On ne peut pas reprocher à Luca De Meo d’être contre l’électrification des voitures. Le directeur général de Renault a promis 100% de véhicules zéro émission pour la marque au losange en Europe dès 2030. Mais "ce n’est pas une solution miracle", martèle-t-il en tant que président de l’Association des constructeurs européens (ACEA).
Et ce, suite au coup de tonnerre provoqué par l’Allemagne le 7 mars dernier, en bloquant un texte européen censé imposer la vente de véhicules uniquement électriques en 2035. Las, le vote a été reporté sine die. Une position allemande soutenue notamment par l’Italie et la Pologne.
Les raisons du refus ?
C’est principalement le résultat d’un "gros lobbying auto, surtout allemand, à Bruxelles", résume Michel Forissier, directeur de l’ingénierie de l’équipementier Valeo.
Le tout électrique et l’absence d’autres solutions techniques alternatives ont longtemps agacé l’industrie européenne.
"Nous avons toujours plaidé pour la neutralité technologique", explique Marc Mortureux, directeur général de la PFA (Plate-forme auto française). Aux pouvoirs publics de fixer les objectifs, mais sans imposer une technologie précise ! "L'ennemi est l'énergie fossile, pas une technologie particulière", rappelle Luca De Meo.
Berlin exige du coup que la Commission présente une "proposition sur la manière dont les carburants synthétiques pourraient être utilisés dans les moteurs à combustion après 2035", indique le ministre allemand des Transports, Volker Wissing.
BMW et Porsche ont investi dans le développement de ces carburants neutres en carbone.
Avantage : ils permettraient de prolonger la vie des moteurs à essence ou diesel existants. Or, le patron de Porsche, Oliver Blume, a pris du galon en septembre dernier, devenant président du… groupe Volkswagen. Un constructeur détenu à 20% par le Land de Basse-Saxe contrôlé par le SPD, le parti du chancelier Olaf Scholz. Et Oliver Blume est beaucoup moins pro-électrique que son prédécesseur Herbert Diess ! "L'électrification est la technologie choisie par les politiques, pas par l'industrie", persifle Carlos Tavares, directeur général de Stellantis.
Si l’auto allemande est en pointe, les constructeurs tricolores font profil bas.
Renault, qui planche aussi sur des nouveaux carburants expérimentaux, et Stellantis ont été échaudés. A l’été 2021, l’Elysée leur promettait de défendre la survie jusqu’en 2040 des hybrides rechargeables, dont les deux constructeurs sont des spécialistes.
A l'issue d’une réunion entre le Chef de l’Etat et la filière auto, un conseiller présidentiel avait alors fermement indiqué à la presse : "Il y a une volonté forte de garder les hybrides rechargeables" ! Or, "l’engagement n’a pas été tenu", regrette une source proche du dossier.
Lâchage du gouvernement français
Et le gouvernement français, qui s’est toujours aligné sur les positions maximalistes de la Commission, va encore moins défendre aujourd’hui la neutralité technologique… qu’il est vexé.
Car, par son coup d’éclat, l’Allemagne remet en cause un consensus qui avait été trouvé sous présidence française de l’Union, en juin 2022. D’où la sortie du ministre des Transports Clément Beaune, le 8 mars dernier, regrettant la "forme de fronde" de Berlin. La France a le sentiment d’avoir reçu une claque diplomatique.
Dans les sphères politiques françaises, on commence pourtant à s’inquiéter. L’électrification en cours avec des voitures très onéreuses participe d’une faiblesse marquée du marché auto (-10% dans l’Hexagone en 2022). Une voiture électrique comme la Dacia Spring aux performances limitées coûte 20.800 euros en version de base, contre 11.990 pour une Sandero à essence bien plus polyvalente. Une Peugeot e-208 zéro émission démarre à 34.800 euros, contre 19.200 pour la version thermique !
Et la promesse d’Emmanuel Macron de véhicules zéro émission abordables en leasing pour 100 euros par mois ne s’est toujours pas concrétisée. Celle-ci bute justement sur le coût de ces modèles. Gare donc à la fronde sociale ! Et ce, sans parler des suppressions d’emplois probables dans l’industrie. 40.000 emplois devraient être perdus au bas mot à cause de l’électrification d’ici à 2030, selon Alix Partners.
Renault ne peut guère s’éloigner officiellement de la position du gouvernement. "N’oublions pas que l’Etat a 15% de notre capital", dit-on en interne.
Quant à Carlos Tavares, il avançait récemment : "ceux qui veulent marchander peuvent le faire, mais ça ne nous intéresse pas." Le dirigeant a d’ailleurs quitté… l’ACEA en juin 2022. Une totale électrification en 2035 est "débile, mais en tant que constructeur je me dois de faire les meilleurs véhicules électriques possibles", résume cyniquement le directeur général. La filière préfère désormais se mobiliser contre le danger chinois. "Notre message, c’est faisons comme les Américains et taxons davantage les véhicules chinois" à l’entrée en Europe, affirme Marc Mortureux. Mais, là, les Allemands sont contre, car la Chine est le premier débouché de Volkswagen !