
(Crédits photo : Federal Reserve - )
Pour la 1ère fois depuis 2018, la Réserve fédérale américaine a procédé la semaine dernière à une hausse de son taux directeur. Faut-il désormais craindre une récession ?
La fin de l'argent gratuit
La Réserve fédérale américaine (Fed) a relevé son taux directeur à 0,25 %-0,5 %, sa première hausse depuis 2018. « Les responsables de la Fed prévoient désormais sept hausses de taux cette année, portant le taux des fonds fédéraux à 1,9 %, et quatre hausses l'an prochain, à 2,8 % », indique AXA Investment Managers. Dans le sillage de la BCE la semaine précédente, la Fed, de même que la banque centrale d'Angleterre, ont donc maintenu leur trajectoire de normalisation de leur politique monétaire en augmentant chacune leur taux directeur de 25 bp. « Les deux banques centrales témoignent de leurs craintes quant à l'impact négatif de la guerre en Ukraine sur leurs perspectives de croissance, tout en exposant l'économie à davantage de pressions inflationnistes liées aux prix des matières premières et aux tensions sur les chaînes d'approvisionnement », explique Edmond de Rothschild Asset Management.
Aux Etats-Unis, l'argent gratuit, c'est donc fini. Et le robinet de liquidités se referme peu à peu. Selon Clément Inbona de La Financière de l'Echiquier, on peut raisonnablement envisager qu'en plus d'augmenter progressivement ses taux directeurs, la Fed s'attaque dans les mois à venir à la réduction de son bilan. « Elle se délestera progressivement des créances acquises afin de maintenir des conditions de financement extrêmement favorables à l'Etat américain ainsi qu'aux entreprises durant la crise sanitaire », estime le gérant.
Une hausse des taux qui n'émeut pas les marchés
Cette remontée des taux n'est pas réellement une surprise et reste conforme aux attentes. Comme précisé par la société Dorval Asset Management, « seul un des membres de la Fed a déclaré préférer une hausse de 50 points de base, démarche qui aurait été probablement plus populaire sans la guerre en Ukraine ».
Avec la surchauffe inflationniste qui prévaut depuis l'an dernier, la hausse de 25 points de base du principal taux directeur de la Réserve fédérale est un minimum syndical qui n'a pris personne de court. « Alors, certes, le jeûne imposé par la Fed est finalement moins important qu'imaginé il y a encore quelques semaines. Mais, fondamentalement, la perspective d'un régime sec de longue durée n'est traditionnellement pas de nature à soulever l'enthousiasme des investisseurs. Et pourtant, la décision est passée comme une lettre à la poste », remarque Fidelity International.
D'après les experts de la société, l'annonce aurait dans d'autres circonstances donné lieu à des « scènes d'hystérie avec force de cris et de capilotractions, comme dans un film catastrophe ». Il n'en fut finalement rien. Les marchés sont restés « stoïques comme des ruminants regardant passer la locomotive ». Ils ont donc plutôt bien réagi à ce virage davantage hawkish. « La Fed semble avoir pris la mesure de l'inflation et ses anticipations de hausse des taux sont désormais en phase avec les attentes du marché qui jugeait, jusqu'à présent, que la Fed était "derrière la courbe " », analyse Thomas Giudici, co-Responsable de la gestion obligataire chez Auris Gestion.
En revanche, ce-dernier pointe l'existence de doutes sur les prévisions de croissance, que certains jugent optimistes…
Peut-on échapper à la récession ?
Dans un discours prononcé mardi 22 mars, le président de la Fed suggère qu'il faut désormais envisager des pas de 50 pdb de hausse des Fed Funds. Christophe Morel, Chef économiste chez Groupama AM, rapporte que Jerome Powell a pris soin de répondre à une critique en reconnaissant que le durcissement monétaire s'est souvent terminé par une récession, ce qui est d'ailleurs l'issue cyclique presque "normale". « Cependant, il rappelle que les cycles de hausses de 1964-65, 1983-84 et 1994-95 n'ont pas non plus conduit à une récession », précise Christophe Morel.
Pour Allison Boxer, économiste US chez PIMCO, l'inflation l'a emporté sur l'incertitude. Les préoccupations relatives aux anticipations inflationnistes continueront de peser davantage pour les responsables de la Fed que les risques de baisse de la croissance au cours des prochains mois. Elle considère que « ce rythme de resserrement augmente le risque d'un atterrissage brutal à plus long terme et suggère un risque plus élevé de récession au cours des deux prochaines années ». Pire encore selon ECOFI, ces objectifs de remontée agressive des taux d'intérêt semblent « incompatibles » avec les objectifs de croissance et d'emploi évoqués par la Fed sur le long terme. « D'ailleurs, la tendance à l'inversion de la courbe des taux (mesurée par l'écart entre le taux à 10 ans et celui à 2 ans) tend à renforcer implicitement la probabilité d'une récession dans les 12 mois », considère son Directeur de la gestion Olivier Guillou.
Entre ralentissement économique et poussée inflationniste, l'Amérique hésite mais la Fed a donc choisi son camp. Un atterrissage en douceur est-il cependant possible ? Le chemin est étroit juge Wilfrid Galand. Le Directeur stratégiste de Montpensier Finance évoque 3 conditions pour parvenir à ce scénario. D'abord, le retour à la normale des chaînes de valeurs après les perturbations liées au Covid et à la guerre en Ukraine. La deuxième condition dépend de la Chine et de la relance de son économie, indispensable pour relancer la dynamique mondiale. La troisième et dernière condition est de limiter au maximum l'ampleur de la restriction fiscale potentielle aux Etats-Unis. « Si toutes ces conditions n'étaient pas rapidement réunies, il reste à espérer que la Fed ajuste rapidement son approche et fasse preuve de prudence et d'agilité. La bonne santé de l'économie mondiale et des marchés est à ce prix… »
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