* Un Sisyphe de la lutte contre la corruption et la fraude * Des progrès mais des "trous" substantiels "dans la raquette" * Van Ruymbeke souhaite que les Etats complices soient mis au pas par Emmanuel Jarry et Gabrielle Tétrault-Farber PARIS, 24 juillet (Reuters) - A la retraite depuis près d'un mois, Renaud Van Ruymbeke n'en a pas fini avec l'argent sale contre lequel il bataille depuis qu'il a lancé avec six autres juges européens, en 1996 à Genève, un appel à une meilleure coopération contre la corruption. Aujourd'hui, à bientôt 67 ans, il fait profiter ses collègues de Bosnie de l'expérience acquise au fil de dizaines de dossiers de délinquance financière instruits au cours des trois dernières décennies, particulièrement depuis qu'il a rejoint le pôle financier du tribunal de Paris en 2000. Des dossiers où apparaissent de grands escrocs notoires mais aussi l'ancien trader de la Société Générale Jérôme Kerviel, l'ex-patron de la Fédération internationale d'athlétisme Lamine Diack ou l'ex-"M. Jeux Olympiques" japonais Tsunekazu Takeda. Sans parler de la brochette d'hommes politiques épinglés dans des dossiers très médiatiques, comme les anciens ministres socialistes Jérôme Cahuzac et Henri Emmanuelli, l'ex-président Nicolas Sarkozy ou le maire de Levallois-Perret Patrick Balkany. "C'est une mission pour aider les procureurs de Bosnie à démanteler des réseaux off shore complexes", explique-t-il à Reuters dans un café parisien, entre un séjour à la montagne et un retour à sa base arrière de prédilection, la Bretagne. "Comme j'ai fait ça pendant 20 ans, après avoir commis de nombreuses erreurs, l'idée c'est de les aider à faire avancer leurs enquêtes par la compréhension des mécanismes en place." Il y a passé récemment une semaine pour le compte de l'Europe, doit y revenir cet automne et envisage de poursuivre cette mission pendant deux ou trois ans "à temps très partiel". "FONDAMENTALEMENT, ÇA N'A PAS CHANGÉ" Pour Renaud Van Ruymbeke, tout ou presque reste à faire en matière de lutte contre l'argent sale, malgré "une prise de conscience" depuis le début des années 2000 et d'incontestables progrès en matière de coopération, notamment en Europe. "L'argent sale existe toujours dans les mêmes proportions", dit-il. "Oui, il y a une amélioration de la coopération. Mais il y a des trous dans la raquette. Et tant qu'il y aura des trous dans la raquette, les plus malins, les plus gros passeront à travers. Fondamentalement, ça n'a pas changé." "Quand vous corrompez un dictateur pour avoir un marché, c'est anti-libéral. Le vrai libéralisme, c'est la loi du marché", ajoute-t-il. "Là on fausse les règles, on accepte sur notre planète qu'il y ait des gens qui jouent le hors jeu systématiquement (...) La justice est impuissante à ce niveau-là, elle l'est autant qu'en 2000, même s'il y a du mieux." Plus la lutte contre la fraude et le blanchiment s'organise, plus les fraudeurs font appel à des réseaux complexes d'hommes de paille, de sociétés écran et de comptes off shore. "On a toujours énormément de mal à les démonter, on est content quand on y arrive", souligne Renaud Van Ruymbeke. "Ce qui est choquant en termes de démocratie c'est qu'on surprotège, on surrégule au niveau national mais que dès qu'on sort des frontières, il n'y a plus de contrôle", ajoute-t-il. "Il faudra bien un jour contrôler la mondialisation. S'il est plus difficile aujourd'hui de cacher son argent ou ses malversations en Europe, d'autres pays, moins regardants et moins coopératifs ont pris le relais, comme Dubaï, aux Emirats arabes unis, Israël, Singapour ou Hong Kong. DUBAÏ ET ISRAËL "Si vous êtes escroc, si vous êtes français, vous partez avec votre argent à Dubaï, vous êtes tranquilles", explique-t-il. "On ne vous extradera pas, on n'exécutera pas les demandes d'entraide sous divers prétextes (...) Non seulement ils accueillent mais ils protègent l'argent sale et les escrocs." Des auteurs d'escroqueries à grande échelle comme celles sur les quotas de carbone, jugés en France ces dernières années, souvent en leur absence, se sont pour leur part installés en Israël, rappelle l'ancien juge. "Ils ont eu droit à la nationalité israélienne et à partir de ce moment-là, les Israéliens n'extradent pas et donc assurent leur impunité", précise-t-il. "On a même vu des gens qui continuaient à commettre des escroqueries de là-bas." "On est dans une hypocrisie majeure ; pourquoi est-ce qu'on ne met pas ces pays au pas ?" ajoute le nouveau retraité. "Il n'y a pas de volonté politique. Parce qu'il y a du pétrole, parce qu'on veut préserver ses alliés, des alliances politiques et militaires, l'argent sale on s'en fiche." Il déplore un manque de coopération des canaux diplomatiques, passage obligé pour les demandes d'entraide. "On ne vous répond pas ; vous envoyez une demande par la voie diplomatique, elle n'est pas exécutée (...), souvent elle traîne", dit-il, tout en admettant qu'il puisse y avoir d'autres enjeux, politiques ou diplomatiques. "Ce n'est pas normal parce que ce sont de grandes fraudes, des sommes énormes, des mandats d'arrêt parfaitement réguliers. Ça devient des zones de non droit. Et tant qu'il y aura des pays qui auront ce comportement-là, vous aurez des grands fraudeurs qui échapperont à toute poursuite." (Edité par Sophie Louet)
La croisade sans fin contre l'argent sale de Renaud Van Ruymbeke
information fournie par Reuters 24/07/2019 à 15:29
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