* Une filière florissante mais fragile * Des coûts de production dix fois plus élevés qu'au Maroc * Mais les grandes maisons restent fidèles à Grasse par Matthias Galante GRASSE, Alpes-Maritimes, 26 novembre (Reuters) - Le pays de Grasse, capitale mondiale de la parfumerie, saura cette semaine si les techniques, gestes et méthodes parfois séculaires de la fabrication des parfums seront préservés du temps qui passe et de la pression immobilière en intégrant le patrimoine mondial culturel immatériel de l’humanité. Intitulée "les savoir-faire liés au parfum", l’unique candidature française sera examinée par le Comité intergouvernemental de l’Unesco à partir du 26 novembre à Port-Louis (Ile Maurice), avec une quarantaine de dossiers comme la fabrication artisanale de décorations de Noël en perles de verre soufflé de Tchéquie ou la vannerie artisanale aux Bahamas. A Grasse, la filière locale du parfum, florissante et fragile à la fois, issue d’une longue tradition des tanneurs de gants parfumés au XVIe siècle, devenus progressivement parfumeurs, a repris des couleurs ces dernières années. "Avec le retour des jeunes cultivateurs de fleurs à parfum, alors que la filière culture, la plus fragile de la parfumerie, avait quasiment disparu", constate Jean-Pierre Leleux, sénateur, maire honoraire et patron de l’association "Patrimoine vivant du Pays de Grasse" qui porte la candidature à l’Unesco depuis dix ans. "On reste cependant loin de l’apogée", ajoute-t-il. Au XXe siècle, la région abritait près de 2.000 hectares de champs, contre une trentaine aujourd'hui pour une quinzaine d’exploitants situés entre les Alpes-Maritimes et le Var. La faute notamment à la délocalisation vers des pays producteurs moins onéreux et à une forte pression immobilière, très forte dans cette localité de la Côte-d’Azur. LES GRANDES MAISONS A L'AFFÛT Mais la tendance s’inverse quelque peu. Les terres argilo-calcaires et le micro-climat propices à la rose centifolia, l’iris, le jasmin ou la tubéreuse, demeurent au cœur de la composition de célèbres parfums. Alors que les coûts de production sont 10 fois plus élevés qu’en Tunisie ou au Maroc, les plus grandes maisons de luxe, tels Chanel et LVMH, sont à l’affût pour obtenir l’exclusivité des productions locales faites dans les règles de l’art. "Cela a commencé en 2005 et depuis le nombre de ces contrats est en constante augmentation", précise un cultivateur. "Depuis trois, quatre ans, on avait déjà le client, Dior, prêt à nous racheter toute notre récolte, mais pas le terrain", confirment Maurin Pisani et Anne Caluzio, deux trentenaires qui viennent non sans mal de trouver leur jardin d’Eden à Grasse. Sur un ancien champ de fleurs en friche depuis 40 ans, ils produiront à terme deux ou trois tonnes annuelles de jasmin bio pour la célèbre maison et "en vivront normalement", disent-ils. D’autres cultivateurs pourraient suivre leur exemple. Il y a quelques jours, en révisant son plan local d’urbanisme, la ville de Grasse a décidé de transformer 70 hectares de terres potentiellement urbanisables en zones agricoles afin de favoriser les installations, un phénomène que le classement onusien pourrait amplifier et pérenniser. Le dynamisme affiché de la filière est l’une des conséquences de la candidature, estime Jean-Pierre Leleux pour qui "elle a réactivé la fierté locale". L’entrée éventuelle dans le cercle fermé du patrimoine mondial devrait avoir un fort impact économique et touristique. "Ce serait très positif pour tous et cela pourrait participer à redynamiser le centre-ville de Grasse", dit Jessica Buchanan, parfumeuse indépendante depuis une dizaine d’années. Pour cette Canadienne d’origine, restée après un an de formation, les techniques d’extraction des fleurs et la qualité des matières premières n’ont pas d’équivalent dans le monde. TRANSMETTRE LES SAVOIR-FAIRE Ce qui n’empêche pas un danger de guetter la filière : l’oubli et la perte des savoir-faire au fil du temps, car les secrets des métiers se transmettent souvent sur le tas, de génération en génération, parfois oralement, au prix d’un long apprentissage. "Il faut protéger la transmission de cette expertise, éviter qu’elle se perde ou s’oublie", affirme-t-elle. "L’Unesco aiderait en ce sens". Plusieurs initiatives ont ainsi vu le jour pour que la filière résiste et perdure. Afin de pallier par exemple aux départs en retraite des greffeurs, souvent sans repreneurs, une pépinière durable et collective est ainsi en cours d’installation. Elle sera à disposition des agriculteurs pour garantir un approvisionnement en matières premières végétales. En plus des nombreuses formations déjà en place, l’enseignement et la recherche sont aussi privilégiés avec la volonté de créer une chaire Unesco en collaboration avec l’Université de Nice Sophia Antipolis. En bout de chaîne, du côté des industriels, transformateurs de fleurs locales mais aussi de toutes celles importées, on regarde d’un bon œil le retour des cultivateurs et les démarches entreprises. "Ça va dans le sens des consommateurs qui recherchent des produits développement durable, les plus naturels possibles", analyse Philippe Massé, président de Prodarom (syndicat national des fabricants de produits aromatiques). Un label "patrimoine mondial immatériel" dans la région bénéficierait sans doute indirectement à ces industriels bien implantés sur le territoire grassois avec, en 2017, environ 70 entreprises pour 5.500 salariés et 1,6 milliard d’euro de chiffres d’affaires (2,7 milliards en CA consolidé mondial) dont les trois quarts à l’export. Et des prévisions pour l’avenir tout aussi excellentes. "On a ici des produits exceptionnels", dit Philippe Massé. "Il faut continuer pour que nos agriculteurs soient dans la qualité. On a plus de problème à trouver des matières premières qu’à les utiliser." (Edité par Yves Clarisse)
REPORTAGE-Le parfum de Grasse espère la protection de l'Unesco
information fournie par Reuters 26/11/2018 à 13:07
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