Wall Street a vivement réagi à la hausse, mercredi, après l'annonce par Donald Trump sur son réseau social d'un moratoire de 90 jours sur les tarifs douaniers réciproques, sauf pour la Chine. Pour ce pays, les produits seront taxés par les Etats-Unis à hauteur de 145%, a annoncé le président américain jeudi, ce qui a fait repartir le marché américain à la baisse. Mais cela ne change pas réellement la donne sur l'augmentation moyenne des droits de douane américains.
Le président américain montre clairement que la Chine est sa cible principale, comme si cela était encore nécessaire. Mais les exportations de tous les pays vers les Etats-Unis sont pénalisées depuis samedi 5 avril. "Ils vont tous être soumis à la taxe supplémentaire de 10% et les tarifs spécifiques appliqués à des secteurs comme l'automobile restent en place", rappelle Alexandre Hezez, stratégiste chez Banque Richelieu. C'est le cas des 25% appliqués à l'acier et à l'aluminium ainsi qu'au secteur automobile. L'administration avait annoncé des tarifs sur le cuivre à hauteur également de 25%, mais ils ne sont pas encore entrés en vigueur, en attendant de prochains "tariffs" sur les produits pharmaceutiques, les semi-conducteurs et le bois, qui sont pour le moment exemptés.
De même, la moitié des produits importés par les Etats-Unis du Mexique et du Canada, deux partenaires commerciaux majeurs avec lesquels il existe un traité de libre-échange (l'USMCA, qui doit être renégocié en 2026), ont également obtenu un délai supplémentaire. La taxe était également de 25%.
+ Taxes douanières au plus haut depuis près de cent ans +
Au bout du compte, le moratoire ne change qu'à la marge le niveau du tarif moyen (ex-ante) annoncé par la Maison-Blanche sur les produits importés. "Le réalignement des tarifs réciproques à 10%, sauf pour la Chine, fait passer le tarif moyen de 26% à 23%", souligne Mabrouk Chetouane, responsable de la stratégie chez Natixis IM. Les économistes de Goldman Sachs estiment que ça ajoute 15 points aux tarifs douaniers pratiqués auparavant par les Etats-Unis. Cela reste la plus forte progression des droits de douane américains depuis plusieurs décennies.
"Nous estimons que, s'ils étaient pleinement mis en ouvre, les droits de douane annoncés depuis début février, ainsi que les droits de douane supplémentaires sur les produits qui devraient être annoncés prochainement, porteraient ensemble le taux tarifaire moyen effectif sur les importations américaines à des niveaux supérieurs à ceux des années 1930. Et même si certains droits de douane étaient réduits, il est très probable que le taux global demeurera considérablement plus élevé que tout ce qui a été observé depuis des décennies", observe Tiffany Wilding, économiste chez Pimco.
Cette dernière anticipe une récession et une hausse de l'inflation à court terme aux Etats-Unis. "Même si le sursis de 90 jours se prolonge, nous pensons toujours que les risques de récession aux Etats-Unis sont de 50/50", écrit-elle dans une note. Des droits de douane plus élevés sur les importations américaines augmentent les coûts pour les consommateurs et les entreprises du pays et réduisent le revenu disponible réel et les marges bénéficiaires. Surtout en cas de mesures de rétorsion qui freineraient encore davantage les exportations des Etats-Unis.
+ Une volatilité persistante +
"Tout n'est pas réglé et l'impact sur le cycle économique ne sera de toute façon pas négligeable, ajoute François Rimeu, stratégiste senior chez Crédit Mutuel AM. Une hausse de 10% des droits de douane est déjà significative et aura des répercussions négatives." Il rappelle qu'empiriquement, une hausse de 1% de droits de douane se traduit par une augmentation de 0,1% de l'inflation et une baisse de 0,1% de la croissance. "Les 90 jours à venir seront probablement encore marqués par des annonces contradictoires, des discours agressifs et, par conséquent, une volatilité persistante", anticipe le stratégiste.
Mais pour d'autres, si le choc des tarifs douaniers est sévère, le risque de récession s'éloigne avec cette possibilité de négociations et de droits de douane plus faibles. "Désormais le scénario central redevient celui du 'soft landing' et non plus de la récession", relève Alexandre Hezez. Le moratoire de 90 jours va encore stimuler les échanges commerciaux, comme au premier trimestre, dans l'anticipation des droits de douane qui entreraient en vigueur début juillet.
Michel Martinez, chef économiste Europe chez Société Générale CIB, estime que le commerce mondial, qui a été dynamique au premier trimestre, devrait le rester au deuxième après l'annonce du moratoire de 90 jours, avant de nettement ralentir. "Il va certes y avoir une récession du commerce mondial mais pas de l'économie", affirme-t-il. Il estime à un peu moins de 1 point l'impact des tarifs douaniers sur la croissance américaine, mais sans grande différence avec ce qu'il attendait avant l'annonce du moratoire, et ne prévoit pas que l'économie américaine bascule en récession, même s'il n'exclut pas une récession technique. L'économiste de SG CIB anticipait une croissance de 2% pour 2025 avant l'annonce de la hausse des tarifs douaniers.
+ Anticipations d'inflation sous-estimées +
L'impact sur l'inflation américaine serait également de 1 point, portant celle-ci à 4%. "Les anticipations d'inflation sur le marché des swaps sous-évaluent ce risque", relève Michel Martinez. Et ce, même si celles-ci ont fortement progressé ces dernières semaines. "Le marché ne semble pas croire à la pérennité des tarifs", juge-t-il. L'économiste estime par ailleurs l'impact sur la croissance européenne à 0,5 point de croissance, ramenant celle-ci à 0,5-0,8% comme lors des trois dernières années, avec une inflation à 1,6%, également sous-estimée par les anticipations de marché.
L'escalade tarifaire avec la Chine pénalisera en outre la croissance chinoise. Michel Martinez anticipe une baisse de 50% à 80% des échanges avec les Etats-Unis. Mais il estime, contrairement à d'autres économistes, que l'impact de droits de douane à 60% ou à 125% est marginalement identique car l'essentiel des effets macroéconomiques se fait déjà sentir avec des taxes à 60%. Pékin pourrait soutenir sa croissance avec un vaste plan de relance de 2%-3% du PIB centré sur la consommation, selon SG CIB.
Goldman Sachs, pour sa part, est revenu à sa prévision initiale d'une croissance de 0,5% au quatrième trimestre cette année sur un an pour les Etats-Unis et une probabilité de récession de 45%, quelques heures après avoir revu en baisse ses prévisions dans le sillage de la nouvelle riposte de la Chine. "Notre hypothèse de travail est désormais que, intimidé par la réaction du marché, Trump prolongera à plusieurs reprises la 'pause', ce qui finira par ressembler fortement au tarif universel de 10% préconisé lors de sa campagne. En contrepartie, les autres pays offriront des concessions mineures sur leurs propres tarifs et pratiques commerciales", jugent les économistes de Capital Economics. Ils pensent qu'in fine, les tarifs pour la Chine passeront à 60%.
"Un calcul rapide suggère que le taux de droit effectif global des Etats-Unis augmenterait d'environ 16 points de pourcentage, poursuivent-ils. Cela signifie que, compte tenu également de l'effet déflationniste dû à la baisse des prix du pétrole, l'inflation américaine culminera désormais à environ 4 %. La croissance du PIB américain devrait être de 1% à 1,5% en rythme annualisé au cours des quatre prochains trimestres."
-Xavier Diaz, L'Agefi, ed: JDO
Agefi-Dow Jones The financial newswire
0 commentaire
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer