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Que change la victoire de Trump à la régulation de la finance de l’ombre ou « shadow banking » ?
information fournie par The Conversation 13/11/2024 à 11:50

vue d'immeubles (Crédits: Unsplash - Matthew Henry)

vue d'immeubles (Crédits: Unsplash - Matthew Henry)

C'est un combat sous-terrain entre démocrates et républicains. Derrière l'élection présidentielle se pose la question de la régulation de la finance de l'ombre. Que va changer la victoire de Donald Trump et celle des républicains au Sénat ?

La bataille électorale entre Kamala Harris et Donald Trump est terminée. L'ancien président a battu l'ex-vice-présidente. Derrière la lutte pour le poste de président des États-Unis se déroulait, à l'arrière-plan, un affrontement bien moins visible et de plus long terme, à propos de la régulation (ou non) de la « finance de l'ombre », le système bancaire parallèle. La crise financière de 2008 avait donné un coup d'accélérateur à ces débats, qui ont depuis connu des hauts et des bas.

Le terme de « finance de l'ombre » (ou shadow banking en anglais) recouvre un ensemble d'institutions financières non bancaires qui fournissent légalement des services similaires à ceux des banques commerciales traditionnelles (c'est-à-dire qu'elles investissent des fonds de court terme provenant de divers investisseurs en actifs à échéances plus longues). La différence notable entre ces institutions et les banques traditionnelles réside dans le fait que les premières ne sont pas soumises aux réglementations bancaires classiques.

Par exemple, elles n'ont pas l'obligation de rendre compte de la valeur de leurs actifs. Raison pour laquelle, en 2007, des investisseurs ont commencé à douter de la valeur réelle de ces actifs, et ont massivement décidé de retirer leurs fonds. Pour rembourser les investisseurs, les acteurs du système bancaire parallèle ont dû vendre en masse ces actifs possédés aussi par certaines banques, ce qui a réduit leur valeur. C'est ainsi que le shadow banking a allumé la mèche de la crise financière globale.

Risque systémique

Cette crise de 2008 a entraîné des innovations institutionnelles, comme le Financial Stability Oversight Council (FSOC) aux États-Unis, un organe de régulation fédérale rassemblant les différents acteurs de la régulation des marchés financiers afin de surveiller le système financier dans son ensemble et de prévenir les risques systémiques. Le FSOC a le pouvoir de désigner des acteurs financiers non bancaires comme « systémiques » (ce qui signifie qu'ils ont le potentiel de déstabiliser le système financier dans son ensemble) et de leur imposer des mesures de régulation.

Mais des acteurs à risque échappent encore à la régulation, comme les hedge funds (fonds spéculatifs). Des efforts pour étendre la réglementation ont été portés en ce moment par une avant-garde de hauts fonctionnaires liés au parti démocrate, parmi lesquels Janet Yellen, la secrétaire au Trésor des États-Unis de Joe Biden (soit l'équivalent d'une ministre des Finances), et Gary Gensler, président de la US Securities and Exchange Commission (SEC ; l'équivalent de notre Autorité des marchés financiers).

Depuis leur prise de fonction en janvier 2021, ils ont plaidé sans relâche en faveur d'une surveillance et d'une réglementation accrues pour certaines des plus grandes institutions financières non bancaires. Ils se sont notamment appuyés sur la collecte de données pour estimer le risque systémique émanant de ces acteurs, mais aussi pour proposer des régulations du risque systémique. En particulier, dans le cas des fonds spéculatifs (hedge funds), qui opèrent avec un effet de levier de 1 :30 (ce qui signifie qu'ils utilisent leurs fonds pour emprunter jusqu'à 30 fois leur montant) un secteur dont la taille a augmenté depuis la crise de 2008, la réduction du risque passerait notamment par une réduction de ce levier. Autrement dit, ils ne pourraient plus emprunter un multiple aussi important.

Problèmes de temporalité

Cependant, face au système bancaire parallèle, ils rencontrent un double problème de temporalité. Premièrement, il faut des années pour adopter une quelconque forme de réglementation tandis que le marché se développe très rapidement. Un chiffre résume la vitesse exponentielle à laquelle croit le secteur bancaire parallèle : il est aujourd'hui deux fois plus important qu'il ne l'était au moment de la crise financière de 2008 ! Ainsi, les mesures prises risquent d'être appliquées à un marché plus profondément ancré et dont les pratiques auront évolué. Deuxièmement, les progrès en matière de régulation sont plus lents que les cycles électoraux. Comme je le montre dans mon livre le plus récent, l'administration Obama a fait avancer le dossier de la régulation du système bancaire parallèle aux États-Unis. L'arrivée de Donald Trump au pouvoir en 2016, avec d'ailleurs le soutien des fonds spéculatifs et d'autres acteurs des marchés financiers, il met en place un vaste agenda de dérégulation.

