et un Ebitda de 607 millions d'euros qui est l'Ebitda hors IFRS 16, avec environ 400 millions d'euros de charges en plus, qui sont peu ou prou les loyers payés. Que faut-il croire alors ?Le résultat net consolidé est aussi un peu difficile à lire : il n'est que de 22 millions d'euros publié dans les comptes en IFRS, ce qui n'est pas beaucoup, mais de 131 millions d'euros si l'on rajoute mécaniquement les frais financiers fictifs de la dette IFRS 16, ce qui est bien mieux, mais de 66,9 millions d'euros selon la direction, qui part vraisemblablement du résultat publié pour lui réintégrer, ce que l'on comprend bien, des dépenses non-récurrentes "liées aux opérations de transformation du réseau". Soit, autrement dit, des restructurations.

Il en va de même pour la génération de liquidités : le cash-flow libre opérationnel est de +371 millions d'euros selon la direction, mais un simple décompte de free cash-flow, soit : le résultat net corrigé + les simples amortissements - les investissements totaux (à savoir ce qu'il faut pour entretenir l'outil de travail : 622 millions d'euros, augmenté des acquisitions de nouvelles filiales : 285 millions d'euros) montre que Korian a consommé indubitablement du cash en 2022. Ce que l'on retrouve de fait dans l'augmentation de l'endettement financier net hors IFRS 16 de plus de 500 millions d'euros au bilan, et dans la dégradation du ratio Endettement Net/Fonds Propres, qui passe de 86 à 98% en un an.

Ceci même si la dette adossée à l'immobilier, le groupe étant propriétaire de 28% de l'immobilier de son réseau, soit 436 actifs immobiliers, dont 268 en France, est loin d'être excessive comme chez Orpea : toujours selon la direction, la pure dette immobilière était de 1 914 millions d'euros fin 2022, pour un patrimoine immobilier évalué à 3.455 millions d'euros, soit un ratio Loan To Value de 55%, presque raisonnable si l'on songe que les sociétés foncières s'estiment confortables (et leurs actionnaires aussi) avec des LTV autour de 45%. Le groupe fait estimer son patrimoine en propre tous les ans (par le cabinet spécialisé Cushman & Wakefield), et cette (juste) valeur se décompose en 2 260 millions d'euros pour les murs des maisons de retraite et 1 milliards d'euros pour les cliniques, sur la base d'un taux de rendement estimé de 5,10%.

Bref : il y a du pour et du contre, même si l'on peut penser que le marché traite Korian très durement par ricochet par rapport à Orpea. Mais gageons qu'avec a) un peu de clarification des comptes, même si ce n'est pas de la tarte, b) une meilleure perception de la qualité de l'offre du groupe en tant qu'opérateur sur un marché structurellement demandeur, et c) éventuellement moins d'acquisitions, soit un bilan qui commencerait à s'alléger en conséquence avec le free cash-flow généré par l'activité, tout finirait par s'arranger.

Car tout, ou presque, finit par s'arranger, c'est bien connu. A force…

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2 commentaires

  • 21 avril 10:56

    Excellent article, clair, documenté, instructif et truffé d'humour ! Bravo, c'est rare !


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