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Voici l'article :
"Considérez l’énergie solaire comme un « énorme compte bancaire » et l’hydrogène vert comme la clé qui va permettre aux pays africains d’exploiter massivement cette manne. C’est, avec un certain sens de la formule, la métaphore qu’a martelée l’expert kényan Richard Kiplagat lors d’un panel organisé à l’occasion du Sommet africain sur le climat, qui s’est tenu du 4 au 6 septembre à Nairobi.
Dans de nombreux Etats du continent, les besoins des électriciens nationaux ne sont pas suffisants, ou les projets renouvelables pas assez rentables, pour y exploiter la totalité des gigantesques ressources solaires et éoliennes, mais, « avec l’hydrogène vert, il y a un nouveau débouché, de nouveaux acheteurs pour ces énergies », a expliqué le président du groupe de travail pour l’hydrogène en Afrique.
L’hydrogène, un atome aux usages industriels multiples, s’obtient en extrayant cet élément chimique de matières où il est naturellement présent. Aujourd’hui, on le produit essentiellement à partir du méthane, une opération très émettrice de gaz à effet de serre : il est donc qualifié de « gris ». A l’inverse, l’hydrogène « vert » est extrait de l’eau, à travers un processus d’électrolyse alimenté par une énergie renouvelable, donc sans émission.
Effets d’entraînement sur les économies des Etats
Si la production d’hydrogène vert est encore limitée, elle est considérée comme cruciale dans l’atteinte des objectifs climatiques, car cet élément peut se substituer à des produits fossiles, non seulement dans la production d’électricité, mais aussi dans l’aviation ou la fabrication d’engrais et de métaux (acier, aluminium, ciment), des secteurs très émetteurs. Selon une récente étude du cabinet Deloitte, l’émergence de l’hydrogène vert « redessinera le paysage mondial de l’énergie et des ressources dès 2030, et pourrait à terme constituer un marché de 1 400 milliards de dollars [quelque 1 300 milliards d’euros] par an ».
Les Etats du continent africain commencent à s’y intéresser sérieusement. Six pays dotés d’un fort potentiel solaire (le Kenya, l’Afrique du Sud, la Namibie, l’Egypte, le Maroc et la Mauritanie) se sont unis au sein d’une Alliance africaine de l’hydrogène vert (AGHA), avec l’objectif d’augmenter, grâce à lui, leur produit intérieur brut cumulé de 6 % à 12 % d’ici à 2050. Si l’Afrique du Nord a pris de l’avance, les pays subsahariens comptent déjà quelques sites de production « à petite échelle » et, en Namibie et en Mauritanie, des projets pour plus de 100 milliards de dollars d’investissements sont à l’étude, précise M. Kiplagat au Monde.
L’hydrogène vert peut avoir plusieurs débouchés en Afrique, note Margaret Mutschler, du développeur d’énergies vertes CWP. Au-delà d’un usage visant à stocker le surplus de production des énergies renouvelables à destination du réseau électrique, il peut contribuer à développer des industries locales, dans des pays souvent producteurs de minerais mais importateurs – à grands frais – de produits métalliques.
En Mauritanie, riche en fer, CWP travaille sur un projet d’hydrogène de 30 000 mégawatts (MW), qui envisage comme principal débouché une filière d’« acier vert ». « Dans le processus de fabrication de l’acier, on peut utiliser de l’hydrogène au lieu du carbone », détaille Mme Mutschler. Moins émetteur, cet acier serait aussi créateur d’emplois et positif pour la balance commerciale de la Mauritanie, deux priorités de nombreux pays africains.
Des coûts encore trop élevés
Même tableau avec les engrais azotés, qui associent des atomes d’azote et d’hydrogène, aujourd’hui essentiellement « gris », considérés par de nombreux gouvernements comme cruciaux dans leur sécurité alimentaire. Lors du sommet, le Kenya a présenté une feuille de route pour le développement du secteur, visant notamment à réduire de 50 %, d’ici à 2030, ses coûteuses importations d’engrais azotés en produisant sur place.
A terme, l’exportation de l’hydrogène vert, notamment vers l’Union européenne (UE), est un dernier débouché. Pour remplir son objectif de neutralité carbone en 2050, l’UE sera, à cette échéance, la première zone importatrice au monde, selon l’étude du cabinet Deloitte. « Parviendrons-nous à exporter vers l’Europe ? Les études parlent de 2040, peut-être 2050, mais cela dépendra vraiment de la compétitivité de l’hydrogène vert face aux énergies fossiles », souligne M. Kiplagat.
Au-delà des critiques concernant l’utilisation de l’électricité – quand 600 millions d’Africains n’y ont pas encore accès –, l’hydrogène vert souffre encore de coûts technologiques et de transport trop élevés. « Mais ces derniers tendent à se réduire, tout comme ce fut le cas, il y a longtemps, du pétrole », note-t-il, ajoutant que les futurs choix européens en matière de taxation des hydrocarbures influenceront fortement la compétitivité de l’hydrogène vert.
Pour le ministre mauritanien de l’économie, Abdessalem Ould Mohamed Saleh, la rente financière que les Etats africains pourront en tirer constitue un autre point-clé. « Mais cela vaut le coup de ne pas en attendre des revenus énormes parce que l’effet d’entraînement sur l’économie sera tellement grand que l’Etat aura toujours son compte », explique-t-il au Monde. Avec moins de cinq millions d’habitants et d’immenses ressources solaires inexploitées, ce pays désertique est, dit-il, déterminé à tenter ce « pari » à coups de grands projets.
Marion Douet (Nairobi, correspondance)"