À leur prise de fonction, des personnes comme Janet Yellen ou Gary Gensler ont donc dû reprendre le projet là où il s'était arrêté en décembre 2016, en réinstallant par exemple un groupe de travail interagences sur les fonds spéculatifs. Pire, il a aussi fallu abroger les mesures de dérégulation prises par l'administration Trump, comme par exemple la nécessité de prouver de manière irréfutable le risque systémique posé par les acteurs non bancaires avant de pouvoir les réguler, une abrogation obtenue seulement en 2023.

Mesurer l'effet de levier

Ces hauts fonctionnaires démocrates ont tenté de dissiper l'ombre entourant le secteur bancaire parallèle en mesurant le niveau de levier financier des fonds spéculatifs et le montant de leurs investissements. Ils se sont aussi intéressés aux investissements d'autres acteurs sources d'instabilité financière (asset fund managers, money market mutual funds). Tous ces acteurs ont été scrutés par les régulateurs macroprudentiels et critiqués pour leur contribution récurrente aux instabilités financières depuis un certain temps, allégation qu'ils réfutent. L'un des exemples les plus récents et flagrants est l'instabilité financière de mars 2020, lorsque la crise du Covid-19 les a pris par surprise, causant des ventes massives et imprévues : il y avait là tous les marqueurs d'une crise de liquidités systémique similaire à la crise financière mondiale de 2008.

Cette envie soudaine de tous les acteurs des marchés financiers de transformer leurs actifs en cash (“Dash for Cash”) n'a pu être satisfaite que par l'injection massive de liquidités par les Banques centrales. Cet épisode a aussi motivé Gary Gensler à se lancer dans une opération de régulation à grande échelle. Mais l'ambition de cet agenda a provoqué un violent retour de bâton de la part des républicains et de l'industrie financière. Plusieurs observateurs y ont vu aussi une course contre la montre, les mois avant la prochaine élection présidentielle étant alors comptés.

Coup de théâtre judiciaire

Un revers supplémentaire a surgi il y a quelques mois, judiciaire cette fois. Le 5 juin 2024, une cour d'appel des États-Unis a jugé que la SEC avait outrepassé son autorité en exigeant des fonds spéculatifs de fournir davantage de données, en particulier sur le levier financier. Les juges ont considéré que la justification avancée par la SEC, à savoir une loi de protection des investisseurs, ne s'appliquait pas aux fonds privés – et que les investisseurs des fonds spéculatifs étaient de toute manière assez avisés et n'avaient pas besoin de ce type de protection.

Ce jugement révèle les limites du mandat des régulateurs américains en matière de limitation du risque systémique. Une grande partie du programme de régulation a donc été invalidée pour le moment. Il est intéressant de noter que la Cour d'appel fédérale du 5e circuit, basée à La Nouvelle-Orléans, qui a rendu ce jugement, est dominée par des juges à tendance républicaine (19 de ses 26 ont été nommés par des présidents républicains, dont 6 par Trump), et qu'elle est parfois considérée comme la plus conservative des cours d'appel des États-Unis. Les trois juges impliqués dans la décision étaient des juges nommés par des républicains.

Par conséquent, la victoire de Trump et celle des républicains au Sénat font que les hauts fonctionnaires voulant réguler les activités financières seront contraints dans leur volonté. Dans le nouveau contexte politique des États-Unis, on peut prévoir sans trop de risques que tous les progrès observés ces dernières années en faveur d'une régulation du secteur bancaire parallèle seront probablement détruits et toute future initiative devra repartir de ce qui aura été dérégulé. Il faudra faire confiance à la sagesse des marchés…

Matthias Thiemann
Full Professor of European Public Policy, Sciences Po (regulation financière), Sciences Po


Cet article est issu du site The Conversation

3 commentaires

  • 14 novembre 18:10

    Qui de mieux pour parler de régulation que quelqu'un qui vit et jouit de la régulation ? Il serait plutôt temps de se débarrasser de la FED et/ou de la BCE qui ne stabilisent rien du tout au final.

    Et puis la réussite des régulateurs c'est la France et l'UE. Magnifique projet de marasme continu et de "croissance durable" sans innovation à coup de torpillage de tout type de production (agricole ou industrielle). Le monde entier apprécie ces modèles.


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