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Le dollar américain traverse en 2025 l'une de ses plus fortes vagues de dépréciation depuis plus d'une décennie. Longtemps considéré comme une valeur refuge incontournable, le billet vert a cédé du terrain face à l'ensemble des grandes devises mondiales, du yen à l'euro en passant par la livre sterling.
Cette perte d'altitude n'est pas le fruit du hasard. Elle s'explique par une conjonction de facteurs : tensions commerciales exacerbées par la politique tarifaire de l'administration Trump, attaques répétées contre l'indépendance de la Réserve fédérale, déséquilibres budgétaires et mouvements massifs de capitaux sur les marchés.
À travers une analyse des événements récents, des comportements spéculatifs observés sur le marché des changes et des perspectives économiques, cet article propose d'explorer les origines profondes de l'affaiblissement du dollar, ses implications sur les marchés financiers, ainsi que les scénarios possibles pour les prochains mois.
Un mouvement de dépréciation sans précédent
Depuis le début de l'année 2025, le dollar américain enchaîne les revers face aux principales devises mondiales. L'indice du dollar, connu sous le nom de DXY, mesure la valeur du billet vert par rapport à un panier pondéré de six devises majeures : l'euro (qui représente près de 58% de l'indice), le yen japonais, la livre sterling, le dollar canadien, la couronne suédoise et le franc suisse.
En quelques mois seulement, le DXY a plongé de près de 9%, atteignant ses niveaux les plus bas depuis trois ans, un signal clair de perte de puissance du dollar sur la scène internationale.
Cette tendance ne se limite pas à l'euro ou à la livre sterling : le yen japonais, le franc suisse enregistrent des gains significatifs face au dollar américain. Cette dynamique est visible dans la performance relative des principales paires de devises depuis janvier, comme l'illustre le graphique ci-dessous.

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Depuis début 2025, l'euro a enregistré un gain de plus de 10% face au dollar, tandis que la livre sterling progresse de près de 8%. Cette dynamique s'est brutalement amplifiée à partir du 2 avril, date d'annonce de nouveaux droits de douane par l'administration Trump. Dans le même temps, le yen japonais et le franc suisse, traditionnelles devises refuges, ont vu leur valeur s'apprécier de plus de 9% face au billet vert. Ce décrochage simultané face à plusieurs grandes monnaies souligne l'ampleur de la perte de confiance des marchés envers les perspectives économiques américaines.
Les causes profondes de la chute du dollar
- L'instabilité politique et économique américaine
Au printemps 2025, la relation déjà tendue entre l'administration Trump et la Réserve fédérale américaine a franchi un nouveau cap. Multipliant les attaques publiques contre Jerôme Powell, président de la Fed, Donald Trump a mis ouvertement en cause l'indépendance de l'institution monétaire.

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À plusieurs reprises, le président américain a réclamé une baisse immédiate des taux d'intérêt et a menacé de révoquer Powell, malgré les protections statutaires dont bénéficie ce dernier. Cette pression politique a semé le doute parmi les investisseurs quant à la capacité de la Fed à agir librement pour maintenir la stabilité économique.
Comme l'a rapporté Reuters, le dollar a lourdement chuté à la suite de ces déclarations, atteignant son plus bas niveau en trois ans face à un panier de devises. La perte de crédibilité perçue de la Fed a renforcé l'idée d'une gouvernance américaine moins fiable, précipitant le désengagement des capitaux étrangers et accélérant la dépréciation du billet vert.
Le rôle central de la Réserve fédérale ne se limite pas à la stabilité de l'économie intérieure : il est également crucial pour le statut international du dollar. En effet, les décisions de politique monétaire, notamment en matière de taux d'intérêt, influencent directement l'attractivité des actifs américains pour les investisseurs mondiaux.
Des taux d'intérêt élevés offrent aux investisseurs un rendement plus attractif sur les obligations d'État américaines, en particulier sur les bons du Trésor, considérés comme parmi les plus sûrs au monde. Cette rémunération supérieure incite les capitaux étrangers à se diriger vers les actifs libellés en dollars, augmentant mécaniquement la demande pour la devise américaine sur les marchés mondiaux.
