
Depuis sa chute d'août 2015, l'action Latécoère est injustement boudée par les investisseurs explique Jérôme Lieury, qui revient en détails sur le parcours de cette valeur du compartiment C.
Les marchés boursiers ont de la mémoire, dit-on, et les valeurs qui ont déçus peuvent rester délaissées longtemps. Tellement longtemps qu'on finit par les oublier. Ce qui est le contraire d'avoir de la mémoire, finalement. Et tend aussi à prouver que cette fameuse mémoire des marchés n'est qu'un lieu commun de plus, au même titre que : "le marché a toujours raison", ou "sell in May and go away", ou encore : "le rendement des emprunts d'Etat est le taux sans risque", qui est peut-être la plus belle baliverne des théories financières (surtout depuis la crise grecque).
Bref, que le marché ait de la mémoire, ou qu'il ait oublié totalement une valeur revient au même finalement : quand un titre est aux oubliettes , c'est à la fois parce qu'on ne s'en souvient que trop bien, et qu'on ne veut plus en entendre parler.
C'est apparemment le cas de Latécoère , qui a été longtemps une "darling" chez les investisseurs, et qui est maintenant un non-sujet . Ce pour avoir beaucoup déçu, il est vrai, avec des résultats peu lisibles ces dernières années, et un problème de bilan , c'est-à-dire un endettement bien trop élevé. Problème qui a été réglé in fine par l'arrivée de nouveaux actionnaires , et une recapitalisation très dilutive pour les actionnaires historiques en septembre 2015.
Latécoère est bel et bien aux oubliettes : deux faits nouveaux , et intéressant a priori dans ce dossier, n'ont suscité aucune réaction de la part des investisseurs, qui ont décidé pour le moment de ne rien voir, et de ne rien entendre :
a) Tout d'abord, un signal chartiste fort , avec le quasi-croissement ces derniers jours sur le graphique de cours des moyennes mobiles 50 jours et 200 jours. Une figure de retournement en principe, d'autant plus intéressante à observer que les dites moyennes mobiles se sont croisées pour la dernière fois juste avant la chute provoquée par l'augmentation de capital, très conséquente il est vrai, de l'automne dernier :

Evolution du cours de bourse de Latécoère au cours des deux dernières années, avec tracement des moyennes mobiles à 50 et 200 jours. Graphique : Boursorama.
b) Ensuite, un communiqué de la société publié le 7 juin sur son projet Transformation 2020 , un communiqué qu'on espérait depuis longtemps en fait, mais qui a nonobstant laissé les investisseurs de marbre. Le projet prévoit rien moins qu'une refonte de l'outil de production du groupe, avec notamment la ré-internalisation de l'usinage de pièces élémentaires (une mauvaise nouvelle pour la nouvelle darling du secteur : Figeac Aéro ?), et, surtout, l'annonce de la cession éventuelle de la branche ingénierie/outillages . Soit un vrai recentrage sur le cœur de métier : la fabrication d'éléments de fuselages et de faisceaux électriques pour les avions. Et une simplification vraisemblablement bien venue pour la nouvelle direction, qui œuvre depuis deux ans pour donner, ou redonner, à Latécoère toute son efficience industrielle .
Ce qui devrait lui permettre de tirer, enfin!, le meilleur parti de son marché : l'aéronautique civile, qui est, faut-il le rappeler, un des marchés mondiaux les plus porteurs de la décennie, et éventuellement de la décennie suivante. Un marché qui semble avoir quoiqu'il arrive le vent en poupe avec i) la croissance continue du transport aérien, ii) des compagnies à nouveau rentables (même Air France) avec le retour du pétrole à un niveau raisonnable, et, iii) un besoin de renouvellement /rajeunissement des flottes, qui doivent aussi être toujours moins chères à exploiter.
De fait, même si Airbus , de loin le premier client (mais la société travaille aussi pour Boeing, et pour Embraer), n'émet pas que des signaux positifs en ce moment, les carnets de commandes des avionneurs sont tellement pleins que Latécoère, fournisseur de premier rang, a de l'activité assurée pour ces quatre prochaines années.
De l'activité qui devrait être de plus en plus rentable par ailleurs, avec une meilleure maîtrise des processus de production, le résultat d'une première réorganisation : le plan Boost, lancé il y a deux ans. Ce qui n'était pas du luxe apparemment, puisque les problèmes semblaient s'être accumulés aussi dans ce domaine ces dernières années.
Ce potentiel d'amélioration est significatif en principe, qui plus est, si l'on songe que Latécoère a dégagé ces dernières années une marge opérationnelle de 5 à 6%, alors que son concurrent le plus comparable, Spirit AeroSystems , dont le premier client est Boeing (mais qui travaille aussi pour Airbus, avec des usines en France) fait bien mieux avec une marge de l'ordre de 11%, et que la star absolue du secteur, Figeac Aero , plane à plus de 15%.
Bref : de bonnes nouvelles à venir et autant de leviers de revalorisation éventuels qui expliquent vraisemblablement pourquoi ces deux fonds d'investissements américains, Apollo et Monarch, pour ne pas les nommer, sont venus l'année dernière à la rescousse de Latécoère, en reprenant au préalable sa dette aux banques pour la transformer en actions. Des investisseurs de long terme a priori, ce qui n'est pas toujours le cas des fonds, et qui ont d'autant plus le temps d'attendre , et d'attendre la sortie des oubliettes que Latécoère est pour le moment une affaire à très faible risque , avec un ratio d'endettement ramené de 277% à 16% fin 2015. Et un solide matelas de liquidité en caisse, ce qui ne gâte rien. Des considérations qui valent aussi pour les actionnaires du flottant, s'il en reste.
Jérôme Lieury pour le Cercle des Analystes Indépendants.
Le Cercle des analystes indépendants est une association constituée entre une douzaine de bureaux indépendants à l'initiative de Valquant, la société d’analyse financière présidée par Eric Galiègue, pour promouvoir l'analyse indépendante.
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