Philippe Salle l’avait promis à plusieurs reprises : Emeria (ex-Foncia), la société qu’il dirige depuis sept ans, serait sa dernière expérience. A l’approche des 60 ans (il les aura le 17 mai 2025) et après une carrière de PDG menée pied au plancher, de la société parapétrolière Géoservices au spécialiste des cantines Elior, en passant par le groupe d’intérim Vedior et l’ingénieriste Altran, envisager la fin de son parcours dans la pierre avait quelque chose de rassurant. Et pourtant, il a replongé.
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Depuis le 14 octobre, il est président du groupe d’informatique Atos et prendra également la direction générale le 1er février 2025. « Je ne cherchais pas à quitter Emeria. Atos s’est présenté ainsi. Je suis passionné de technologie mais surtout je me suis dit qu’il fallait sauver ce groupe », explique M. Salle au Monde.
Atos, c’est le plus grand défi de la carrière de cet ingénieur lyonnais, qui a préféré l’Ecole des mines de Paris plutôt que de devenir médecin comme son père. Fragilisé par quatre années d’errance stratégique, le groupe d’informatique sort épuisé de six mois de restructuration financière. Ses 92 000 salariés dans le monde, dont environ 10 000 en France, s’inquiètent pour l’avenir. Beaucoup de ses clients ont changé de prestataire. Et ses actionnaires ont tout perdu : l’action Atos ne vaut plus que 71 centimes d’euros alors qu’elle dépassait les 60 euros en janvier 2021.
Trop compliqué, trop risqué
A ce jour, rien ne garantit que le plan de désendettement élaboré par les anciens créanciers permettra de relancer le numéro dix mondial des services informatiques. Son chiffre d’affaires a encore baissé de 4,4 % au troisième trimestre, a-t-il indiqué le 24 octobre, et son carnet de commandes s’est de nouveau contracté.
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Cette situation rendait Atos peu attrayant. Beaucoup de dirigeants contactés pour devenir PDG ont décliné. Trop compliqué, trop risqué. Mais, pour M. Salle, c’était l’occasion de prendre la direction de la plus grande entreprise de sa carrière, alors qu’à plusieurs reprises les portes du CAC 40 se sont refermées devant lui. En 2014, soutenu par Matignon, il est bien placé pour la direction d’EDF, mais l’Elysée lui préfère Jean-Bernard Lévy. Trois ans plus tard, c’est la direction de Carrefour qui lui échappe de peu, devancé par Alexandre Bompard.
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Les personnes qui ont travaillé avec lui le décrivent comme direct, efficace, parfois sec, peu ouvert aux autres, mais concentré à 100 % sur sa mission. Karatéka (ceinture noire) et descendant du général d’empire de Campredon, M. Salle admet diriger les entreprises « au galop ». Ce sera encore plus vrai chez Atos. « La situation financière nécessite d’aller très vite et de lancer dès la fin de cette année un plan d’urgence pour endiguer la consommation de cash. La vision stratégique, puis la mise en place de la nouvelle organisation, viendront à partir de mars 2025 », annonce le futur PDG.
« Obnubilé par l’argent »
« Il réfléchit vite, décide vite et agit vite », apprécie Gilles Rigal, qui représentait le fonds d’investissement Apax, le premier actionnaire d’Altran, lorsque Philippe Salle en était le PDG entre juin 2011 et octobre 2015. Sa façon d’aller droit au but l’avait convaincu : « Il avait mis en place un tableau de bord simple, avec une dizaine d’éléments-clés à surveiller. » « On formait un vrai duo et il n’interfère pas dans le travail de ses équipes », ajoute Cyril Roger, son numéro deux chez Altran.
Surtout, la marque de fabrique de Philippe Salle, c’est la finance. « Les relations sociales ne l’intéressent pas. Il est obnubilé par l’argent », résume Gaëtan Séguillon, délégué syndical FO chez Altran. C’est d’ailleurs sûrement pour cela que les nouveaux actionnaires d’Atos, en majorité des fonds d’investissement dits spéculatifs (hedge funds), l’ont choisi, en espérant faire une jolie culbute, une fois la société redressée.
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Là où M. Salle est passé, les actionnaires n’ont pas eu à se plaindre. Chez Altran, sous sa direction, l’action a doublé. Chez Géoservices, Astorg, le fonds d’investissement propriétaire de la société, a multiplié sa mise par dix lors de sa revente, en mars 2010, à l’américain Schlumberger. La cession partielle, en octobre 2021, d’une partie du capital de Foncia, a également été très fructueuse.
Lui-même en a directement profité. « Depuis que j’ai quitté Vedior, je me suis fixé une règle : je suis PDG si je suis actionnaire », indique-t-il. Sa fortune est estimée à plusieurs centaines de millions d’euros. De quoi lui permettre de mener grand train. Collectionneur de grands crus et amateur de voitures de luxe, il aimait arriver au siège de ses entreprises en Bentley ou en Aston Martin DBS. Depuis, il a vendu sa collection.
« Electrochoc »
Avec Atos, il espère faire un dernier joli coup : il va investir 9 millions d’euros au capital. Une façon aussi d’affirmer son engagement à la tête de la société alors qu’on lui reproche parfois de quitter ses fonctions précipitamment lorsque les choses ne vont pas aussi bien que prévu. « Il est comme un entraîneur de foot qu’on appelle pour éviter la relégation de l’équipe. Passé l’électrochoc du début, le soufflé retombe », souligne Christophe Noël, de la CFE-CGC d’Elior.
S’il reconnaît « s’ennuyer très vite », le PDG se voit bien rester un peu à la tête du groupe d’informatique : « Il y a énormément de choses à faire. Je me vois bien faire deux mandats de quatre ans. » « Ce sera donc à coup sûr le dernier poste de ma carrière », affirme-t-il. Expatrié à Londres depuis 2020, M. Salle envisage de revenir à Paris pour s’occuper pleinement d’Atos.
Olivier Pinaud