À l'inverse, lorsque la Fed adopte une politique de taux bas ou lorsque son indépendance est remise en question – laissant craindre une inflation incontrôlée – l'attractivité relative du dollar diminue. Les investisseurs sont alors poussés à chercher de meilleurs rendements et davantage de stabilité ailleurs, que ce soit en Europe, au Japon ou dans certaines économies émergentes.
Ce déplacement des flux financiers affaiblit la valeur du dollar sur le marché des changes et remet en cause son rôle dominant dans les transactions internationales et les réserves de change mondiales. Dès lors, toute atteinte à l'indépendance de la Fed fragilise la crédibilité du dollar comme monnaie de réserve mondiale, augmentant le risque de fuite des capitaux et de dépréciation durable.
- La stratégie commerciale agressive
La politique commerciale américaine menée en 2025 a constitué un second facteur majeur d'affaiblissement du dollar. En imposant début avril de nouveaux droits de douane massifs, notamment à l'égard de la Chine et de plusieurs partenaires stratégiques, l'administration Trump a ravivé les tensions commerciales mondiales.
Ces mesures protectionnistes ont non seulement fait craindre un ralentissement brutal du commerce international, mais aussi amplifié les risques d'une récession économique aux États-Unis. Par récession économique, on entend une période de recul généralisé de l'activité, marquée par une baisse du produit intérieur brut (PIB) pendant au moins deux trimestres consécutifs, souvent accompagnée d'une hausse du chômage et d'une chute de la consommation.
Les investisseurs, anticipant une baisse de la demande mondiale et une dégradation des perspectives de croissance américaine, se sont détournés des actifs libellés en dollars, accentuant la dépréciation de la devise.
Selon une analyse récente de Deutsche Bank, les effets de ces tensions ne devraient pas se limiter à un ajustement temporaire. La banque prévoit une faiblesse prolongée du dollar dans les mois à venir, alimentée par la détérioration du déficit commercial américain, la perte d'attractivité relative des actifs américains, et une remise en cause croissante du leadership économique des États-Unis sur la scène mondiale.
- Le retournement de la spéculation mondiale
Le retournement de la spéculation sur le marché des changes a également renforcé la tendance baissière du dollar. Le Commitment of Traders (COT) est un rapport hebdomadaire publié par la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), qui détaille les positions des principaux acteurs sur les marchés à terme, notamment les fonds spéculatifs. L'analyse de ces données révèle un changement majeur d'orientation parmi les investisseurs institutionnels et les fonds spéculatifs au cours des derniers mois.
Alors qu'au début de l'année 2025, ces acteurs étaient massivement positionnés à la baisse sur l'euro face au dollar, la situation s'est complètement inversée. Les données les plus récentes montrent que les positions longues (acheteuses) sur l'EURUSD ont dépassé les positions vendeuses, traduisant une anticipation nette d'un affaiblissement prolongé du billet vert.

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Ce mouvement est d'autant plus significatif qu'il intervient alors que les fondamentaux économiques américains se dégradent et que la crédibilité de la politique monétaire est remise en cause. Les spéculateurs, traditionnellement en avance sur les tendances de marché, semblent ainsi parier sur une poursuite de la baisse du dollar dans les mois à venir, confirmant que la dynamique actuelle dépasse le simple effet d'annonce pour s'ancrer dans une évolution de fond.
Face à ce changement d'anticipation des marchés et à la remise en cause de la stabilité économique américaine, les conséquences sur l'économie mondiale et sur les flux financiers internationaux ne se sont pas fait attendre.
Conséquences et répercussions mondiales
- Gagnants et perdants
La dépréciation du dollar américain en 2025 ne pèse pas uniformément sur l'ensemble des économies. Les pays émergents, longtemps vulnérables aux chocs liés au billet vert, apparaissent aujourd'hui bien mieux préparés. En 2024 selon la Banque mondiale, seulement 28% de la dette totale des pays émergents était libellée en dollars, contre plus de 40% dans les années 2000.
Ces pays bénéficient même parfois de la baisse du dollar. En effet à la suite de la baisse des taux d'intérêt mondiaux de nombreux pays émergents voient leur charge de dette extérieure s'alléger, renforçant leur résilience face aux chocs financiers. Des devises comme Le real brésilien et le rand sud-africain offrent des rendements nominaux élevés respectivement 10,50% et 8,25% contre 4,75% pour le dollar américain, attirant mécaniquement les flux d'investissement à la recherche de rendement.
Parallèlement, les devises historiquement considérées comme des valeurs refuge ont profité de la réorientation des flux. L'euro a gagné plus de 10% face au dollar depuis le début de l'année, soutenu par la relance budgétaire allemande et une croissance mieux orientée que prévu. Ce rebond repose sur un plan de relance de 100 milliards d'euros adopté par l'Allemagne.
Ce plan axé sur des investissements dans les infrastructures énergétiques pour la transition verte, un soutien à la consommation via des réductions fiscales et une aide aux PME touchées par la baisse de la demande extérieure a contribué à renforcer l'euro face au dollar.
Le franc suisse conserve un statut particulier de valeur refuge, historiquement lié à l'or. La Banque nationale suisse (BNS) détient environ 1.040 tonnes d'or dans ses réserves officielles, ce qui renforce la perception de solidité financière en période d'incertitude mondiale.
Cette image a été encore renforcée début 2025 par la flambée du prix de l'or, qui a progressé de plus de 12% pour atteindre 3.000 dollars l'once, illustrant la recherche accrue de protection par les investisseurs face aux risques politiques et économiques.

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Enfin, la livre sterling, tout en conservant une volatilité propre au contexte post-Brexit, a aussi bénéficié de la faiblesse du dollar et de son statut de devise secondaire stable.
- Le rôle clé des taux d'intérêt dans l'affaiblissement du dollar
La dynamique récente du dollar ne peut être comprise sans évoquer le rôle central des taux d'intérêt. Un taux d'intérêt élevé dans un pays attire les capitaux étrangers, car il offre un meilleur rendement aux investisseurs. C'est notamment pour cette raison que, ces dernières années, les États-Unis ont bénéficié de flux massifs de capitaux grâce à des taux plus élevés que ceux de l'Europe ou du Japon.
La pression politique ajoute à la confusion : Donald Trump exige publiquement que la Fed baisse agressivement ses taux afin de stimuler l'économie et de compenser les effets négatifs de sa politique commerciale. Toutefois, Jerome Powell défend l'indépendance de la Fed et refuse, pour l'instant, de céder à ces injonctions, craignant que des baisses trop rapides ne fassent flamber l'inflation ou n'affaiblissent davantage la crédibilité du dollar.
Cette incertitude sur la trajectoire future des taux américains a poussé de nombreux investisseurs à réallouer leurs portefeuilles : au lieu d'acheter des actifs en dollars, ils privilégient désormais des marchés offrant une stabilité ou une rémunération plus prévisible, comme la zone euro, le franc suisse ou certains marchés émergents.
À moyen terme, un tel mouvement pourrait poser un problème plus structurel : le risque d'une dédollarisation progressive. Si les flux internationaux se détournent durablement du dollar, la demande mondiale pour la devise américaine pourrait reculer, menaçant son rôle historique de monnaie de réserve. Toutefois, ce processus, souvent évoqué, reste encore très progressif : selon le FMI, le dollar représente toujours environ 58% des réserves de change mondiales en 2025, contre 70% il y a vingt ans. Il s'agit donc plus d'un affaiblissement relatif que d'un effondrement immédiat du rôle du dollar.
Conclusion
L'affaiblissement du dollar observé en 2025 marque un tournant significatif mais non définitif. Malgré les tensions économiques et politiques internes, le billet vert conserve à court terme son rôle central dans le système financier mondial, soutenu par l'inertie des flux internationaux et l'absence d'alternative pleinement crédible.
Cependant, les déséquilibres structurels accumulés — qu'ils soient commerciaux, budgétaires ou politiques — exposent le dollar à un risque croissant d'érosion de son statut privilégié. Si la trajectoire actuelle venait à se prolonger, la domination du dollar pourrait progressivement céder du terrain au profit d'un ordre monétaire plus fragmenté.
La question n'est donc pas tant celle d'un effondrement brutal que celle, plus insidieuse, d'un affaiblissement lent mais durable : pour combien de temps encore le dollar restera-t-il la pierre angulaire de la finance mondiale ?
Réalisé par Hugo Jouan avec l'aide de Marc Dagher
Article initialement publié sur DT Expert
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